spéciale
La plupart des mesures juridiques étant connues et
même déjà appliquées pour une large part, il n'est
pas toujours mal de le rappeler, car cela aiderait aussi à y
prêter attention.
Les mesures juridiques que nous pensons conseiller sinon
proposer dans le cadre de la décrispation de la crise humanitaire au
Kasaï, ce qui pourrait valoir pour toute la RDC sont :
a. Devenir partie aux traités de DIH
En devenant partie aux traités du DIH, les Etats
prennent l'engagement, selon les dispositions de l'article 1er
commun aux quatre conventions de Genève, de « respecter et faire
respecter » le DIH, chaque Etat doit être sûr que celui-ci est
respecté par tous les autres Etats.
Cela veut dire qu'en cas de violations des règles du
DIH, les Etats n'ont pas seulement le droit mais aussi le devoir d'intervenir
pour faire
98 Idem.
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55
cesser ces violations en rappelant à l'Etat fautif ses
obligations et en lui montrant que les violations dont il se rend responsable
ne sont pas tolérables99.
Rappelons qu'on ne parlera pas d'ingérence ici, il
s'agit des prérogatives reconnues à chaque Etat partie aux
conventions du DIH d'intervenir en vue de mettre fin aux violations de
celui-ci.
En pratique, en droit international, dans certaines
circonstances, il n'est pas exclu que les Etats, au moment de ratifier un
traité, limitent l'applicabilité d'une de ses dispositions en
formulant une réserve. Aux termes de la Convention de Vienne
sur le droit des traités, la réserve est une
déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa
désignation, faite par un Etat au moment où il signe, ratifie,
accepte ou approuve un traité ou même y adhère, et par
laquelle il tend à exclure ou veut modifier l'effet juridique de
certaines dispositions du traité dans leur application à cet
Etat.100
Le fait de formuler des réserves à des
traités internationaux relatifs aux droits de l'homme ou en l'occurrence
au droit humanitaire est légitime comme pour toute autre matière
en droit international. Mais ces réserves doivent respecter les
dispositions de l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités. Cet instrument indique que des réserves peuvent
être formulées si le traité lui-même l'autorise ou,
en cas de silence du texte sur ce point, si la réserve n'est pas
incompatible avec le but et l'objet du traité.
Qui plus est, pour que les réserves soient valides, le
droit international exige qu'une série de conditions soient remplies.
Les réserves aux instruments du DIH sont très rares. Toutefois,
dans son Observation générale n° 24(1994), le CICR a
souligné qu'«un Etat ne peut se réserver le droit de
pratiquer l'esclavage ou la torture, de soumettre des personnes à des
traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, de les priver
arbitrairement de la vie, de les arrêter et de les détenir
arbitrairement, de dénier le droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion, de présumer une personne
coupable tant que son innocence n'a pas été établie,
d'exécuter des femmes enceintes ou des enfants, d'autoriser l'incitation
à la haine nationale, raciale ou religieuse, de dénier à
des personnes nubiles le droit de se marier, ou de dénier aux
minorités le droit d'avoir leur propre vie culturelle, de professer leur
propre religion ou d'employer leur propre langue».101
99 Lire avec intérêt l'article 2 commun aux quatre
conventions de Genève de 1949.
100 Lire article 2.1 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités.
101 Observation générale n° 24(1994) sur
les questions touchant les réserves formulées au moment de la
ratification du Pacte ou des Protocoles facultatifs y relatifs ou de
l'adhésion à des instruments, ou en rapport avec des
déclarations formulées.
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
56
Il n'y a point de doute que la RDC a signé et
ratifié les Conventions de Genève et leurs protocoles
additionnels102. Mais, seul le fait d'être membre ne suffit
pas, il faut au plan interne des mécanismes pouvant rendre cette
adhésion solide et mettre en application les règles auxquelles on
a adhéré. C'est ce qu'il faut à l'heure actuelle, car cela
entre en ligne de compte avec la bonne gouvernance et l'Etat de droit,
où la loi est en avant-plan de toute action.
b. La création d'un Tribunal
Spécial pour les crimes du Kasaï Ceci peut s'avérer une
mesure nécessaire en vue de réprimer les violations des crimes
commis pendant les conflits Kamuina Nsapu. S'inspirant de la situation TPIR et
TPY.
Ainsi, ce tribunal aura pour compétence de connaitre de
toutes les violations survenues au cours de ce conflit et de juger toute
personne qui serait impliquée ou supposée impliquée dans
ces conflits. Le législateur devra donc lui donner une compétence
territoriale sur toute la province du Grand Kasaï, définir les
infractions dans les conflits du Kasaï telles que prévues dans les
Conventions de Genève et les protocoles additionnels.
