Le retrait et la nullité du titre foncier au ministère des domaines, du cadastre, et des affaires foncières (mindcaf).par Ibrahim Moktar POUKO MEKOU Université de Dschang Cameroun - Master II Professionnel en Droit et Techniques Fonciers et Domaniaux 2014 |
B. Les géomètres du cadastre et conservateurs fonciersAprès la commission consultative présidée par le sous-préfet, viennent en matière de corruption, les géomètres (a) et les conservateurs fonciers (b). a- Les géomètres du cadastre Le cadastre « a pour mission de grouper l'ensemble des documents qui permettent de recenser, définir, situer, représenter et suivre dans sa transformation et sa mutation la propriété foncière et tout ce qui s'y rattache normalement ». Il est dit fiscal s'il a pour objet la perception d'un impôt, la base d'imposition de chaque terrain y est alors définie ; juridique s'il a pour objet la définition des droits sur le sol et, en particulier, la délimitation des propriétés et l'identification des propriétaires ; technique ou domanial s'il a pour objet la gestion de l'espace92(*). Dans notre contexte, il s'agit plus du cadastre technique. En effet, comme nous l'avons dit à l'introduction générale, notre stage académique a consisté, en un passage dans les services qui touchent de près ou de loin le contentieux de mise en cause du titre foncier. Nous avons donc eu des entretiens avec des responsables de la direction du cadastre. C'est ainsi que, loin de nier en bloc leur grosse responsabilité dans le non respect de la procédure d'obtention du titre foncier, ils nous ont éclairés davantage. Il ressort à l'analyse de leurs propos, des conclusions allant dans le sens d'un auteur qui dit que : « L'erreur est sans doute humaine, et cet argument pourrait être avancé pour justifier le comportement des géomètres qui laissent entrer les dépendances du domaine de l'État dans les propriétés privées. Mais la thèse d'une erreur ne saurait prospérer en faveur des professionnels aguerris aux questions de délimitation que sont les géomètres. Il s'agirait à notre sens, beaucoup plus des " erreurs " recherchées et voulues, et donc teintées de mauvaise foi, plutôt que des cas fortuits. »93(*) Les bornages clandestins constituent la principale exaction des géomètres. Ils se refusent au su et au vu de tous, d'effectuer le bornage en présence de la commission consultative ou de la commission ad hoc désignée par le président de la commission consultative94(*). Le géomètre choisi de revenir à une date ultérieure terminer l'opération. Ce qui est contraire aux textes95(*). Car, en principe, il doit, dès que la commission consultative constate que l'occupation du terrain est effective, procéder au bornage immédiat96(*). Aucun bornage ne doit se faire part le géomètre seul, mais toujours au sein de la commission et en présence des riverains. Il ne peut non plus procéder au bornage le samedi et dimanche, les jours fériés, ou bien la nuit. A l'issue du bornage, un plan et un procès verbal doivent être dressés par le géomètre qui les signe. Le procès verbal quant à lui doit se voir apposer, outre la signature du géomètre, celle du président de la commission consultative, du chef de service départemental des affaires foncières, du chef du village concerné et des riverains. Mais en pratique, le procès verbal est signé par tous les membres alors que les plans cadastraux ne sont pas encore dressés. Et quand bien même ils le seront en l'absence de ces personnes, et sans leurs signatures respectives, ils rendront nulle toute la procédure, et le titre devra alors être retiré pour vice de procédure, imputable à toute la commission consultative, et particulièrement au géomètre. Certains d'entre eux sont souvent des géomètres non agrées et non assermentés. Lors de notre entretien avec un chef de service de la direction du cadastre, celui-ci nous a fait des révélations sur les difficultés de leur service en ces mots : « Le Cameroun est une bombe foncière à retardement. Les nouvelles recrues de l'opération de 25000 jeunes à la fonction publique lancée par le chef de l'Etat, nous posent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent. Peu soucieux du travail bien fait, ils ne cherchent qu'à se remplir les poches et sont