Chapitre deuxième:
LE RENFORCEMENT DE L'INDEPENDANCE DU
JUGE CONSTITUTIONNEL
L'expression juge constitutionnel présente un
double sens. Elle désigne d'abord la juridiction constitutionnelle.
C'est dans ce sens que l'emploie le doyen Favoreu lorsqu'il oppose le statut du
juge constitutionnel au statut du juge administratif.56 Mais cette
expression peut également désigner un membre de la juridiction
constitutionnelle. C'est dans ce sens qu'elle a été
utilisée lors de la Table ronde internationale d'Aix-en-Provence de
1988, consacrée aux Juges constitutionnels.57
Comme on peut le voir, l'indépendance de la justice
constitutionnelle qui découle de la séparation des pouvoirs n'est
pas encore effective au Congo.58 La justice constitutionnelle, comme
toute justice59, est soumise à l'exigence
d'impartialité et d'indépendance renforcée. Charles
Eisenmann soulignait au sujet de la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche
qu'« appelée à jouer dans une certaine mesure le rôle
d'arbitre entre les parties, à assurer le règne du Droit jusque
dans le domaine politique, l'impartialité de ses membres
apparaît
56 L. FAVOREU, « Le juge administratif
a-t-il un statut constitutionnel ? », Mélanges Auby,
Paris, Dalloz, 1992, p. 111-128.
57 Table ronde internationale sur « Les juges
constitutionnels », A.I.J.C. 1988, p. 81-228.
58À noter qu'en l'absence d'une indépendance
effective du Pouvoir judiciaire, le droit fondamental du Congolais à un
tribunal indépendant et impartial ne peut pas être effectivement
garanti. Ce droit est reconnu par
les instruments internationaux ratifiés par le Congo
(art. 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 14 du
Pacte II de l'ONU et art. 7 al. 1, let. d de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples pour le droit à une juridiction impartiale) et
auxquels le Peuple congolais réaffirme son adhésion et son
attachement dans le Préambule de la Constitution. On peut toujours
l'invoquer dans un cas concret devant une juridiction compétente, pourvu
que celle-ci soit effectivement indépendante. L'indépendance
effective du Pouvoir judiciaire est une condition sine qua non
d'exercice du droit à un juge indépendant et impartial et
des autres droits fondamentaux figurant dans la Constitution et les instruments
internationaux de protection des droits de l'homme liant le Congo.
59« De la justice de classe, fustigée par La
Fontaine [...] à la justice actuelle soupçonnée aussi bien
d'être `aux ordres' du pouvoir que d'être parfois trop
influencée par la presse ou l'opinion publique et les effets possibles
de ses décisions sur celles-ci, les critiques les plus acerbes
formulées contre les décisions des institutions juridictionnelles
ont trait à leur impartialité. C'est dire combien la
nécessité d'un tribunal impartial est ressentie comme
étant de l'essence même de la justice, ce qui fait de
l'impartialité un composant majeur de l'éthique des juges »
(Pierre CROCQ, « Le droit à un tribunal impartial »,
Droits et libertés fondamentaux, sous la dir. de Remy
CABRILLAC, Marie-Anne FRISON-ROCHE et Thierry REVET, Paris, Dalloz, 9ème
éd., 2003, p. 41 2).
28
d'autant plus nécessaire qu'ils ont à se
prononcer sur des questions plus brûlantes ».60
La Cour suprême du Canada a exprimé une telle
idée dans son arrêt La Reine contre Lippé de 1991.
Le juge Lamer, qui rédigea l'opinion de la Cour, soulignait que «
la garantie d'indépendance judiciaire vise dans l'ensemble à
assurer une perception raisonnable d'impartialité ;
l'indépendance judiciaire n'est qu'un moyen pour atteindre cette fin. Si
les juges pouvaient être perçus comme impartiaux sans
l'indépendance judiciaire, l'exigence d'indépendance serait
inutile. L'indépendance est la pierre angulaire, une condition
préalable de l'impartialité judiciaire»61. Ces
exigences prennent une ampleur particulière lorsqu'il s'agit du juge
constitutionnel. Et pour celui-ci, le renforcement de son indépendance
est la clé de voute de l'instauration de l'état de Droit.