Partant de l'idée que la sanction fait partie
intégrante de toute logique juridique cohérente et que, la menace
de sanctionner est un élément dissuasif, le DIH a consacré
une grande place à la répression des infractions aux droits
humains en situation de conflit armé qui, depuis l'adoption des
conventions de Genève, relevait de la compétence exclusive de
l'Etat. Alors que celle-ci s'est avérée par la suite
insatisfaisante pour la communauté internationale, il fallut
l'institution des juridictions pénales internationales pour juger les
crimes de guerre, tels les TPIY et TPIR.
La création de cette institution pourrait
découler d'un accord entre Etats sous forme de traité
international à vocation universelle ou d'une décision du Conseil
de Sécurité comme cela a été notamment le cas pour
le Tribunal pénal international pour juger des personnes sur le
territoire de l'ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991 par sa
résolution 827 de 1993 et pour la création du TPIR par sa
résolution 955 en 1994.
Faudra-t-il rassurer que la création d'un tribunal du
genre sera d'une grande importance dans la mise en oeuvre réelle de
l'obligation de
102 28 août 1963, date à laquelle la Croix Rouge
de la RDC a été admise comme membre de Fédération
Internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant
rouge (FICR)
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
57
l'Etat de punir les crimes commis contre ses sujets, et par
ricochet pour le respect du DIH.
C'est ainsi que, par la création de deux tribunaux
(TPIR et TPY), suivis de la création d'une cour pénale
internationale en 1998, la communauté internationale a manifesté
une réelle détermination dans la répression des crimes et
a contribué, du moins par sa volonté manifeste de le faire,
à mettre fin à l'impunité des criminels de guerre.
En effet, notons tout de même que depuis 2016, le
Kasaï sombre dans des conflits et crises humanitaires multiformes
caractérisés par des graves atrocités et violations
humanitaires commises en toute impunité.
Alors, face à des telles violations et tels actes
effroyables menaçant la paix et la sécurité nationale et
internationale, et en dépit du besoin de répression et de
justice, l'impunité règne et des auteurs sont libres.
Voilà pourquoi l'institution d'un tribunal spécialisé au
Kasaï est plus que nécessaire.
Pour pouvoir réprimer un comportement criminel, il faut
que ce dernier soit défini en droit, c'est d'ailleurs un principe
sacro-saint en droit criminel ou droit pénal qui dit qu'il n'existe
aucune infraction ni aucune peine sans loi. Ajoutons à ce principe les
dispositions du code pénal congolais qui dit que nul ne peut être
arrêté ni condamné pour un comportement qui ne constituait
pas une infraction au moment de sa commission.103
C'est ainsi que, nous fondant sur ces principes nous pouvons
à titre d'exemple citer comme infractionnels certains actes
précis qui sont énumérés dans les conventions de
Genève et dans le protocole additionnel I.
Constituent des infractions graves aux Conventions de
Genève :
L'homicide intentionnel ;
la torture ou les traitements inhumains, y compris les
expériences biologiques ;
le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou
porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou
à la santé ;
la destruction et l'appropriation de biens non
justifiées par des nécessités militaires et
exécutées sur une grande échelle de façon illicite
et arbitraire ;
103Lire article 1er du Code pénal
congolais, décret du 30 janvier 1940 tel que modifié et
complété à ce jour, J.O.,
45ème année,
numéro spécial, 3O novembre 2004.
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
58
le fait de contraindre un prisonnier de guerre à servir
dans les forces armées de la Puissance ennemie ; le fait de priver un
prisonnier de guerre de son droit d'être jugé
régulièrement et impartialement ; la déportation ou les
transferts illégaux ; la détention illégale ;
la prise d'otages etc.
Constituent des infractions graves au Protocole I de 1977 les
actes suivants quand ils sont commis intentionnellement, en violation des
dispositions pertinentes du Protocole, et qu'ils entrainent la mort ou causent
des atteintes graves a` l'intégrité physique ou à la
santé, il s'agit de :
soumettre la population civile ou des personnes civiles
à une attaque ;
lancer une attaque sans discrimination atteignant la
population civile ou des biens de caractère civil, en sachant que cette
attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes
civiles ou des dommages aux biens de caractère civil ;
lancer une attaque contre des ouvrages ou installations
contenant des forces dangereuses, en sachant que cette attaque causera des
perte sen vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages
aux biens de caractère civil ;
soumettre à une attaque des localités non
défendues et des zones démilitarisées ;
soumettre une personne à une attaque en la sachant hors
de combat ;
utiliser perfidement le signe distinctif de la Croix-Rouge ou
du croissant-rouge ou d'autres signes protecteurs reconnus par les Conventions
ou par le Protocole.
