Chapitre premier :
L'AFFAIBLISSEMENT DE L'INDEPENDANCE DU
JUGE CONSTITUTIONNEL
La base constitutionnelle de l'indépendance du pouvoir
judiciaire en République Démocratique du Congo est l'article 149
de la Constitution du 18 février 2006. Cette norme dispose que : «
le Pouvoir judiciaire est indépendant du Pouvoir législatif et du
Pouvoir exécutif». Elle précise que ce Pouvoir est
dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la
Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour militaire, les cours et
tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets rattachés à
ces juridictions. Et pour enfoncer le clou, la norme ajoute que la justice est
rendue sur l'ensemble du territoire national au nom du peuple.
Cependant, il est nécessaire de rappeler que
l'expression juridiction constitutionnelle «désigne
l'ensemble des juridictions chargées de la justice constitutionnelle.
Sont ainsi des juridictions constitutionnelles aussi bien, dans le
système américain, les tribunaux et cours investis de cette
mission (et au premier rang de ceux-ci la Cour suprême) que, dans le
système européen, les cours, tribunaux et conseils
constitutionnels»14. En République Démocratique
du Congo, la Cour constitutionnelle est la seule et l'unique juridiction
constitutionnelle. Il n'est possible d'employer cette expression pour
désigner un organe chargé de contrôler la
constitutionnalité des lois15que si son indépendance
est véritablement assurée tant à l'égard des
pouvoirs publics qu'il contrôle, qu'aux forces extérieures
susceptibles de faire des pressions sur lui.
Par ailleurs, pour rendre effective cette indépendance
de la justice constitutionnelle en République Démocratique du
Congo, certaines garanties sont affectées au juge constitutionnel.
(Section 1).
14L. FAVOREU, « Juridiction constitutionnelle
», Dictionnaire constitutionnel (sous la dir. d'Olivier DUHAMEL
et d'Yves MENY), Paris, P.U.F., 1 992, p. 547.
15Comme cela est logique, il n'est pas possible
qu'existe un contrôle de constitutionnalité dans un système
juridique où il n'existe pas de Constitution au sens formel. Ainsi, il
n'est pas possible de parler de contrôle de constitutionnalité, et
donc de juge constitutionnel, pour désigner les diverses formes de
contrôle de légalité des lois existant au Royaume-Uni et en
Droit canonique (Emmanuel TAWIL, « Le respect de la hiérarchie des
normes dans le droit canonique actuel », R.D.C. 2002, p. 173-174).
12
Par contre, au-delà de ces garanties, un constat
malheureux bat record. Il s'agit de l'amenuisement de cette justice
constitutionnelle. La Cour constitutionnelle, à travers sa mission de
dire le Droit, fait remarquer une faible existence de son indépendance.
C'est ce qui nous amènera alors à analyser les causes de cet
affaiblissement des garanties de l'indépendance du juge constitutionnel.
(Section 2).
SECTION 1. LES GARANTIES D'INDEPENDANCE AFFECTEES AU
JUGE CONSTITUTIONNEL
Plusieurs mécanismes garantissant l'indépendance
du juge constitutionnel peuvent être dégagés de divers
textes. En outre, ces mécanismes peuvent être soutirés des
différentes sources du Droit, allant de la loi à la doctrine en
passant par les principes généraux du Droit et la jurisprudence.
Les garanties d'indépendance affectées au juge constitutionnel
sont des mécanismes prévus qui, pour raison d'effectivité
de séparation du pouvoir judiciaire à l'égard des autres
pouvoirs traditionnels de l'Etat et en raison de son impartialité,
permettent au juge de dire le Droit sans interférence aucune pour
l'instauration ou le maintien d'un Etat de Droit.
