SECTION 2. L'AFFAIBLISSEMENT DES GARANTIES
En dépit des garanties dont elle est
auréolée par les textes, la Cour constitutionnelle n'a pas encore
convaincu quant à son indépendance vis-à-vis des pouvoirs
politiques. Une analyse de sa jurisprudence (§2) encore une certaine
politisation (§1).
§1. Politisation par la nomination
Nous avons défini un organe de politique par la
nomination ou désignation de ses membres par les autorités
politiques aussi bien du pouvoir législatif qu'exécutif. Ainsi,
comme remarquait Hans Kelsen « son indépendance vis-à-vis du
Parlement comme vis-à-vis du gouvernement est un postulat
évident. Car ce sont précisément le Parlement et le
gouvernement qui
21
doivent être, en tant qu'organes participant à la
procédure législative, contrôlés par la juridiction
constitutionnelle»42. Or, l'indépendance est
essentiellement la conséquence du statut de la juridiction et de ses
membres. Charles Eisenmann a ainsi souligné que «
l'indépendance -qualité juridique- ne tient pas tant au mode de
nomination qu'au statut des juges une fois nommés : ce qui importe
-même s'ils sont désignés (ce qu'on ne pourra pas toujours,
peut-être jamais, éviter) par un organe politique, Parlement ou
chef de l'Etat- c'est qu'ils échappent à toute influence de
l'autorité qui les a choisis»43.
Par conséquent, l'indépendance du juge
constitutionnel congolais est remise en cause ou affaiblie par sa qualification
d'organe politique, malgré son appellation de Cour. Cette qualification
est étudiée du point de vue mode de désignation de ses
membres par les autorités politiques.
§2. La pratique du contentieux : la jurisprudence de
la Cour
La pratique du contentieux constitutionnel nous amène
à la jurisprudence (B). Définie comme l'ensemble des
décisions rendues par une juridiction sur une matière de Droit,
cette jurisprudence nous permettra alors de palper du doigt la pratique de la
justice constitutionnelle congolaise. Par ailleurs, une étude
préalable des compétences de cette cour est envisageable(A).
A. Les compétences de la cour
constitutionnelle
Si une loi organique précise l'organisation et le
fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la Constitution indique
déjà les compétences de la Cour constitutionnelle.Les
compétences de la Cour constitutionnelle résultent des
dispositions des articles 74, 76, 99, 128, 139, 145, 160, 161, 162, 163, 167
alinéa 1er et 216 de la constitution congolaise du 18
février 2006.44
Principalement la Cour constitutionnelle a comme
compétence : le contrôle de constitutionnalité des lois.
Par ailleurs, la Cour détient aussi d'autres compétences,
à savoir : l'interprétation de la constitution ; le conflit de
compétence ou d'attribution ; la compétence pénale ; le
contentieux électoral ; la
42H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la
Constitution », in R.D.P., 1928, p. 225-226.
43C. EISENMANN, La justice constitutionnelle et la
Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Op. cit. , p. 1 76-1
77.
44 Article 42 de la loi organique no
13/026 du 15 Octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle.
22
réception du serment du Président de la
république ; la réception de la déclaration du patrimoine
familial ainsi que la déclaration de vacance de la présidence de
la république et de la prolongation du délai des
élections.45
1. Le contrôle de constitutionnalité des
lois
Le contrôle de la constitutionnalité des lois
consiste à vérifier la conformité à la Constitution
des lois et des actes ayant force de loi. En cas de non-conformité,
l'organe de contrôle prononce l'annulation de l'acte violateur de la
Constitution. Le contrôle de la constitutionnalité est obligatoire
pour les lois organiques, les règlements intérieurs des chambres
parlementaires, du Congrès, de la Commission électorale nationale
indépendante et du Conseil supérieur de l'audio-visuel et de la
Communication.
Pour les autres lois, le contrôle est facultatif. Il ne
sera possible que lorsqu'un plaignant aura saisi la Cour pour
inconstitutionnalité. Lorsqu'elle est saisie pour
inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle dispose de 30 jours pour
statuer. Toutefois, en cas d'urgence, et à la demande du Gouvernement,
le délai est réduit à 8 jours (art. 139 et art. 160).
Dès lors que la Constitution définit les droits et les
libertés des citoyens, la contrôle de la constitutionnalité
des lois pourrait amener la Cour constitutionnelle à jour le rôle
de protectrice des droits et libertés.46
2. Les autres compétences
Aux termes de l'article 160 de la constitution : « La
Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la
Constitution sur saisine du Président de la République, du
Gouvernement, du Président du Sénat, du Président
de
45Article 160 de la constitution congolaise du 18
février 2006 : « La Cour constitutionnelle est chargée
du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant
force de loi. Les lois organiques, avant leur promulgation, et les
Règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du
Congrès, de la Commission électorale nationale
indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l'audiovisuel et
de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis
à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité
à la Constitution. Aux mêmes fins d'examen de la
constitutionnalité, les lois peuvent être
déférées à la Cour constitutionnelle, avant leur
promulgation, par le Président de la République, le Premier
ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le
Président du Sénat ou le dixième des députés
ou des sénateurs. La Cour constitutionnelle statue dans le délai
de trente jours. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a
urgence, ce délai est ramené à huit jours. »
46T. MUHINDO MALONGA, Droit Constitutionnel
congolais, cours destiné aux étudiants de deuxième
année de graduat en faculté de Droit, Inédit, 2010, p.