à la quête du moindre avantage qu'offre le service. C'est ainsi que beaucoup sont désignés par leurs parrains pour effectuer des travaux réservés aux géomètres assermentés, alors qu'ils n'ont même pas la qualité de géomètre. Pendant que des ingénieurs comme nous sont assis dans des bureaux. Ils utilisent des appareils dont ils ignorent la technicité, et commettent des erreurs irréparables, qui salissent davantage la réputation de la profession, déjà mise à mal »97(*). « C'est toujours de connivence avec le requérant que le géomètre enfreins la loi. Lors des lotissements, il arrive que le vendeur nous demande de surestimer la superficie des lots, pour tromper les acheteurs. Celui-ci croira alors acheter par exemple 1000 m2, alors qu'en réalité la superficie est de 750 ou 800 m2. Seul un autre géomètre peut vous donner la superficie exacte du terrain »98(*). Ceci nous permet de comprendre que, les géomètres ne contestent pas les reproches qui leur sont faits. En effet, parmi eux il y'en a qui aiment leur travail et le font par passion et moins pour l'amour de l'argent. Mais en majorité, le service du cadastre est investi par la corruption et le favoritisme que leurs efforts sont semblables à un grain de sable dans la mer. Les efforts des dirigeants doivent constamment faire face à l'éternel problème de corruption et de favoritisme qui ont, jadis, fait de notre pays une triste célébrité internationale. b- Les conservateurs fonciers Le conservateur foncier est un cadre de l'administration, chargé de constater les droits fonciers réels sur un immeuble, de les inscrire dans le livre foncier et de délivrer en conséquence un titre foncier. Il faut d'emblée souligner qu'il n'existe pas encore un texte fixant le statut des conservateurs fonciers. Ce texte nous aurait fixé sur le niveau de qualification professionnelle requis. La seule certitude est que toute personne nommée comme conservateur foncier titulaire ou intérimaire doit au préalable accomplir la formalité de prestation de serment prévu par la réglementation99(*). Il jure ainsi devant le juge de remplir ses fonctions avec exactitude et probité. Voila ce qui marque l'importance de la profession de conservateur. En effet, chaque cas d'immatriculation donne lieux à l'établissement, par le conservateur foncier, d'un titre foncier, comportant : - la description de l'immeuble, avec indication de sa consistance, sa situation, ses limites ; - l'indication de l'état civil du propriétaire ; - les droits réels immobiliers existants sur l'immeuble et les charges qui le grèvent. Chaque titre foncier porte un numéro d'ordre et un nom particulier. Le plan de l'immeuble y est annexé100(*). Mais que reproche-t-on au juste aux conservateurs fonciers ? Leur mission de tenue et de conservation du livre foncier est très délicate. La violation de l'une des conditions sus citées par le conservateur foncier engage sa responsabilité et peut causer un tort énorme à la société. Malheureusement, c'est ce qui arrive très souvent. En effet, aucun numéro d'ordre ne devrait en principe être attribué à un titre foncier sans être associé à un nom, et un plan de l'immeuble dressé par un géomètre du cadastre avec des cordonnées fiables et vérifiables. Mais en pratique, on retrouve dans nos grandes métropoles, des actes qualifiés de « titres fonciers sans assiettes foncières ». Ce sont sans doute de faux titres fonciers qui apparemment sont authentiques, mais dont les coordonnées ne correspondent qu'à des terrains imaginaires. C'est un instrument d'arnaque, crée par le conservateur foncier, en complicité avec des géomètres véreux pour dépouiller des citoyens non avisés ou arnaquer les banques. Le scénario est le suivant : une plaque ou une affiche est postée à un carrefour ou à un endroit très fréquenté, indiquant un terrain à vendre dans un autre quartier, titre foncier à l'appui. Le message est souvent suivi d'un contact téléphonique. Une fois contacté, les bourreaux vont amener leur victime sur un terrain objet d'un titre authentique (parfois avec la complicité du véritable propriétaire qui ne devra se manifester comme tel qu'une fois l'affaire conclue) et la vente sera conclue. Le véritable titre foncier sera branlé quand des travaux seront