Le droit international humanitaire et les défis des conflits internes en RDC. Cas du conflit Kamuina Nsapu.par Kabienakuluila Tshibuabua Université Notre-Dame du Kasayi - Licence en droit 2019 |
CHAPITRE I. CADRE JURIDIQUE DU DIHSection I. Le droit régissant les Conflits armés Section II. La situation des conflits du Kasaï CHAPITRE II. MISE EN OEUVRE DU DIH DANS LES CONFLITS DU KASAI Section I. Violations du DIH dans les conflits du Kasaï Section II. Suggestions à la mise en oeuvre du DIH dans les conflits internes. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 16 CHAPITRE I. LE CADRE JURIDIQUE DU DIHAvant d'aborder l'ensemble des règles qui régissent le droit humanitaire, ou le cadre du DIH, nous nous proposons tout d'abord d'esquisser son approche terminologique du DIH. En Droit international, « les expressions droit international humanitaire, droit humanitaire, droit des conflits armés et droit de la guerre peuvent être considérées comme équivalentes et le choix de l'une ou de l'autre dépendra essentiellement des habitudes et du public. Ainsi, les organisations internationales, les universités ou encore les États utiliseront plutôt celle de «droit international humanitaire» (ou «droit humanitaire»), tandis qu'au sein des forces armées les deux autres expressions sont plus couramment en usage.»25 Pour notre part, l'on remarquera l'utilisation, parfois trop récurrente de l'expression Droit international humanitaire au détriment des autres acceptions. Section I. Le droit régissant les Conflits armésLe DIH est, comme nous l'avions souligné plus haut, « une branche du droit international public ; il se compose de règles destinées à protéger les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités et limites les moyens et méthodes de la guerre. »26 Comme toute règle de droit écrit, les règles du DIH sont contenues dans des instruments juridiques d'envergure universelle qui constituent le cadre juridique du DIH. En effet, lesdites règles sont inscrites dans des traités internationaux (les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels de 1977) pour l'essentiel. Ces règles sont conventionnelles et coutumières. Elles ont toutes pour vocation de régler les questions d'ordre humanitaire directement liées aux conflits armés, qu'ils soient internationaux ou non internationaux. Les règles conventionnelles relèvent des traités et conventions en la matière. En revanche, « la coutume s'instaure lorsque la pratique des Etats est suffisamment dense (répandue, représentative, fréquente et uniforme) et s'accompagne de la conviction des Etats qu'ils sont juridiquement tenus d'agir ou de s'abstenir d'agir d'une certaine manière. »27 Cette coutume est contraignante pour les Etats. Pas de règle sans exception dit-on, à l'exception de 25 CICR, Droit international humanitaire, réponses à vos questions, Genève, 2003, p.10. 26 Idem, p.7. 27 Idem, p.17. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 17 ceux qui se sont opposés de manière remarquablement constante à une pratique ou à une règle donnée depuis sa mise en place ; ce qui peut nous ramener, comme en matière civile, au principe de relativité des conventions, mais qui impose aux parties le strict respect du principe sacro-saint du pacta sunt servanda. Signalons tout de même que les règles dites conventionnelles et celles coutumières sont intimement liées. Voilà pourquoi « les liens entre le droit conventionnel et le droit coutumier sont nombreux et complexes.»28 Nous pouvons constater sans complaisance que « nombre de dispositions des traités du DIH sont issues du droit coutumier et à l'inverse, certaines dispositions du DIH qui ont évoluées dans le temps, alors qu'au début elles étaient adoptées comme dispositions conventionnelles, ont progressivement acquis une valeur de coutume. »29 Dans ce même ordre d'idée, nombre des dispositions au départ s'appliquant uniquement aux conflits armés internationaux sont actuellement considérées comme applicables à tous les types de conflits armés, ceci à « titre du droit coutumier. »30 Il est impérieux de distinguer en DIH les types de conflits armés. Même s'il est souvent difficile de déterminer si un conflit est international(CAI) ou non international(CANI)31, aussi, nécessitera-t-il de les analyser. La classification de ces différents types de conflits n'est pas l'apanage ou l'appréciation des parties au conflit armé, mais c'est une classification qui relève de l'observation des éléments objectifs, observables et universellement connus. La survenance d'un conflit armé est directement l'application du DIH, et donc objectivement parlant, un conflit armé, une situation de guerre, appelle automatiquement l'application du DIH, cette application des règles en la matière dépend de ce qui se produit sur le terrain du conflit. Les CAI «sont des conflits dans lesquels un ou plusieurs Etats recourent à l'emploi de la force armée contre un ou plusieurs autres Etats. Les règles applicables aux CAI s'appliquent également durant : un conflit armé entre un ou plusieurs Etats et une organisation internationale (c'est-à-dire une 28 Idem, p.17. 