Sont aussi considérées comme des infractions
graves au Protocole I de 1977 :
le transfert par la Puissance occupante d'une partie de sa
population civile dans le territoire qu'elle occupe, ou la déportation
ou le transfert à l'intérieur ou hors territoire occupé de
la totalité ou d'une partie de la population de ce territoire, en
violation de l'article 49 de la IVème Convention ;
tout retard injustifié dans le rapatriement des
prisonniers de guerre ou des civils ;
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
59
les pratiques de l'apartheid et les autres pratiques
inhumaines et dégradantes, fondées sur la discrimination raciale,
qui donnent lieu à des outrages à la dignité personnelle
;
le fait de diriger des attaques contre les monuments
historiques, les oeuvres d'art ou les lieux de culte clairement reconnus qui
constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples et auxquels une
protection spéciale a été accordée en vertu d'un
arrangement particulier ;
le fait de priver une personne protégée par les
Conventions ou visée au paragraphe 2 de l'article 85 du Protocole I de
son droit d'être jugée régulièrement et
impartialement.
Les atteintes à la santé et
l'intégrité physiques ou mentales des personnes au pouvoir de la
Partie adverse ou internées, détenues ou d'une autre
manière privées de liberté en raison d'une situation
visée à l'article premier ; celles-ci ne doivent être
compromises par aucun acte ni aucune omission injustifiés.
Il est en particulier interdit de pratiquer sur les personnes
citées ci-haut, même avec leur consentement :
des mutilations physiques
des expériences médicales ou scientifiques des
prélèvements de tissus ou d'organes pour des transplantations,
sauf si ces actes sont justifiés dans les conditions prévues par
le Protocole I.
Nous pouvons aussi ajouter à cette brève
énumération les faits infractionnels de la compétence de
la Cour Pénale Internationale (CPI).104 Il s'agit des :
Crime de génocide ;
Crimes contre l'humanité ;
Crimes de guerre ; Actes d'agression.
104 Il s'agit d'un tribunal permanent avec une
compétence globale pour juger les individus inculpés des
violations les plus graves. Son Statut a été adopte' le 17
juillet 1998. Elle a pleine compétence à l'égard des
crimes de guerre commis pendant des conflits armés, tant internationaux
que nationaux. Les crimes de guerre retenus par le statut de la Cour
pénale internationale sont définis en son article 8. A la
différence de la Cour Internationale de Justice, dont la juridiction est
réservée aux Etats, elle aura la capacité d'inculper les
individus. A la différence des tribunaux de guerres du Rwanda et de
l'ex-Yougoslavie, sa compétence ne sera limitée ni
temporellement, ni géographiquement.
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
60
Ces actes étant commis, les personnes qui doivent
être tenues pour responsables sont celles qui les ont commis
elles-mêmes, y compris leur abstention d'agir pour les empêcher,
mais aussi celles qui ont donné l'ordre de les commettre.
Pour mener à bien cette action, il faut rechercher les
auteurs ainsi que les personnes qui sont soupçonnées d'avoir
commis des tels actes, les traduire en justice ; mais il faut aussi dans la
mesure du possible créer des partenariats judiciaires ou une entraide
judiciaire avec d'autres Etats en vue de cette recherche.
c. Prendre des mesures d'application des
traités du DIH à l'interne
Les traités du DIH obligent les Etats à adopter
une série de mesures d'application au sens large. Ces mesures
répondent à la nécessité de traduire le DIH dans la
législation nationale, les procédures, la doctrine ; introduire
l'enseignement du DIH dans le programme d'enseignements à partir de
l'école primaire jusqu'à l'université dans toutes les
filières d'études ; cela aiderait à éviter des
conflits et par ricochet des effets néfastes des conflits
armés.
Le DIH, rappelons-le, régit la conduite des actes
à poser pendant un conflit armé. Ce qui n'est pas toujours facile
à faire, transformer les dispositions en actes. C'est alors que pour
qu'il soit pleinement respecté, ce que nous souhaitons, il faut que ceux
qui sont impliqués dans les conflits armés en connaissent la
teneur et les principes fondamentaux afin de les intégrer dans leur
comportement. C'est pourquoi il s'avère important que tout membre des
forces armées et de la police nationale reçoive une formation en
DIH.