Par ailleurs, la maîtrise de la juridiction
constitutionnelle sur les règles qui la concernent découle
également du contrôle qu'elle exerce sur règles dont elle
n'est pas l'auteur. Sur ces règles, la juridiction constitutionnelle a
en principe un véritable droit de veto. En outre, elle est
compétente pour les interpréter, ce qui lui laisse une marge de
manoeuvre appréciable. Aussi, prenant en compte le renforcement de son
indépendance, une indépendance primordiale se veut au travers le
rendement de leur fonction de juge constitutionnel. Ainsi, le renforcement de
l'indépendance fonctionnelle est au rendez-vous. (Section 2).
Mais avant d'y arriver, nous avons, dans les lignes
précédentes, souligné que la politisation des membres de
la Cour sous examen constitue un problème majeur qui désoriente
leur indépendance. Une indépendance organique est alors
concevable. Il s'agit de la cooptation des membres de la cour constitutionnelle
au sein du Conseil supérieur de la magistrature. (Section 1).
SECTION 1. LE RENFORCEMENT DE L'INDEPENDANCE
ORGANIQUE
60C. EISENMANN, La justice constitutionnelle et
la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Paris, 1 928,
rééd. Paris, Economica, 1 986, p. 1 75.
61La Reine c. Lippé[1 991 ], 2 R.C.S.
1 1 4.
29
Les garanties conférées aux membres de la cour
constitutionnelle ne sont pas toujours de nature à leur donner une
véritable indépendance. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle
nous avons estimé que leur indépendance soit renforcée. En
revanche, l'indépendance du juge constitutionnel s'apprécie mieux
par la cooptation de ses membres uniquement au sein du Conseil supérieur
de la magistrature.
En outre, le mode de désignation des membres de la
juridiction constitutionnelle constitue un maillon faible dans
l'appréciation de l'indépendance des juges constitutionnels.
Mais, il n'existe pas un mode particulier qui puisse conférer une
indépendance sans conteste aux juges constitutionnels. Certains auteurs
n'ont pas manqué à soulever la question de l'élection du
juge constitutionnel (§1).En revanche, un danger de mandat
impératif vis-à-vis de ses électeurs s'impose. Pour plus
d'efficacité, un renforcement de l'indépendance à travers
la cooptation des membres de la Cour au sein du conseil supérieur de la
magistrature (§2) est concevable.
§1. L'élection des juges constitutionnels
Face à l'épineuse question de
l'indépendance du pouvoir judiciaire, il est des auteurs qui ont
préconisé que les juges constitutionnels soient élus.
L'élection confèrerait aux juges une légitimité
démocratique au même titre que les autres pouvoirs, notamment le
Parlement et le Président de la République.
On pourrait envisager une telle solution pour les juges de la
cour constitutionnelle, d'autant plus qu'elle aura rarement à trancher
des litiges impliquant les citoyens. Le contrôle de
constitutionnalité des lois, le contentieux de l'interprétation
de la constitution, le contentieux de la répartition des
compétences sont surtout des litiges interinstitutionnels. Seuls les
litiges liés au contentieux des droits et des élections pouvaient
concerner les citoyens.
Une telle solution ne va pas sans soulever des questions ou
d'autres problèmes. D'abord le risque de la politisation des juges qui
seraient alors amenés à battre campagne pour leurs
élections, au suffrage direct ou indirect, et transformer leurs
justiciables en mandants. Le juge risque alors de se trouver enfermé
dans un mandat impératif vis-à-vis de leurs électeurs.
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Ensuite, le déplacement de la légitimité
du juge. En effet, la légitimité du juge constitutionnel repose
sur la connaissance du droit, sur son savoir et non sur le vote du citoyen. Ce
qui fonde la légitimité du juge c'est le « Praetor novit
jus ». Les élections risqueront d'affecter leur
indépendance et leur impartialité lorsque leurs électeurs
sont partie à un litige relevant de sa compétence.
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