29 Ibid., p.18. 30 Ibid., p.19. 31 Ibid., p.20. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 18 force multinationale), une guerre de libération nationale (à certaines conditions) et une situation d'occupation. »32 Les CANT par contre se déroulent sur le territoire d'un seul Etat, entre les forces armées gouvernementales et un ou plusieurs groupes armés non étatiques, ou seulement entre ces groupes seulement. D'ailleurs, à l'heure actuelle, plusieurs conflits sont de cette catégorie en RDC. Mais pour que les hostilités soient considérées comme un CANI, elles doivent atteindre un certain degré d'intensité et les groupes qui y participent doivent être suffisamment organisés. En effet, « à la fin de la conférence diplomatique de 1977, furent adoptés deux protocoles additionnels aux conventions de Genève de 1949 parmi lesquels figure le deuxième Protocole additionnel relatif aux CANI. Ce dernier a fait l'objet de nombreuses discussions avant son adoption et est par la suite considéré comme le premier texte conventionnel entièrement consacré aux CANI. » Aux termes de l'article premier du Protocole additionnel TT, nous noterons cette définition : « Tous les conflits armés qui ne sont pas couvert par l'article premier du protocole additionnel 1 relatif aux conflit armés internationaux et qui se déroulent sur le territoire d'une haute partie contractante entre ses forces armées et des forces dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent protocole ». Pour ainsi qualifier un CANI, il faut la réunion de certaines conditions : L'Opposition des forces armées (gouvernementales et dissidentes) entre elles ou des forces armées et des groupes organisés sous la conduite d'un commandement responsable ; Le Contrôle par ces groupes d'une partie du territoire de manière à pouvoir mener des opérations militaires continues et d'appliquer le protocole. Par ailleurs, la guerre étant la condition nécessaire de l'application du DIH, les dispositions de l'article premier du Protocole additionnel TT écarte, d'une part, expressément, de la qualification des conflits armés certaines situations de violences qui sont notamment « les tensions 32 Ibidem, p.22. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 19 internes et les troubles intérieurs comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et d'autres actes analogues. » D'autre part, « implicitement, les conflits armés internes opposant des groupes armés organisés entre eux dont aucun ne représente le gouvernement en place. »33 Certes, « les troubles et tensions internes (les émeutes et les actes de violence isolés et sporadiques) sont des perturbations de l'ordre public qui ne vont pas jusqu'à constituer un conflit armé ; ils ne peuvent être considérés comme tels, parce que le niveau de violence n'est pas suffisamment élevé, ou parce que les personnes qui recourent à la violence ne sont pas organisées en groupe armé. »34C'est parfois des situations éphémères dans ce sens qu'ils (troubles et tensions internes) ne durent pas dans le temps ; une intervention policière suffit d'y mettre fin toutefois. Signalons tout de même que les règles du DIH s'appliquent aussi dans les « conflits nouveaux ». L'expression recouvre en fait deux types de conflits distincts : ceux qui sont dits «déstructurés» et ceux qui sont qualifiés d'«identitaires» ou «ethniques». Le contour terminologique de cette expression reste encore flou dans son usage. En effet, « les conflits déstructurés, certainement la conséquence de la fin de la guerre froide, se caractérisent souvent par l'affaiblissement ou la disparition - partielle et parfois même totale - des structures étatiques.»35 Dans ces situations, des groupes armés profitent du vide politique pour chercher à s'emparer du pouvoir. Mais « ce type de conflit se caractérise surtout par l'affaiblissement, voire la dislocation de la chaîne de commandement au sein de ces mêmes groupes armés.»36 Les conflits identitaires par contre sont ceux qui visent l'exclusion de l'autre par la «purification ethnique». Ce qui consiste à déplacer de force des populations, voire à les exterminer. « Sous l'effet d'une spirale de propagande, de peur, de violence et de haine, ce type de conflit renforce la notion de groupe au détriment de l'identité nationale existante, et exclut toute possibilité de cohabitation avec d'autres groupes.»37 33 NOUWEZEM S.S., Op.cit., p.10. 