§2. La cooptation au sein du Conseil supérieur
de la magistrature
L'importance de la cooptation des membres de la cour
constitutionnelle au sein du CSM (A) amène a une indépendance
à l'égard des autres institutions étatiques (B).
A. Importance de la cooptation
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est
l'organe de gestion du pouvoir judiciaire composé exclusivement d'un
grand nombre de magistrats qui en font partie en leur qualité
(généralement) de chef de corps. Le CSM élabore les
propositions de nomination, de promotion et de révocation des magistrats
et il exerce le pouvoir disciplinaire sur les magistrats. Il donne ses avis en
matière de recours en grâce.
Dans les lignes précédentes, nous avons
précisé que un organe est qualifié de juridictionnel
lorsque les membres qui le compose sont des magistrats et par conséquent
chargés de dire le Droit. Le Conseil supérieur de la magistrature
est au sommet des magistrats car il est leur organe de contrôle. Ce qui
constituerait un élément important d'indépendance est que
les juges ne devraient dépendre que d'eux même. La
désignation des juges constitutionnels par les autorités
politiques ainsi que leur nomination par le chef de l'Etat lui-même
empiète leur indépendance. En plus, de ces neufs membres
composant la juridiction constitutionnelle, seuls trois sont
désignés par le CSM. Ce qui représente une moindre
garantie d'indépendance du juge constitutionnel.
Par conséquent, pour éviter une quelconque
politisation des membres de la juridiction constitutionnelle, leur cooptation
au sein même et seulement du Conseil supérieur de la magistrature
est une garantie renforçant l'indépendance organique du juge
constitutionnel. Grosso modo, d'abord par son mandat plus ou moins long par
rapport à celui des autorités politiques, ensuite par sa
cooptation au sein du Conseil supérieur de la magistrature- un organe
purement judiciaire-
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et enfin par son détachement de la sphère
politique, le juge constitutionnel retrouve alors les mécanismes
garantissant effectivement son indépendance sur le plan organique.
B. Indépendance à l'égard des
institutions étatiques
Si la séparation des pouvoirs est garantie
constitutionnellement au Congo-Kinshasa, la pratique donne l'impression d'un
Congo monarchique. Quand bien même la Constitution le rattache au seul
Pouvoir exécutif, le Président de la République, fort de
son titre constitutionnel de « Chef de l'État », peut
être considéré aussi bien par lui-même que par les
membres des Pouvoirs législatif et judiciaire comme étant
au-dessus des trois pouvoirs traditionnels. Pour éviter ce risque, il
faudrait que les cours et tribunaux fassent respecter le principe de la
séparation des pouvoirs, en analysant à la loupe les actes
juridiques posés par l'Exécutif pour annuler ceux qui le
violent.
L'indépendance du juge constitutionnel exige donc, en
plus d'un salaire décent, qu'aucun autre pouvoir ne se mêle ni
dans la désignation des magistrats, ni dans leur transfert, ni dans leur
promotion, ni dans les mesures disciplinaires à leur encontre, ni dans
leur révocation.
Le Professeur Vunduawe plaide pour une indépendance
effective de la Justice à l'égard du Pouvoir exécutif.
Pour cela, il estime qu'il faudrait que le Gouvernement qui a le monopole de la
puissance publique s'interdise de refuser d'appliquer les décisions
judiciaires ou de faire obstruction à leur exécution et
d'interférer dans les nominations et promotions des magistrats en
gênant le fonctionnement normal du Conseil supérieur de la
magistrature ; que l'Administration verse régulièrement et
à temps les rémunérations des magistrats. Le
Président de la République est, pour sa part, invité
à user de ses prérogatives constitutionnelles (art. 69) à
bon escient : « Il doit protéger de bons magistrats en les
encourageant par des avantages tant matériels que moraux (...) il doit
faire sanctionner négativement les mauvais en les mettant à la
disposition du CSM qui est leur juridiction disciplinaire. C'est ainsi que le
corps de la magistrature sera débarrassé des
éléments incompétents, corrompus et indésirables.
En définitive, le Président de la République doit veiller
à ce que non seulement des rémunérations dignes de leurs
fonctions soient données aux
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magistrats, mais aussi et surtout que des conditions
décentes et permissives de travail de qualité soient
assurées»62.
