§2. Quelques jurisprudences en la matière
A. La jurisprudence Congolaise
Au cours de ce point, nous sommes obligé de garder
secret, l'identité des parties ; c'est pourquoi, nous utiliserons les
concepts « ECL » et « victime » pour
désigner les parties.
a) Décision RECL 302
1° Parties au procès
Ministère public contre l'enfant en conflit avec la loi
(ECL).
2° Prévention.
- viol d'enfant : faits prévus aux articles
170 et 171 de la loi portant protection de l'enfant.
3° Résumé des faits
Il est reproché à l'ECL d'avoir multiplié
des rapports sexuels avec la victime âgée de 16 ans qui s'est
retrouvée avec une grossesse.
4° Prétentions des parties
- Partie civile : le droit doit être
appliqué, du fait que l'enfant en conflit avec la loi avait entretenu
des relations sexuelles avec une personne qualifiée de mineure par la
loi portant protection de l'enfant et par différents instruments
internationaux ratifiés par la RDC, c'est-à-dire, personne de
moins de dix-huit ans. Il est à signaler que devant l'OMP, la victime a
déclaré qu'elle a actuellement l'âge de 18 ans et elle a
toujours « consenti » à l'acte. Mais elle reconnait que leurs
relations sexuelles ont commencé alors qu'elle était encore
mineure, à l'âge de 16 ans.
- Partie prévenue : l'ECL a reconnu les faits
lui reprochés sans ambigüité en disant qu'ils s'aiment
beaucoup et ils se sont promis le mariage et ne savaient pas que la grossesse
pouvait arriver.
- Pour le ministère public, les faits sont
établis. Ainsi, il demande de faire application de l'article 131 point 1
combiné à l'article 119 de la loi portant protection de
l'enfant.
5° Discussion en droit
Les faits tels qu'exposés sont constitutifs de
manquement, qualifié d'infraction de viol d'enfant prévue et
punie aux articles 170 et 172 de la loi portant protection de l'enfant, en se
référant également à l'article 2, point 1 de la
même loi, qui fixe l'âge à 18 ans. Par rapport à
l'infraction de viol, les faits sont constants, il y a eu rapprochement sexuel
sur une enfant dont
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le consentement est inopérant. En plus, l'enfant en
conflit avec la loi a avoué les faits lui reprochés sans
atermoiement
6° Position du juge
Statuant contradictoirement à l'égard de l'ECL
et par défaut à l'égard de la partie civile, dit
établi en fait comme en droit, le manquement qualifié
d'infraction de viol par la loi pénale tel que retenu à charge de
l'ECL, le réprimande et le rend à sa famille avec injonction
à ses parents de bien le surveiller à l'avenir. Condamne ses
parents au paiement de la somme de 600 000 fc (six cent mille francs congolais)
à titre de dommages-intérêt77.
7° Appréciation personnelle
Malgré une motivation insuffisante du jugement, le juge
a usé d'une bonne équité en décidant de rendre
l'enfant en conflit avec la loi au sein de sa famille en tenant compte de la
nature de la relation avec la victime. Comme dit tantôt par l'ECL qu'ils
s'aimaient tant, la rigueur de la loi lui a peut-être permis de commettre
un manquement clandestin, car l'évolution naturelle d'un enfant
rencontre autant des contraintes irrésistibles.
77 RECL 302, Ministère public contre l'ECL, TPE
de Goma, 31 août 2018.
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b) Décision RECL B 315
1° Parties au procès
Ministère public contre l'enfant en conflit avec la
loi.
2° Prévention.
- viol d'enfant : faits prévus aux articles
170 et 171 de la loi portant protection de l'enfant.
3° Résumé des faits
L'ECL est poursuivi pour avoir, à MUGUNGA, en date du
22 mai 2018, abusé sexuellement de la victime âgée de 12
ans, dans la maison des parents de la victime, car ces derniers étaient
absents et il n'y avait personne d'autre.
4° Prétentions des parties
- Partie civile . l'ECL a entretenu des relations
sexuelles avec leur fille, alors que cette dernière avait l'âge de
12 ans. Ainsi, les articles 170 et 172 de la loi de 2009 portant protection de
l'enfant doivent être appliqués pour redresser l'auteur de
l'acte.
- Partie prévenue . l'ECL n'a pas reconnu les
faits, en disant que, c'est plutôt la grande soeur de la victime qui est
sa copine et elle est âgée de 25 ans.
5° Discussion en droit
Les faits tels qu'exposés sont constitutifs de
manquement qualifié d'infraction de viol d'enfant prévu et puni
aux articles 170 et 172 de loi portant protection de l'enfant. Dans le cas sous
examen, l'ECL a nié les faits, mais le rapport d'expertise
médico-légale conclue à une infection génitale et
à une lacération au niveau de l'hymen bien cicatrisée vers
6h. Ce qui corrobore avec la déclaration de l'enfant victime.