34 CICR, Op.cit., p.17. 35 CICR, Droit international humanitaire, réponses à vos questions, 2003, p.18. 36 Idem, p.18. 37 Idem, p.20. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 20 Toutefois, dans ces conflits qu'ils soient «déstructurés» ou «identitaires», la population civile est particulièrement exposée à la violence. L'article 3 commun aux quatre conventions de Genève impose en effet à tous les groupes armés, rebelles ou non, le respect de ceux qui se sont rendus et ceux qui ne participent pas aux hostilités, les militaires ou combattants, à plus forte raison. « Ce n'est donc pas parce que les structures étatiques sont affaiblies ou inexistantes qu'il y a un vide juridique au regard du droit international.»38 Ceci voudrait, à bien le comprendre que, c'est dans les situations des conflits armés précisément et particulièrement que le DIH prend sa juste valeur. « Il est vrai, cependant, que l'application des règles humanitaires se révèle plus difficile dans ces types de conflits. Le manque de discipline chez certains belligérants, l'armement de la population civile, qui fait suite à la prolifération des armes, et la distinction de plus en plus floue entre combattants et civils font souvent prendre une tournure extrêmement brutale aux affrontements, où les règles de droit n'ont que peu de place. »39 Voilà pourquoi il est nécessaire que dans ce type de situation, des efforts particuliers soient conjugués en vue de sensibiliser les gens au droit humanitaire. Une simple connaissance des règles du droit, aiguë soit-elle, ne va pas résoudre les causes qui conduisent souvent aux conflits, ni même donner solution aux conséquences qui en résultent, mais seulement, elle peut atténuer, tant soit peu, les conséquences meurtrières pendant les conflits armés. C'est une solution nécessaire en DIH. « Les règles qui s'appliquent à un conflit particulier dépendent de son caractère qui peut être international ou non international. Les conflits armés internationaux sont soumis à une large gamme de règles, notamment celles énoncées dans les quatre Conventions de Genève et le Protocole additionnel I »40. Les conflits armés non internationaux par contre font l'objet d'un ensemble de règles plus restreint, qui sont énoncées dans l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et dans le Protocole additionnel II. Mais à côté de cette classification classique des conflits figurent aussi d'autres, qui ne méritent pas 38 Idem, p.18. 39 CICR, idem, p.20. 40 CICR, guide du parlementaire, 2016, p.178. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 21 de classification étanche et que l'on peut appeler dans le cadre de ce travail Conflits sui generis de par leur difficile situation en DIH. Nous citons : ? Le contrôle d'un territoire sans présence militaire sur place « Malgré les précisions apportées par le Règlement de La Haye de 1907 et la Convention de Genève de 1949 à la notion d'occupation, il n'est pas toujours facile d'identifier en pratique les situations relevant de cette notion.»41 Illustrons cette situation par un exemple plausible, celui de la Bande de Gaza suite au désengagement israélien. Pour la petite histoire, Le 12 septembre 2005, les dernières troupes israéliennes achevèrent de se retirer de cette région dans laquelle elles avaient maintenu une présence continue depuis la guerre des six jours en 1967. Ce faisant, elles contribuaient à mettre en oeuvre un «Plan de désengagement» adopté le 6 juin 2004 par le gouvernement israélien et endossé le 25 octobre de la même année par le parlement. En vertu de ce plan, les autorités entendaient mettre un terme à leurs responsabilités vis-à-vis des populations vivant dans ce territoire.42 Question : « Faut-il en conclure que l'aboutissement de ces démarches a marqué la fin de l'occupation dans la région en question ? En d'autres