Les militaires et les policiers, quels que soient leur rang ou
leur fonction, doivent participer à telle formation. Ils doivent suivre
des cours en la matière. Il faut que les principes fondamentaux du DIH
fassent partie intégrante des codes et des doctrines militaires. Aussi,
l'un des meilleurs moyens de former les troupes au DIH est d'intégrer
dans leurs manoeuvres, au cours de leur formation, une « dimension
humanitaire » afin que, confrontés à des situations du
DIH, ils sachent les gérer sur base des règles humanitaires.
Nous pourrons aussi aller plus loin, en faisant un plaidoyer
pour la formation des conseillers juridiques en DIH en temps de paix afin
d'être disponibles lors de conflits pour conseiller le commandement
militaire quant à l'application des règles du DIH. La
présence de tels experts est nécessaire au vu de la
complexité croissante de cette branche du droit.
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
61
Nous faisons un plaidoyer ici en vue de la création
d'une commission provinciale de mise en oeuvre du DIH dans le grand Kasaï,
n'empêche si, pour besoin de protection de tous les citoyens, cette
commission fasse extension dans d'autres provinces touchées
également par les effets des conflits armés comme à l'est
du pays.
La mise en oeuvre du DIH est un travail très lourd,
elle nécessite des efforts constants qui durent dans le temps. C'est
pourquoi de nombreux Etats ont créé des commissions
nationales de mise en oeuvre du DIH. Et à l'instar de ces
commissions nationales, pour assurer une protection de plus près des
victimes, qu'il soit créé une commission provinciale comme nous
l'avons suggéré tantôt.
De quoi peut-il s'agir en fait ?
Il s'agira donc d'un groupe de travail interministériel
qui conseille et aide le Gouvernement provincial dans la mise en oeuvre, la
diffusion et l'application effective du DIH.
Il n'est fait aucune obligation aux Etats de créer une
telle commission, et si tel est le cas, l'on se demandera à propos de la
valeur juridique d'une telle commission en province.
En effet, selon les dispositions de l'article
10105, sa mise en place répondrait à plusieurs besoins
dont certains sont les suivants :
? Assurer une coordination
interministérielle
La mise en oeuvre du DIH implique souvent des
ministères différents, que ce soit ceux de la défense, de
la sante' ou de la justice. Si ces ministères ne se coordonnent pas,
elle risque d'être désordonnée et plus longue, alors qu'on
a besoin des résultats pratiques et concrets, sinon immédiats
dans la protection des victimes des conflits armés. La création
d'une commission provinciale pouvant enquêter sur les violations du DIH
permet d'établir un agenda et des priorités, répertorier
les violations et suivre les cas des victimes.
? Garantir une action de protection de longue
durée
La création d'une Commission provinciale de mise en
oeuvre, dotée d'une mémoire institutionnelle, est le meilleur
moyen pour que le travail de mise en conformité du droit national soit
continu et cohérent.
105 Lire avec intérêt l'article 10 de la
1ère Convention de Genève pour l'amélioration du sort des
blessés et des malades, 1949, p.40.
TSHIBUABUA KABIENAKULUILA
62
Il n'y a pas de règle précise sur la
manière dont doit être constituée une commission
provinciale de mise en oeuvre, même si l'on peut se référer
à une commission nationale pour ce faire, et remarquer que le cas serait
le même.
On peut d'ailleurs retrouver de telles commissions sous de
nombreux noms différents ; par exemple : commission provinciale
interministérielle pour la mise en oeuvre du DIH, commission provinciale
du droit humanitaire, commission provinciale de suivi des violations du DIH,...
tout dépendra de la dénomination que pourrait lui donner
l'autorité, mais l'essentiel est qu'elle puisse conseiller et aider
efficacement le Gouvernement à assurer la mise en oeuvre, notamment en
étant en mesure d'évaluer les besoins et de soumettre des
recommandations, rechercher des auteurs des violations pendant les conflits,
les déférer devant la justice ; l'assistance judiciaire et
sociale des victimes de la guerre. Bref, il s'agira d'accorder à une
telle commission un rôle non négligeable dans la diffusion, la
protection et la mise en oeuvre du DIH.
Un des plus sûrs moyens d'assurer le bon fonctionnement
de la commission provinciale de mise en oeuvre est de s'assurer qu'elle est
composée de personnes compétentes : représentants des
ministères concernés, militaires, spécialistes du droit
international humanitaire, membres de la Société nationale de la
Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge en province.
Il est, en outre, important que la commission provinciale pour
ce faire, jouisse d'un statut permanent afin d'être à même
d'effectuer son travail dans la durée.
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