L'infraction d'avortement face au droit de disposer de son corps.par Frédéric Bwanakay Université de Lubumbashi - Graduat 2017 |
§2 : La renonciation à un Droit consacre par la CEDHDans la société toujours plus libérale et individualiste qu'est la nôtre, la question s'est posée de savoir si le principe général de liberté qui permet à chacun d'agir comme il le souhaite (pour autant qu'il ne porte pas atteinte à la liberté d'autrui) peut impliquer le droit pour chaque individu de disposer librement de ses droits fondamentaux, et à ce titre décider de renoncer à de tels droits76(*). Autrement dit, est ce que les bénéficiaires de la CEDH peuvent refuser de se voir appliquer la protection de la convention contre leur gré77(*) ? Une telle problématique est juridiquement très complexe en raison notamment de la polysémie de la notion de renonciation78(*), de la nature et de la substance de la garantie en cause, mais aussi des différents acteurs pouvant s'en prévaloir. En effet, si ce sont bien les titulaires de droits qui peuvent souhaiter ne pas se voir imposer une protection dont ils ne veulent pas, la renonciation peut également être invoquée par l'Etat garant de leur respect79(*). Les autorités nationales pourraient ainsi entendre justifier leurs manquements dans la protection effective des droits fondamentaux en affirmant que la violation est survenue parce que la personne placée sous leur juridiction a exercé sa faculté de renoncer à une telle protection80(*). Cependant, nous ne nous intéresserons dans le cadre de cette analyse qu'à la seule hypothèse ou l'individu est celui qui se prévaut de la renonciation à son droit pour justifier son comportement ou sa requête. Notons tout de même qu'un tel argument, lorsqu'il est invoqué par l'Etat, est généralement considéré comme suspect81(*) et ne sera en tout cas jamais retenu au motif qu'il aurait suffi que la personne agisse autrement pour ne pas être victime d'une violation de ses droits82(*). Ainsi, la question de la renonciation par un individu à un droit confère par la CEDH peut s'appréhender de différentes manières selon la signification que l'on donne à ce terme. Nous nous bornerons ici à ne retenir que deux terminologies particulières dès lors qu'elles sont les plus appropriées à notre problématique. La première(a). La seconde consiste quant à elle à appréhender cette notion comme le refus d'exercer la prérogative en cause(b) A. La renonciation comme aspect négatif d'un droit ou d'une libertéIdentifier la notion de renonciation à l'aspect négatif d'une garantie consacrée par la CEDH implique de comprendre chacune des dispositions de la convention comme pouvant renfermer deux droits distincts. Le premier est alors celui qui se retrouve en tant que tel dans le texte Européen tandis que le second doit s'entendre comme le droit de ne pas se prévaloir du premier83(*). Une telle conception suppose donc l'existence dans le chef de l'intéressé d'un « droit de renoncer » qu'il faut déduire de chacun de ses droits fondamentaux. Cependant, une telle interprétation de la convention n'a pas été consacrée par la cour Européenne des droits de l'homme84(*). En effet, si cette dernière a reconnu un « droit négatif » à l'égard de certaines dispositions, elle s'est toutefois bien gardée d'en faire un principe général. Ainsi, la cour de Strasbourg a progressivement reconnu que l'article 11 de la convention85(*) garantit à la fois le droit positif d'exercer86(*). Le même constat a été opéré par la cour au regard de la liberté de penser, de conscience et de religion87(*) garantie par l'article988(*) ainsi que par la commission Européenne des droit de l'homme concernant le droit à la liberté d'expression89(*) consacré par l'article1090(*). Par contre, tel n'a pas été le cas concernant le droit à la vie puisque dans l'affaire de Pretty, la cour a expressément rappelé qu'un droit de mourir ne pouvait certainement pas être déduit de l'article2 de la convention91(*). Cependant, une telle acception de la renonciation ne fait pas l'unanimité. En effet, Mr Philippe Frumer considère pour sa part qu'assimiler l'existence d'un aspect négatif au sein de certains droits fondamentaux à la