entrepris par l'acquéreur, en vu de construire ou de rénover les constructions existantes. Lorsque les cordonnées sont vérifiées en vu de déterminer le véritable propriétaire, il s'avère que le terrain du faux titre foncier se localise soit dans un fleuve, soit dans un quartier où tous les lots sont attribués. Dans d'autres cas on retrouve dans le livre foncier des numéros sur des pages vierges, c'est-à-dire des titres fonciers sans propriétaire. Vous vous demanderez tout de suite en quoi cela pose un problème. La réponse est techniquement simple à expliquer. Avec le même numéro, le conservateur en question, même à la retraite pourra délivrer un nombre illimité de titres fonciers de connivence avec un géomètre de son genre. Nous devons dire que tous ces titres fonciers en circulation encourent des sanctions de la part du MINDCAF et du juge administratif. Mais ce que nous déplorons c'est l'insuffisance de sanctions pénales contre ces cadres de l'administration qui accentuent l'insécurité foncière dans notre pays. En effet, en parcourant la législation foncière et le code pénal camerounais, on retrouve rarement les dispositions qui répriment une attitude malveillante du Conservateur de la propriété foncière. De manière générale, en dehors de la violation du serment consistant en une faute dans l'accomplissement des obligations de sa charge qui pourrait être sanctionnée sur le terrain du faux en écriture de l'article 314 du Code Pénal, rien ne semble faire penser que les actes du Conservateur peuvent être pénalement réprimés101(*). Ce qui est tout à fait déplorable. Avec ces sociétés de promotion immobilières sans sièges fixes qui prolifèrent, avec ces arnaqueurs qui arrivent à obtenir par la corruption et tout autre moyen des titres de propriété à des fins antisociales, nous ne pouvons qu'appeler à la vigilance des camerounais. Les gardiens de la propriété foncière deviennent des prédateurs, des bandits à col blanc, dans un siècle où, obtenir un lopin de terre n'est plus une partie de plaisir. Il faut comprendre sans effort, que le recours à des experts bien formés en matière foncière que nous sommes n'a désormais plus de prix, ce n'est d'ailleurs plus une option. * 92 TIENTCHEU Njiako André, Droits réels et domaine national au Cameroun, pp. 77-78 * 93 TCHAPMÉGNI Robinson, thèse de doctorat 11 juillet 2008, op.cit * 94 Conformément à l'article 13 alinéa 7 du décret no2005/481précité qui dispose que : « Lorsque le bornage ne peut être achevé en présence de l'ensemble des membres de la commission consultative, le président de ladite commission désigne un comité ad hoc qui supervise les travaux de bornage jusqu'à leur achèvement. Le chef de village et un notable du lieu font obligatoirement partie de ce comité» * 95 À l'alinéa 8 de l'article 13 sus cité qui stipule à cet effet que : « A peine de nullité, aucun bornage d'immatriculation ne peut être effectué par le géomètre seul » * 96 Alinéa 6 de l'article 13 précité : « En cas d'occupation ou d'exploitation effective, la commission consultative fait immédiatement procéder au bornage de l'immeuble par un géomètre assermenté du cadastre, en présence des riverains. Les frais du bornage sont à la charge du requérant. » * 97 Entretien avec le chef de service des travaux cadastraux, direction du cadastre, MINDCAF. * 98 Entretien avec les géomètres du service du cadastre de Foumban * 99 l'article 5 de l'arrêté du 24 mars 1934 relatif à l'application du décret du 21 juillet 1932 instituant au Cameroun le régime foncier de l'immatriculation prescrit que : « Tout conservateur titulaire ou intérimaire entrant en fonction est tenu de prêter, devant le président du tribunal de première instance ou le juge de paix à compétence étendue de sa résidence, serment de remplir ses fonctions avec exactitude et probité, ou de justifier d'une prestation de serment antérieure » * 100 Docteur MIENDJIEM Isidore Léopold, chargé de cours à l'université de Dschang, cours de publicité et conservation foncière ; année académique, 2011/2012 * 101 Dr ASSONTSA Robert, Chargé de Cours à la FSJP de l'Université de Dschang ; cours de droit pénal foncier et domanial, année académique 2011/2012 |
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