Le retrait et la nullité du titre foncier au ministère des domaines, du cadastre, et des affaires foncières (mindcaf).par Ibrahim Moktar POUKO MEKOU Université de Dschang Cameroun - Master II Professionnel en Droit et Techniques Fonciers et Domaniaux 2014 |
CHAPITRE II : L'INTERVENTION URGENTE DES POUVOIRS PUBLICS FACTEUR DE REDUCTION DE LA FREQUENCENous nous sommes attelés dans le chapitre précédent à présenter les facteurs qui aggravent la fréquence de la sanction du titre foncier. C'est un ensemble de problèmes qui sont en majorité liés aux mentalités des uns et des autres, et dans une moindre mesure aux textes. Ces facteurs sont de nature à accélérer la croissance de l'insécurité foncière dans notre pays. Les textes législatifs et règlementaires étant une oeuvre humaine, les titres fonciers irréguliers et les titres nuls sont donc de façon globale, un véritable problème d'hommes. Présentés comme tels, il nous revient de proposer des solutions durables au phénomène dans ce dernier chapitre de notre mémoire. Ainsi, nous appelons à la prise de conscience de tous et de chacun des camerounais de façon générale. Cependant, nous vivons quand même dans une société organisée et hiérarchisée. Les efforts individuels ne peuvent prospérer que, dans la mesure où l'objectif visé est l'intérêt général. Cette dernière notion au coeur du droit public appelle à la renonciation à une partie des droits personnels, au profit de l'intérêt collectif. Sachant que les décisions qui ne font pas l'unanimité ne peuvent dans notre contexte être prises que par un pouvoir souverain, nous nous tournons vers l'Etat camerounais. Son administration a d'ailleurs une grosse part de responsabilité dans l'établissement des titres fonciers illégaux111(*). Il lui revient donc l'énorme responsabilité de redonner au titre foncier toute sa crédibilité. Il y va de l'intérêt de sa politique économique et sociale. Car, aujourd'hui, le titre foncier est la garantie la plus sûre qu'exigent les banques, pour octroyer des crédits112(*). Si ce dernier devient un instrument d'arnaque, d'une force juridique et probante relativement douteuse, la faillite de ces banques sera inéluctable, et l'émergence du Cameroun tant souhaité, demeurera sans aucun doute, un simple slogan politique113(*) ou pire, un rêve irréalisable. Cette vision que nous avons des choses, nous amène à appeler avec insistance à une intervention urgente des pouvoirs publics sur un double plan : D'abord sur le plan d'une moralisation des citoyens114(*)et d'une redynamisation du personnel administratif du MINDCAF (section I), ensuite sur le plan juridique avec la mise à jours des textes fonciers et domaniaux (section II) SECTION I : L'URGENCE D'UNE MORALISATION DES CITOYENS ET LA REDYNAMISATION DU PERSONNEL ADMINISTRATIFL'insécurité foncière rejoint le grand nombre de problèmes que connait notre pays en raison de la crise des moeurs. Le grand banditisme et l'incivisme se développent en aval, tandis que La corruption, les détournements de fonds publics, le favoritisme, le tribalisme, les abus de pouvoir et trafic d'influence caractérisent en amont ceux qu'on appelle « les monstres à cols blancs ». On ne sait plus où donner de la tête. Des efforts sont certes fournis par les pouvoirs publics, mais ils s'avèrent insuffisants au regard des résultats sur le terrain. A cet effet, nous n'avons pas la prétention de proposer des solutions miracles. Nous souhaitons renforcer des efforts déjà louables pour certains. Ce sont d'abord de nouvelles mesures de lutte contre la corruption qui doivent être accompagnées d'une application sérieuse des sanctions disciplinaires et pénales (paragraphe I), et ensuite les moyens de redynamiser le personnel de l'administration foncière, domaniale et cadastrale (paragraphe II). Paragraphe 1 : De nouvelles mesures de lutte contre la corruption et l'application sérieuse des sanctions disciplinaires et pénalesSelon l'ONG (Organisation Non Gouvernementale) Transparency international, « La corruption est l'abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées ». Elle la définit également comme « l'abus du pouvoir au profit de l'enrichissement personnel ». D'après le législateur pénal camerounais, La corruption c'est tous actes