6° Position du juge
Statuant contradictoirement à l'égard de l'ECL et
de la partie civile;
Dit établi, en fait comme en droit le manquement
qualifié de viol d'enfant par la loi pénale. En
conséquence, met l'ECL dans l'EGEE/Goma pendant une période de
six (6) mois à dater de ce prononcé, et condamne son civilement
responsable notamment son père, à défaut sa mère,
au paiement de la somme de 680 000 fc (six cent quatre-vingt mille francs
congolais) à titre de réparation78.
78 RECL B 315, Ministère public contre l'ECL,
TPE de Goma, 18 février 2018.
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7° Appréciation personnelle
En analysant cette jurisprudence, le juge a fait le droit
à l'égard de la victime Christelle qui, au moment de la
commission de l'acte, la victime avait l'âge de 12 ans, un âge
à partir duquel le consentement ne peut être
présumé. La communauté juridique se trouve dans la
difficulté de bien apprécier la décision prise par le
juge, car ce dernier n'a pas pris soin de motiver sa décision, car
l'exigence de la motivation est une obligation constitutionnelle79,
et l'article 87 du code de procédure pénale n'a fait que
reprendre l'esprit du constituant. Or la motivation est l'âme des
jugements, l'arme contre l'arbitraire, la clef de la cohérence des
jugements80. Elle consiste en l'indication des raisons qui ont
poussé le juge à prendre sa décision, c'est-à-dire,
les motifs doivent permettre de discerner les raisons pour lesquelles le juge a
tranché le litige comme il l'a fait. Il faut donc que le motif soit
clair, non ambigu et pertinent81.
Par contre, le juge se montre passif lors de l'instruction, du
fait que son jugement ne se fonde que sur les seuls arguments que la partie
civile allègue, sans chercher à trouver d'autres
réalités sur le dossier, en posant des questions sur la relation
entre l'ECL et la grande soeur de la victime, afin de trouver si la
prétendante belle-famille était pour cette
relation.
Pour ne pas stagner sur un même point, l'annexe nous
réserve encore d'autres jurisprudences se rapportant aux manquements
qualifiés de viols d'enfants par la loi pénale.
79 Constitution de la RDC, Op. cit, Article
21.
80 Télesphore KAVUNDJA MANENO, Droit
judiciaire congolais : Procédure pénale tom II, UNIGOM,
2019, P.427.
81 Ibidem.
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B. La jurisprudence française
Contrairement au point précédent (A), il est
nécessaire pour nous de préciser l'identité des parties
pour éclairer les affaires qui nous sont étrangères
(françaises).
a) Affaire G23
Kelly, 14 ans, révèle à une enseignante
avoir subi des attouchements sexuels au collège par Karim, 13 ans. Elle
déclare avoir été forcée à entrer dans les
toilettes des garçons par Karim qui lui aurait demandé une
fellation : « Il me demandait de lui sucer le sexe mais j'ai toujours dit
non il m'a donc saisi la main droite et il a porté cette dernière
au niveau de son sexe ». La vulnérabilité de Kelly est
attestée dans l'expertise psychologique : « sujet en situation de
vulnérabilité psychique qui est donc fragile ». Quant
à Karim, il reconnait les faits mais sur la base d'un jeu : « Je
voulais lui redemander pour qu'elle me suce mais pour rigoler, car je ne
voulais pas en vrai [...] Je lui ai bien demandé si elle suce mais en
m'amusant, je ne voulais pas le faire, je l'ai peut-être un peu
poussée dans les toilettes mais voilà sans plus, et quand elle a
voulu m'embrasser, j'ai ouvert la porte et elle est partie ». Il est
reconnu responsable pénalement par l'expert psychiatre, sans
altération aucune du discernement.
Sous l'impulsion des questions des enquêteurs, au cours
d'une deuxième audition Karim passe aux aveux : «
L'enquêteur . · Tu l'as
forcée en lui tirant la main ou elle l'a fait d'elle-même
? Karim . · Je lui ai pris la main et je l'ai
amenée sur mon pantalon. L'enquêteur . ·
Kelly s'est laissée faire ? Karim . · Non, elle
essayait un peu de m'empêcher. L'enquêteur : Dans
les toilettes tu lui as redemandé pour qu'elle te suce ?