termes, le retrait physique des forces israéliennes suffit-il pour admettre que l'exercice du contrôle territorial effectif caractérisant l'occupation n'est plus réalisé en l'espèce ? »43 Pour répondre à cette question, certains auteurs pensent négativement. C'est ainsi qu' «Il a ainsi été rappelé qu'Israël a gardé un degré substantiel de contrôle sur la Bande de Gaza, même si ses troupes ne sont plus déployées physiquement dans cette zone.»44 Et à conclure, «le Plan de désengagement exprime clairement que cet État continue d'exercer le contrôle des frontières de ce territoire, ainsi que de son espace aérien et de sa zone côtière.»45 Il reste par ailleurs à affirmer 41 VITE S., Op.cit., p.12. 42 VITE S., Op.cit., p.13. 43 Idem. 44 Voir la note du Secrétaire général des Nations Unies : Situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, UN Doc. A/61/470, 27 septembre 2006, p.6. 45 http://www.gisha.org/UserFiles/File/Report%20for%20the%20website.pdf, consulté le 09 mars 2019 à 22h02. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 22 qu'Israël bénéficie du pouvoir de pénétrer en tout temps dans le territoire palestinien en vue d'y exercer des fonctions de maintien de l'ordre public.46 En outre, l'article 42 du Règlement de La Haye de 1907 renforce cette interprétation. Il précise qu'il y a occupation lorsque l'autorité de l'armée ennemie «est établie et en mesure de s'exercer. Alors l'occupation de la bande de Gaza n'a pas cessé avec le retrait des troupes en 2005, «puisqu'Israël continuerait d'exercer à distance un pouvoir équivalant au contrôle effectif requis par le droit de l'occupation.»47 D'autres observateurs estiment en revanche qu'«un examen plus attentif des textes conventionnels montre que la capacité d'un occupant d'imposer son autorité ne peut être dissociée de sa présence physique dans le territoire soumis à son contrôle.»48 Notre position à ce sujet reste de combiner les deux points de vue, car, avec l'évolution de la technologie, l'on peut toujours occuper un territoire, le contrôler sans présence physique. ? L'intervention étrangère dans un conflit armé non international Cette notion fait intervenir deux cas de figure : lorsqu'un ou plusieurs États tiers interviennent dans un CANI pour soutenir l'une ou l'autre des parties au conflit ; et lorsque des forces multinationales interviennent dans un conflit armé non international au cours d'une opération de maintien de la paix. En effet, lorsqu'un ou plusieurs Etats interviennent dans un CANI pour soutenir l'une ou l'autre partie au conflit, nous assistons à un conflit armé dit conflit mixte, sa mixité relève du fait qu'il combine des caractéristiques qui sont à la fois des conflits armés internationaux et des conflits armés non internationaux. Certes, «en fonction de la configuration des parties impliquées, les affrontements sur le terrain peuvent se dérouler entre les forces de l'État territorial et celles d'un État intervenant, entre des États intervenant d'une part et d'autre part de la ligne de front, entre des forces gouvernementales (de l'État 46 Idem. 47 UN, Situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, UN Doc. A/61/470, 27 septembre 2006, p.7. 48 GASSER H.-P., Belligerent Occupation, The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts, éd. D.Fleck, Oxford, Oxford University, 1995, p. 243. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 23 territorial ou d'un État tiers) et des groupes armés non gouvernementaux ou encore entre des groupes armés uniquement.»49 Il va se poser naturellement un problème sérieux de qualification juridique de ces situations sui generis en DIH. La solution à ce problème étant difficile à trouver, le CICR tente, tant soit peu de donner une solution. Il estime que le droit applicable dans les conflits mixtes varie en fonction des parties qui s'affrontent de cas en cas. Les relations d'État à État sont couvertes par le droit des conflits armés internationaux, alors que les autres cas de figure sont soumis au droit des conflits armés non internationaux. Ainsi, l'intervention d'un État tiers en soutien d'un groupe non gouvernemental opposé aux forces armées étatiques aboutit à l'internationalisation du conflit interne en cours.50 Il faut donc que le DIH soit mis à jour en vue de s'adapter à ces genres de conflits qui suscitent plusieurs controverses doctrinales. Quant aux forces multinationales qui interviennent dans des CANI en vue du maintien