ou pratiques qui consistent pour quiconque fonctionnaire ou non, agents publics étrangers ou non à offrir, solliciter, agréer ou recevoir des promesses, dons ou présents, faveurs, avantages, rétribution en espèce ou en nature, pour lui-même ou pour tiers pour faire, s'abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction115(*). Il la définit encore comme étant le fait que « tout fonctionnaire ou agent public qui sollicite ou accepte une rétribution en espèce, en nature, pour lui-même ou pour un tiers en rémunération d'un acte déjà accompli ou d'une abstention passée ».116(*) D'autres infractions sont assimilées à la corruption : Il s'agit de l'intérêt dans un acte (article 135 du code pénal), de la participation dans une affaire (article 136), de la concussion (article 137) et du trafic d'influence (article 161). Toutes ces infractions invitent le fonctionnaire camerounais au respect scrupuleux de la morale, de l'éthique et de la déontologie professionnelle. Ces fonctionnaires ont toujours tendance à vivre au dessus de leurs moyens, à mener une vie luxueuse. Ils multiplient les épouses, les concubines, les enfants, les voitures, les maisons et créent de nombreux comptes bancaires. On veut mener une vie d'hommes d'affaires avec un statut de fonctionnaire, en rendant la vie difficile aux concitoyens à qui on doit rendre des services en principe gratuits. Certains déclarent d'ailleurs qu'ayant déboursé de grosses sommes d'argent avoir un matricule, on ne peut plus se permettre de vivre comme un pauvre. Voila qui explique la légitimation de la conduite laxiste des dirigeants. Toutes les couches de la société sont trempées, obligeant le gouvernement à faire quelque chose. Ce phénomène, du fait de son caractère odieux, inhumain et criminel dans le sous-développement et la misère des populations, doit être dénoncée, poursuivie et punie comme un crime contre l'humanité par tous les moyens ». A ce propos, la mise sur pied de la Commission Nationale Anti Corruption (CONAC) est une bonne initiative. Elle traduit d'ailleurs la volonté des pouvoirs publics camerounais à lutter contre la corruption. Mais cette institution n'a pas les armes nécessaires pour affronter un ennemi aussi redoutable que la corruption. Elle n'a qu'un pouvoir de constat des actes de corruption et aucune force juridique dissuasive dans la répression. Nous pensons donc que, constater les actes de corruption ne suffit pas. Il faudrait en plus que, les hauts responsables de l'administration foncière (notamment l'inspecteur général) et le pouvoir judiciaire, accentuent l'application stricte des sanctions disciplinaires et pénales contre les agents publics véreux (A), tout en veillant à une publicité sérieuse de ces sanctions et leurs motifs pour dissuader (B). A. L'accentuation de la rigueur dans les sanctions et l'effort dans la justice socialeCeci passe d'abord par une application stricte des sanctions disciplinaires et pénales contre les agents véreux (1), ensuite par la réparation du préjudice subit par les propriétaires de bonne foi (2), pour la justice sociale. 1- L'application stricte des sanctions disciplinaires et pénales Le décret de 2005 précité en prévoit déjà en ces termes « Les agents publics reconnus auteurs ou complices des actes irréguliers ayant entraîné le retrait ou la constatation de nullité d'un titre foncier, sont sanctionnés conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 80/22 du 14 Juillet 1980 portant répression des atteintes à la propriété foncière et domaniale »117(*). Mais cette loi est très peu appliquée à l'endroit des agents publics dont il est question. En effet, il est difficile de donner l'exemple concret d'agent publics reconnus auteurs ou complice d'actes irréguliers ayant entrainé le retrait ou la constatation de nullité d'un titre foncier. On n'en trouve presque pas. L'arrêté du MINDCAF sanctionnant le titre foncier ne dit mots sur le sort de ces agents. Nous n'avons pas pu avoir une décision sanctionnant ce type d'agent public. Il est donc très important, que des sanctions disciplinaires soient prises à leur encontre, et ceci à la suite de l'acte de retrait ou de constatation de nullité du titre foncier. Que ces agents, en fonction de la gravité de leurs