Karim : Oui une fois, mais elle a pas répondu, enfin je pense
qu'elle a dit non je ne sais plus. J'ai tiré un peu Kelly par le bras et
Sofian m'a un peu poussé par derrière pour m'aider à
entrer dans le WC avec Kelly et après j'ai fermé à clef
[...] L'enquêteur . · Tu ne crois pas qu'elle a
eu peur ? Karim : Non je ne pense pas elle rigolait au
début et même dans les toilettes, mais après elle ne
rigolait plus quand j'ai fermé la porte mais elle ne pleurait pas non
plus, elle ne disait rien. L'enquêteur : Pourquoi avoir
menti tout à l'heure ? Karim . · Parce que j'ai
cru que j'allais m'en sortir comme cela mais c'est mieux de dire toute la
vérité ». Cependant, revirement de ses
déclarations, lors de sa première comparution devant le juge des
enfants, Karim réfute massivement la contrainte et avance l'idée
d'une sollicitation de la part de Kelly : « à
l'intérieur des toilettes, Kelly a essayé de m'embrasser mais je
n'ai pas voulu, je lui ai ensuite pris la main pour rigoler et je l'ai mise sur
mon pantalon, sur la cuisse, je ne l'ai pas mise au niveau de mon sexe. Pendant
ce temps-là Kelly rigolait, elle a essayé à nouveau de
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m'embrasser, je ne voulais pas, et elle m'a donc
embrassé sur le menton et ensuite nous sommes partis ».
Devant l'éducateur de permanence, Karim se montre assez
réticent : « visiblement concernant la nature du délit,
Karim a tendance à minimiser l'impact de son geste sur la victime [...]
Vis-à-vis de la victime, peu de regret car selon lui, elle semblait
être consentante ». Malgré ces revirements, les magistrats
retiennent la version antérieure. Les juges décrivent ce qu'il y
a eu depuis le début : « attendu que le mineur est traduit devant
le TPE pour avoir, le 10 mars 2009, commis une atteinte sexuelle avec
contrainte sur la personne de Kelly, en procédant à des
attouchements de nature sexuelle, en l'espèce en tirant la main de cette
dernière pour qu'elle effleure le sexe du mis en cause par-dessus le
pantalon ». En effet, pour l'insistance de Karim, le fait qu'il ait «
tiré la main » de Kelly, le revirement de ses déclarations
vont faire pencher en faveur de l'agression plutôt que d'un simple jeu.
Les juges de fond ont suivi les réquisitions du parquet et
prononcé une admonestation ; sur l'action civile, Kelly a obtenu 500
euros de dommages et intérêts82.
Dans cette affaire, il n'y a pas d'écart d'âge
entre les mineurs. Les professionnels sont attentifs à d'autres
éléments du dossier qui vont caractériser l'abus. On est
en présence de deux adolescents qui se reconnaissent, de presque
même âge, qui ne sont pas majeurs sexuellement. L'affaire est
significative du problème de la « zone grise » du consentement
et de la preuve de son absence. La condamnation reste légère et
proportionnée. Dans ce cadre précis où les mineurs ne sont
pas majeurs sexuellement, la victime a moins de 15 ans, il n'y a pas
d'aggravation de l'infraction : les juges sanctionnent mais n'en rajoutent pas.
En revanche, dans l'affaire suivante, l'explication repose davantage sur la
vulnérabilité de la victime assimilée à un
écart d'âge.
b) Affaire N33
Evelyne 16 ans et Pablo 17 ans sont tous deux
hospitalisés dans un service de pédopsychiatrie. Pablo l'aurait
forcée à pratiquer une fellation durant leur séjour. Deux
autres garçons étaient présents, mais ne sont pas mis en
cause. Les faits sont qualifiés de viol puis d'agression sexuelle sur
personne vulnérable. Cette dernière déclare devant les
enquêteurs avoir subi une contrainte : « Pablo me forçait
à le faire en me disant que sinon il dirait à tout le monde que
je suis une pute ».
82 Affaire G23, Kelly contre Karim, TPE Nantes, 10
mars 2009.
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En revanche, Pablo reconnaît les faits dès sa
garde à vue mais sur la base d'un consentement mutuel : « Je lui ai
demandé de me sucer le sexe, elle a dit je ne sais pas, je lui
ai dit t'en fait pas personne ne nous verra [...]. On est descendu, on
était dans les escaliers, j'ai sorti mon sexe et elle est restée
debout et elle m'a sucé ». Il persiste devant le juge des enfants
« elle ne m'a pas dit non elle m'a dit je ne sais pas ».
Devant l'enquêteur, Evelyne répondit à quelques questions :
« L'enquêteur : Il t'a forcée
de plusieurs façons ? Evelyne : Il m'a forcé
seulement par la parole. L'enquêteur : Est-ce qu'il te
tenait ? Evelyne : Non. L'enquêteur :
Est-ce que tu t'es sentie forcée ? Evelyne : Oui.