de la paix, il faut préciser que leur présence dans ce contexte ne fait pas d'elles forcément des parties au conflit. En fait, ces troupes ne viennent pas participer au conflit comme tel, mais viennent juste pour maintenir la paix. Elles sont déployées moyennant un mandat qui ne les autorise nullement à soutenir l'une ou l'autre partie au conflit, mais qui se limite à l'interposition ou l'observation. Par ailleurs, ils peuvent recourir aussi à la force armée, mais ce, dans une situation extrême de légitime défense. Parfois, les forces multinationales peuvent être parties au conflit dans deux cas suivants : Il peut arriver qu'elles prennent part directement aux hostilités en cours en soutenant l'une des parties qui s'affrontent. Il est par exemple arrivé que la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) qui est devenue la MONUSCO51 par après, appuie militairement le gouvernement de la République Démocratique du Congo pour repousser des offensives lancées par les groupes armées et les rebelles, notamment du côté de Beni à l'est du pays. 49 GASSER H.-P., Op.cit., p. 252. 50SCHINDLER D., International Humanitarian Law and Internationalized Internal Armed Conflicts, International Review of the Red Cross, 1982, pp. 255-264. 51 Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilité au Congo. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 24 Mais il peut arriver aussi que, lorsque des troupes multinationales sont déployées, qu'elles soient considérées comme parties au conflit. Cela se fera si «leur niveau d'implication atteint le niveau d'intensité requis.»52 Tel ne peut pas être le cas si le recours à la force se limite au cadre de la légitime défense. De nature aussi controversée, cette catégorie de conflit suscite beaucoup de tensions doctrinales aussi. Certains auteurs pensent que, comme une partie au conflit est une organisation internationale qui définit et conduit les opérations, cela entre de droit par nature dans la catégorie des CAI. Mais d'autres par contre pensent en revanche que, si les troupes multinationales combattent les groupes armés non gouvernementaux, c'est le droit des CANI qui doit s'appliquer. ? Les conflits armés non internationaux se déroulant sur le territoire de plusieurs États L'article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel II détermine chacun son domaine d'application avec une mention particulière sur les affrontements qui ont lieu sur le territoire d'un État qui a ratifié les Conventions et les protocoles selon le cas. «Or, de nombreux conflits opposant un gouvernement à un groupe armé se déroulent en pratique sur le territoire de deux, voire plusieurs États.»53 C'est alors que certains auteurs soutiennent qu'il s'agit dans ce cas d'un nouveau type de conflit dont les textes en vigueur du DIH ne tiennent pas compte. Ils vont jusqu'à qualifier ces conflits de transnationaux ou de conflits extra-étatiques54 et plaident pour l'application d'un DIH spécifique dans ce type de conflits. Notons d'ailleurs que ce type de conflit comporte deux sous-catégories qui sont les conflits armés non internationaux exportés et des conflits armés non internationaux transfrontaliers. Il peut arriver que les parties à un conflit armé (international ou non international) classique55, sans se vaincre, continuent leurs combats sur le territoire d'un autre Etat avec le consentement exprès ou tacite du gouvernement concerné ou même sans son consentement. Illustrons par le cas 52 SCHINDLER D., Op.cit., p.300. 53 VITE S., Op.cit., p.17. 54 SCHÖNDORF R.S., Extra-State Armed Conflicts : Is there a Need for a New Legal Regime ?, New York University Journal of International Law and Politics, Vol. 37, N° 1, 2004, pp. 61-75. 55 Voire article 3 commun aux Conventions de Genève. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 25 de la guerre de 6 jours entre le Rwanda et l'Ouganda en 2000 sur le sol de la RDC, dans la ville de Kinsangani. Hélas, il est d'emblée question ici des conflits exportés ou délocalisés ou encore des conflits armés non internationaux extraterritoriaux. Tl s'agit en fait d'un conflit en translocation. Le droit applicable ici est difficile à déterminer clairement. Certains auteurs pensent qu'il faut créer un DIH nouveau applicable à ce nouveau type de conflit. Ce qui, en fait ramènerait à un troisième régime juridique à côté de ceux régissant les CAI et les CANI. D'autres par contre estiment que le droit à appliquer est