actes et en application de la règlementation en vigueur, soient poursuivis pénalement. Car les sanctions pénales sont, comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, peu efficaces et quasiment inappliqués ; donc, pas très dissuasifs. Sur le plan pénal, l'article 135 réprimant l'intérêt dans un acte, souligne clairement qu'un fonctionnaire coupable de ce délit est puni d'un emprisonnement de 1 à 5 ans et d'une amende de 200.000 à 2.000.000 F CFA. Parlant de la participation dans une affaire, participation qui consiste au financement ou à la participation à une activité peu orthodoxe, le législateur punit tout coupable de la peine de 6 mois à 2 ans et d'une amende de 20.000 à 1.000.000 F CFA. S'agissant de la concussion du fonctionnaire, l'article 137 du code pénal punit de 2 à 10 ans d'emprisonnement et d'une amende de 20.000 à 2.000.000 F CFA toutes personnes coupables de cette infraction. Mais ces sanctions ne sont pas appliquées contre les agents publics en question. D'aucuns évoquent même l'absence de preuve en matière de corruption. Mais en matière foncière, le titre foncier irrégulier ou nul du fait d'un agent public reconnu auteur ou complice des irrégularités ayant entrainé cette illégalité n'est il pas une base légale solide ? C'est ce sentiment d'impunité qui augmente la fréquence de l'anéantissement du titre foncier dans notre pays. Le titre foncier est sanctionné, alors que son irrégularité cause des dommages qui méritent d'être réparés. 2- la réparation du préjudice subit par les particuliers de bonne foi D'après l'art 1384 al 16 du code civil camerounais, l'auteur d'un fait dommageable doit être condamné à des dommages-intérêts envers la victime dès lors que celle-ci a rapporté la preuve d'une faute à la charge du défendeur, d'un préjudice et la relation de cause à effet entre la faute et le préjudice. Les maîtres et les commettants sont responsables non seulement du dommage causé par leurs préposés dans l'exercice de leurs fonctions, mais encore, dans certaines conditions, du dommage résultant de l'abus de ces fonctions118(*). L'article 1382 du code civil camerounais dispose que, « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Or, l'annulation du titre foncier en général par le fait de l'administration ou de son préposé cause de graves dommages au particulier de bonne foi. Ce préjudice devrait être réparé119(*) par l'administration. Car, le motif du retrait qui est la faute de l'administration suffit à lui seul pour engager sa responsabilité civile et ouvrir droit à réparation. Mais en l'état actuel des choses, seul le titre foncier est sanctionné et non les auteurs de l'acte. Le préjudice du titulaire de bonne foi est pourtant certain, direct et immédiat. En bref, en cas de retrait ou de constatation de nullité du titre foncier par la faute de l'administration, et en cas de bonne foi du titulaire du titre en cause, ce dernier devrait être indemnisé conformément à la loi. * 111 Le retrait du titre foncier est causé par la faute de l'administration, et la fraude du bénéficiaire. Les titres foncier nuls d'ordre public sont également une faute de l'administration. Elle délivre des titres fonciers sur les domaines de l'Etat, des titres arbitraires. Sa part de responsabilité est donc très grande. * 112 Dans un pays en plein développement comme le Cameroun, le crédit bancaire est le poumon de l'économie * 113 D'après le pouvoir en place, le Cameroun est un vaste chantier dans lequel les autorités politiques oeuvrent pour « l'émergence à l'horizon 2035 ». * 114 Par citoyens, nous entendons à la fois les particuliers et les agents de l'Etat. * 115 D'après l'article 134 alinéa 1 du code pénal camerounais * 116 Selon l'alinéa 3 de l'article 134 op.cit * 117 Article 2 alinéa 8 du décret de 2005 /481 op.cit * 118 CS, Arrêt n° 16 du 21 Octobre 1969, Bullet in des arrêts n° 21, p. 2497 et CS, Arrêt n° 32 du 13 Avril 1978, Bulletin des arrêts n° 39, p. 5853. CS, Arr. n ° 60 du 15 Décembre 1970, bull. des arrêts n° 23, p. 2789 * 119 En application de l'article 1382 du code civil su cité, au regard du principe de l'égalité de tous devant la loi, l'administration étant elle aussi un justiciable. |
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