question de la renonciation relève d'une confusion qu'il faut à tout prix éviter92(*). Cette position, que nous partageons, nécessite que l'on retourne sur la jurisprudence de la cour afin d'en comprendre toute la portée. En effet, ainsi que nous l'avons souligné ci-avant, les juges de Strasbourg et la commission Européenne des droits de l'homme n'ont reconnu l'existence d'un aspect négatif que dans les seuls articles derniers 9, 10, 11 de la convention. Or, ces présentent incorrect d'identifier l'exercice du « droit négatif » déduit d'une disposition de la convention à une renonciation dès lors qu'il s'agit en réalité du simple exercice d'une liberté, « une certaine liberté de choix quant à l'exercice d'une liberté [étant] inhérente à la notion de celle-ci »93(*). Se voir reconnaitre une liberté d'action implique donc nécessairement de se voir garantir le choix d'agir ou de ne pas agir. Ainsi, les arrêts Youg, James et Webster c. Royaume-Uni, Sibson c. Royaume-Uni et Buscarini et autre c. Saint Marin se bornent uniquement à mettre en lumière l'existence de cette facette inhérent à l'exercice de toute liberté, alors que les arrêts Sigurdur A. Sigurjonsson c. Islande et Chassagna c. France portent quant à eux, non pas sur l'exercice d'une quelconque renonciation par les requérants, mais plutôt, en réalité, sur l'ingérence opéré par l'Etat dans l'exercice de leur liberté de ne pas s'associer, et qui se matérialise par l'obligation contraignante pour les intéressés de devoir s'affilier. Quant aux articles 2 et 8 de la convention, dès lors qu'ils ne consacrent pas le droit d'exercer une liberté mais bien le droit d'être protégé, l'objet de cette protection étant alors la vie d'une part et l'intégrité physique en ce qu'elle est comprise dans la notion de vie privée d'autre part, ces deux dispositions ne peuvent par nature pas renfermer en « droit négatif » puisque l'existence de ce dernier ne s'explique en réalité que par la nature même d'une liberté. Enfin, notons qu'une telle disqualification semble d'autant plus justifier qu'il est en fait possible de renoncer tout au versant positif qu'au versant négatif d'une même liberté. En effet, pour reprendre l'exemple de l'article 11, une personne peut aussi bien renoncer à s'affilier à une association que renoncer à une pas s'affilier94(*). Par conséquent, une telle hypothèse doit plutôt s'appréhender comme illustrant le refus dans le chef d'un individu d'exercer sa liberté à laquelle, donc, il renonce. * 76 O. DESCHUTTER, «waiver of right ans State paternalism under the European convention on Human Right» Nothem Ireland legal Quarterly, vol. 51, n°3, 2000, pp. 481 et 495 * 77 Ibidem, P. 495 * 78 Idem * 79 O. DE SCHUTTER, «International Human Right Law», Cambridge, Cambridge Univ. Press. 2010, p. 433 * 80 Ibidem, p. 434 * 81 Ibidem, p. 435 * 82 O. DE SCHUTTER, op cit. p. 485 * 83 Idem, International human right Law, Cambridge univ. Press. p. 495 * 84 Ibidem, p. 508 * 85 Art. 11, Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 * 86 Cour eur. D.H, arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 aout 1981, §2, http://www.echr.coe.int (2 juillet 2015). Cour eur. D.H, arrêt Sibson c. Royaume-Uni du 20 avril 1993, §29, http://www.echr.coe.int (2 juillet 2015) ; Cour eur. D.H, arrêt Sigurdur A. Sigurjonsson c. Islande du 30 juin 1993, §35, http://www.echr.coe.int (2juillet 2015) ; Cour eur. D.H, arrêt Chassagnon et autres c. int. (2 juillet 2015). * 87 Cour eur. D.H, arrêt Buscarini et autres c. Saint-Marin du 18 fév. 1999, §34, http://www.echr.coe.int (2 juillet 2015) * 88 Art. 9 de la convention... op. cit. * 89 Convention eur. D.H, rapport du 13 octobre 1992 concernant l'affaire K.C Autriche, §45, http://www.echr.coe.int (2 juillet 2015) * 90 Art. 10 de la convention... op. cit. * 91 Convention eur. D.H, arrêt Pretty c. Royaume-Uni, op. cit., p. 17 * 92 FRUMER P., « La renonciation aux droits et libertés, la CEDH à l'épreuve de la volonté individuelle », Bruxelles, bruyant, 2001 * 93 Cour eur. D.H, arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni, op. cit., §52 * 94 FRUMER P., op. cit., p. 17 note 74 |
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