à trouver dans la combinaison des deux régimes juridiques précédents, à rappeler, les deux régimes juridiques des CAI et les CANI. S'agissant des conflits transfrontaliers, il est envisageable le cas d'un Etat qui entre en confrontation armée contre un groupe armé non gouvernemental qui peut être situé sur le sol d'un État voisin. « Dans ce cas, il n'y a donc pas débordement ou exportation d'un conflit préexistant. Les hostilités se déroulent au travers d'une frontière.»56 Dans l'hypothèse où le groupe armé agit sous le contrôle de son État de résidence, ce conflit est naturellement un conflit armé international, puisqu'il oppose deux Etats. En revanche, dans l'hypothèse où le groupe agirait seul, sans être au contrôle d'un Etat, il devient alors difficile de le classer classiquement, ce qui va avec l'idée d'une création d'un DIH nouveau pour ce faire. Dans cette liste nous pouvons aussi mentionner le cas de la lutte contre le terrorisme qui peut engendrer plusieurs situations désastreuses, le cas de l'armée américaine par exemple qui lutte contre le terrorisme dans plusieurs pays d'Asie, genre de situation provoquant des conflits armés de grande taille occasionnant l'application du DIH. Nous nous donnons à proposer l'actualisation du DIH à tous ces types de conflits armés pour éviter le cas d'un vide juridique au point de laisser certains crimes impunis, ce qui renforcerait le respect des droits de l'homme dans un temps de guerre. Pour rappel, les droits de l'homme et le DIH sont des domaines complémentaires en droit international, l'on doit les appliquer concomitamment. 56 VITE S., Typologie des conflits armés en droit international humanitaire : concepts juridiques et réalités, 2016, p.18. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 26 §1. Régime juridique des CAI«L'histoire du droit des conflits armés internationaux montre que le champ d'application de ce régime juridique a été progressivement élargi au fur et à mesure de son développement conventionnel.»57 Avant, c'est la conception étroite et formaliste de la guerre qui prévalait, mais la réforme du système avec la révision des Conventions de Genève en 1949 est venue consacrer une approche plus large, fondée sur une notion plus objective, celle de conflit armé. En effet, le concept guerre apparaît déjà dans «les traités les plus anciens du DIH».58 Les Conventions de 1949 sont venues introduire, pour la première fois dans l'histoire du DIH, la notion de conflit armé dans son régime juridique. L'on peut, par une étude minutieuse de l'esprit, comprendre que les rédacteurs desdites Conventions voulaient faire montre du besoin de voir l'application du DIH désormais ne plus se subordonner à la volonté des gouvernements, de pouvoir qualifier une situation de « guerre» ou non et même de la déclarer ou non, pour voir le DIH s'y appliquer. C'est à en croire la conséquence de l'adoption du Protocole additionnel I de 1977, un instrument qui innova dans le cercle des conflits armés internationaux avec un nouveau type de conflit : Les guerres de libération nationales. Les Conventions de Genève de 1949, dans les dispositions de l'article 2 commun aux quatre conventions de Genève de 1949 s'appliquent «en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une d'elles.»59 Cette situation concerne uniquement deux ou plusieurs Etats. Disons que ce ne sont que des Etats qui sont ici visés. Et selon l'esprit de la lettre, quand on parle de «Hautes Parties contractantes » dans le cadre du DIH, on fait allusion à des Etats, à des entités souveraines. Ainsi, il peut y avoir confrontation directe entre États (Etat contre Etat) soit une intervention d'un Etat dans un conflit interne d'un autre Etat. Ici, il y a ce qu'on appelle en DIH internationalisation du conflit. 57 VITE S., Op.cit., 2016, p.2. 58 Lire les articles 4, 5 et 6 de la Convention de Genève du 22 août 1864 pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne. 59 Lire article 2 commun aux quatre conventions de Genève de 1949. TSHIBUABUA KABIENAKULUILA 27 Illustrons-le par l'exemple d'un Etat étranger qui envoie ses troupes sur le sol d'un autre Etat à l'appui d'un mouvement d'opposition contre le gouvernement de cet Etat. Rappelons tout de même qu'il y a CAI, selon la définition tirée du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, « chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre États.»60 |
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