L'enquêteur : Est-ce que tu l'as déjà fait
? Evelyne : Oui, avec mon copain. Pablo m'a dit de rien dire,
de dire que ce n'était pas vrai ou sinon il me tapait ».
Les deux garçons qui assistaient au commencement de la
scène sont pris comme témoins directs et les enquêteurs les
interrogent sur les faits. Le premier mineur témoin avance
l'idée que céder est consentir : «
L'enquêteur : Est-ce que pour toi Evelyne a
été forcée à le faire ? Le mineur (premier
témoin) : Ben non, pas beaucoup, parce qu'au bout de la
2ème fois elle a dit oui. L'enquêteur
: Peux-tu dire exactement ce que lui a demandé Pablo et de
quelle façon l'a-t-il fait ? A-t-il été agressif dans sa
demande ou menaçant ? Le mineur : C'est aucun des deux.
Il lui a juste demandé. Il lui a dit « tu me suces » et
puis elle, elle a dit non puis il lui a redemandé et elle a dit oui
[...] L'enquêteur : Que voudrais-tu ajouter à
cette affaire qui pourrait nous aider à découvrir la
vérité ? Le mineur : Elle avait envie si elle a
dit « oui », c'est tout ».
Tandis que le second mineur témoin envisage
qu'Evelyne ait pu renoncer à céder par peur :
« L'enquêteur : Sur quel ton parlait
Pablo à Evelyne ? Le mineur (second témoin) :
Normal, pas violent mais il insistait. L'enquêteur :
Est-ce que Evelyne elle était d'accord pour faire cela ? Le
mineur (second témoin) : Elle a dit oui à la
deuxième fois. Moi je ne sais pas, peut-être qu'elle avait peur de
Pablo ».
Lors de la mise en examen de Pablo, le juge des enfants
relève l'incongruité (inconvenance) de son
positionnement : « le juge : est-ce que tu
demanderais à une enfant de 12 ans de te faire une fellation ?
Pablo : non, jamais. Le juge : Pourquoi l'avoir
demandé à Evelyne alors que tu estimes que c'est une gamine de 12
ans ? Pablo : Parce qu'il n'y avait qu'Evelyne dans
l'établissement car Samantha avait dit non ». De plus,
s'ajoute une absence de critique de la part de Pablo comme l'a
souligné l'expert psychiatre : « les perspectives
thérapeutiques demeurent modestes devant le faible degré
d'autocritique »83.
83 Marie Romero, Op. cit, p.14.
31
Dans cette affaire, il n'y a aucun doute sur la
caractérisation de l'abus et Pablo est déclaré coupable.
Il est condamné par le tribunal pour enfant à 1 mois
d'emprisonnement : « pour avoir, le 2 décembre 2009, commis une
agression sexuelle imposée à une personne vulnérable,
Evelyne, née en 1993, et ce, en état de récidive
légale pour avoir été condamné par jugement
contradictoire du TPE le 18 septembre 2009, pour des faits similaires
»84.
À la lecture du dossier, on comprend qu'Evelyne,
même majeure sexuellement, reste très vulnérable comme le
souligne l'expertise psychologique : « fragilité narcissique qui
révèle une incontestable vulnérabilité psychique
[...] Si Evelyne a des repères éducatifs dont elle sait se servir
pour identifier les rapports sexuels, elle est cependant en difficulté
pour se protéger et résister à des propositions de cet
ordre, d'où sa vulnérabilité car elle ne sait pas bien se
positionner face à une contrainte sexuelle ». Un des garçons
témoin lui reconnait cette vulnérabilité : « Ce n'est
pas sa faute, elle est fragile » ; tout comme Pablo, mais en
discréditant largement Evelyne lors de ses déclarations devant le
procureur : « Evelyne est un peu bébête, je pense être
plus intelligent qu'elle. Elle parle comme une gamine de 12 ans ».
L'affaire est significative du problème de la «
zone grise » du consentement et de la preuve de son absence. Evelyne a 16
ans mais paraît avoir 12 ans. Cette vulnérabilité est
assimilée à un écart d'âge et
considérée par les juges comme une altération de
consentement. On voit bien dans cette affaire entre des adolescents de peu
d'écarts d'âge, commis sans violence ni contrainte, on punit ce
que les circonstances amènent à considérer comme abus.
Mais il apparaît aussi clairement derrière les discussions sur le
consentement, des asymétries de genre marquées : le
stéréotype de la fille perçue comme « facile »,
donc consentante, et l'affirmation d'un désir masculin, en droit «
d'obtenir » des faveurs sexuelles.
84 N33, Evelyne contre Pablo, TPE Nantes, 18 septembre
2009.
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