49
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l'Assemblée nationale, d'un dixième des
membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs de province et
des présidents des Assemblées provinciales. Elle juge du
contentieux des élections présidentielles et législatives
ainsi que du référendum. Elle connaît des conflits de
compétences entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir
législatif ainsi qu'entre l'Etat et les provinces. Elle connaît
des recours contre les arrêts rendus par la Cour de cassation et le
Conseil d'Etat, uniquement en tant qu'ils se prononcent sur l'attribution du
litige aux juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. Ce recours
n'est recevable que si un déclinatoire de juridiction a
été soulevé par ou devant la Cour de cassation ou le
Conseil d'Etat. »
De manière plus claire, le contentieux de
l'interprétation de la constitution est aussi de la compétence de
la cour constitutionnelle. Pour cela, la cour est saisie par le
Président de la République, par le Gouvernement, par le
Président du Sénat, par le Président de l'Assemblée
nationale, par le un dixième des membres de chaque chambre, par les
Gouverneurs de Province ou par les Présidents des Assemblées
provinciales47.Par ailleurs, la Cour constitutionnelle est juge du
contentieux électoral, lorsqu'il s'agit des élections
présidentielles et législatives, et du scrutin
référendaire. En outre, elle est juge de la répartition
des compétences, les conflits des compétences pouvant surgir
à différents niveaux. Il peut s'agir d'un conflit entre le
pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
En effet, la Constitution détermine un domaine de
compétences du législateur aux articles 122 et 123, puis
l'article 128 précise que « les matières autres que celles
du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. » Dans
ces matières, le 1er ministre dispose d'un pouvoir
réglementaire autonome. Il pose des règles initiales. Si le
Parlement empiète sur le domaine réglementaire, la Cour
constitutionnelle tranchera le conflit. Si c'est le Gouvernement qui
empiète sur la réserve législative, des actes peuvent
être annulés par le juge administratif.48Un autre
conflit de compétence peut surgir entre le Pouvoir central et les
Provinces sur la base des articles 202 à 205 de la Constitution. Ici
aussi, la Cour constitutionnelle est compétente pour départager
ces différents pouvoirs.
47Ibidem, p.49.
48 T. MUHINDO MALONGA, Droit constitutionnel
congolais, cours, op.cit., p.49.
24
Aussi, les conflits peuvent surgir entre les juridictions de
l'ordre judiciaire et celles de l'ordre administratif. On parle de conflit
positif sur les juridictions des deux ordres se déclarent
compétentes. Le conflit est négatif si les juridictions se disent
incompétentes ; ce qui risque de provoquer un déni de justice au
détriment du demandeur.
La Cour constitutionnelle est également investie de
compétences en matière pénale. Elle est la juridiction
pénale du Chef de l'Etat et du Premier Ministre pour les infractions
politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à
l'honneur ou à la probité, pour délit d'initié et
pour les infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.49
Si le Président de la République ou le Premier
Ministre mis en accusation par le Congrès est reconnu coupable, il est
frappé d'une déchéance prononcée par la Cour
constitutionnelle. On pourrait mentionner d'autres compétences de la
Cour constitutionnelle disséminées dans la Constitution. Ainsi
par exemple, c'est elle qui déclare la vacance de la présidence
de la République et, dans ce cadre, elle peut prolonger jusqu'à
120 jours au lieu de 90, à la demande du la Commission électorale
nationale indépendante, le délai d'organisation de
l'élection du nouveau Président de la
République.50 Par ailleurs, c'est la Cour qui reçoit
le serment du Président de la République avant son entrée
en
49Article 164 de la constitution. Aux termes de
l'article 165 de la constitution :
I Il y a haute trahison lorsque le
Président de la République a violé intentionnellement la
Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs,
co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des
Droits de l'Homme, de cession d'une partie du territoire national.
I Il y a atteinte à l'honneur ou
à la probité lorsque le comportement personnel
du Président de la République ou du Premier ministre est
contraire aux bonnes moeurs ou qu'ils sont reconnus auteurs, coauteurs ou
complices de malversations, de corruption ou d'enrichissement
illicite.
I Le délit d'initié
consiste, dans le chef du Président de la République ou
du Premier ministre, à effectuer des opérations sur des valeurs
immobilières ou sur des marchandises à l'égard desquelles
il possède des informations privilégiées et dont il tire
profit avant que ces informations soient connues du public. Le délit
d'initié englobe l'achat ou la vente d'actions fondée sur des
renseignements qui ne seraient jamais divulgués aux
actionnaires.
I Il y a outrage au Parlement lorsque sur
des questions posées par l'une ou l'autre Chambre du Parlement sur
l'activité gouvernementale, le Premier ministre ne fournit aucune
réponse dans un délai de trente jours.
L'outrage au Parlement est un délit imputable seulement
au Premier ministre et non au Chef de l'Etat.
50 Article 76 de la Constitution congolaise du 18
février 2006
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fonction.51 C'est aussi cette Cour qui
reçoit le dépôt de la déclaration de patrimoine du
Président de la République et des membres du Gouvernement et la
communique à l'Administration fiscale.52
Enfin, et sans prétendre à
l'exhaustivité, la Cour constitutionnelle est chargé, en vertu de
l'article 216, du contrôle de la "constitutionnalité des
traités" ou, si l'on préfère, de la
"conventionalité de la Constitution". En effet, en cas de
non-conformité entre le traité et la Constitution, cette
dernière est révisée avant la ratification du
traité.
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