Par ailleurs, certains mécanismes sont
déjà prévus par aussi bien le constituant que le
législateur. Il s'agit plus concrètement du statut des membres de
la cour constitutionnelle (§3). Le statut des membres de la juridiction
constitutionnelle constitue un élément important quant à
leur indépendance. Cependant, outre le statut des membres de la cette
juridiction, le caractère de leur mandat (§1) vient enfoncer le
clou. Et au-delà de ces deux mécanismes, les garanties
financières (§2) confirment cette indépendance en
reconnaissant un traitement décent au juge constitutionnel.
§1. Le non renouvellement du mandat du juge
constitutionnel
Les membres de la cour constitutionnelle sont nommés
pour un mandat bien déterminé (A). Ce mandat comporte un
caractère important pouvant faire preuve de leur indépendance.
(B)
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A. De la durée du mandat du juge
constitutionnel
Les membres de la juridiction constitutionnelle ne sont
véritablement indépendants à l'égard du pouvoir
politique que s'ils bénéficient d'un mandat long et qu'ils soient
assurés de ne pas être destitués pendant la durée de
leurs fonctions. La détermination de la durée du mandat du juge
constitutionnel est l'une des questions essentielles que doivent
résoudre le constituant et le législateur car, comme le note le
Professeur Dominique Rousseau, « la durée du mandat des juges
constitutionnels est un élément important de leur
indépendance »16.
Par ailleurs, trois formules inégalement
utilisées peuvent être relevées en droit comparé. La
nomination à vie, la nomination pour un mandat long et une formule
intermédiaire. La nomination à vie caractérise le
système américain. Les juges fédéraux
américains sont nommés à vie. Ce système
présente une forte garantie d'indépendance. La formule du mandat
à vie du juge constitutionnel, que le Professeur Charles Eisenmann a
considéré comme « la meilleure garantie
d'indépendance »17, est rarement retenue aujourd'hui. En
effet, elle implique le risque que restent en fonction des juges très
âgés. Afin d'assurer cet avantage sans cet inconvénient,
ont été établis des systèmes prévoyant que
les juges constitutionnels restent en fonction jusqu'à ce qu'ils
atteignent un certain âge. Dans l'espace francophone africain on ne
retrouve pas ce schéma.
Lorsque le juge constitutionnel n'est pas
désigné pour un mandat à vie ou jusqu'à un
âge maximal, il est généralement désigné pour
un mandat long et non renouvelable.18 La durée fixée
au mandat du juge constitutionnel est généralement longue. Les
exceptions à cette règle sont rares et ne sont guère
pertinentes. Charles Eisenmann a souligné la nécessité que
le juge constitutionnel « échappe à toute influence de
l'autorité qui les a choisis, qu'ils n'aient plus rien à craindre
ni à attendre d'elle »19.
16 D. ROUSSEAU, La justice constitutionnelle en
Europe, Paris, Montchrestien, 1992, p. 59.
17C. EISENMANN, La justice constitutionnelle et la
Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Op. cit.,p. 177
18L. FAVOREU et al.,Droit constitutionnel,
Op. cit. , p. 228.
19C. EISENMANN, La justice constitutionnelle et la
Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Op. cit. , p. 176-177
Les membres de la Cour Constitutionnelle ne peuvent être
révoqués ou destitués que pour les seuls motifs de parjure
ou de condamnation pour
14
En République Démocratique du Congo, le mandat
est de neuf ans non renouvelables. La durée du mandat du juge
constitutionnel est un élément essentiel de son
indépendance dans la mesure où la fixation d'une durée ne
présente d'intérêt que si, pendant la durée de son
mandat, le juge ne peut être révoqué par l'autorité
qui l'a nommé. A défaut d'une telle condition, la durée
fixée par les textes ne serait, en réalité, qu'indicative
: le juge constitutionnel se trouverait sous la dépendance de
l'autorité de nomination. Dans la plupart des Etats comme en
République Démocratique du Congo, le principe
d'irrévocabilité par les autorités de nomination est
posé, ce qui rend effectivement longue la durée du mandat du juge
par rapport à celui qui le nomme. Le juge constitutionnel n'a donc point
à s'inquiéter.
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