Les différentes solutions que Vunduawe propose pour
l'effectivité de l'indépendance du Pouvoir judiciaire à
l'égard de l'Exécutif au Congo semblent peu efficaces du point de
vue juridique, surtout quand il s'agit de la cour constitutionnelle. En effet,
il s'en remet à la bonne volonté du Gouvernement et de
l'Administration, comme s'il s'agissait d'un présent à
décerner aux magistrats. Pourtant, il s'agit des droits appartenant
à ces derniers et des devoirs incombant aux premiers. Il est donc
regrettable de constater que le Professeur Vunduawe ne fait pas allusion
à la possible sanction juridictionnelle de l'immixtion du Pouvoir
exécutif dans le domaine d'exercice du Pouvoir judiciaire.
Contrairement à l'opinion de Vunduawe, la
conquête de l'indépendance effective du juge constitutionnel peut
être l'oeuvre du Conseil supérieur de la magistrature et des
praticiens du droit. Le Conseil supérieur de la magistrature a un grand
rôle à jouer dans la lutte pour l'indépendance du Pouvoir
judiciaire en général et de la Cour constitutionnelle en
particulier. C'est lui qui doit en être le garant, en exerçant ses
compétences constitutionnelles, en encourageant les magistrats à
n'obéir qu'à la loi et en les défendant, le cas
échéant, contre les mesures de rétorsion que pourrait
adopter le Pouvoir exécutif qui a le commandement de l'armée et
de la police, toujours prêtes à torturer au lieu de
défendre le territoire congolais et protéger les biens.
En France, par exemple, le Conseil supérieur de la
magistrature a permis une avancée en matière
d'indépendance de la Justice, puisque, outre ses deux
prérogatives essentielles nominations et discipline, il est
chargé d'assister le Président de la République dans son
rôle de garant de l'indépendance de l'autorité
judiciaire63. Pour ce faire, il effectue des missions
d'information
62F. VUNDWAWE te PEMAKO, Traité de droit
administratif, Larcier, Bruxelles 2007, p. 119.
63Art. 64 de la Constitution du 4 octobre 1958.
À noter qu'avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008,
le nouveau Conseil supérieur n'est plus présidé par le
Président de la République. Le nouvel article 65 de la
Constitution consacre l'existence de trois formations du Conseil
supérieur de la magistrature : la formation compétente pour les
magistrats du siège est présidée par le premier
Président de la Cour de cassation ; la formation compétente pour
les magistrats du Parquet est présidée par le Procureur
général près la Cour de cassation et la formation
plénière est présidée par le premier
Président de la Cour de cassation. Cette dernière
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auprès de la Cour de cassation, des cours d'appel, des
tribunaux et de l'École nationale de la magistrature. Dans le cadre de
cette mission, il a ainsi adressé à plusieurs reprises des avis,
rendus publics, au Président de la République.
Aussi, l'Administration peut être interpellée
pour versement irrégulier et tardif du salaire des magistrats. En
statuant, la cour devra faire preuve effectivement d'une indépendance
tant recherchée. En tout état de cause, la solution pragmatique
du juriste congolais ne paraît pas apte à contribuer durablement
et efficacement à l'indépendance de la juge constitutionnel. Au
contraire. Il faut plutôt allouer effectivement un salaire décent
et correct aux magistrats et leur assurer une immunité vis-à-vis
des agents de l'ordre, comme le suggère par ailleurs et à juste
titre le Professeur Vunduawe. Que le juge constitutionnel lui-même aussi
sache utiliser le droit pour assurer leur indépendance et garantir ainsi
leur impartialité.
Les membres des juridictions constitutionnelles
bénéficient fréquemment d'une immunité. Il est
aussi envisageable que leur soit accordé un privilège de
juridiction. Une immunité est, au sens strict, une « cause
d'impunité qui, tenant à la situation particulière de
l'auteur de l'infraction au moment où il commet celle-ci, s'oppose
définitivement à toute poursuite, alors que la situation
créant ce privilège a pris fin ».64 Dans un sens
plus large, c'est « un privilège faisant échapper une
personne, en raison d'une qualité qui lui est propre, à un devoir
ou une sujétion pesant sur les autres ».65 Ce mot
désigne parfois des « prérogatives reconnues à une
personne [...] l'exemptant à certains égard de l'application du
droit commun ».66 Cette immunité peut ne concerner que
certains domaines de l'activité de la personne en
bénéficiant, ou bien s'étendre à l'ensemble des
actes dont cette personne est susceptible de répondre pénalement
ou civilement.
formation est compétente pour donner des avis au
Président de la République, garant de l'indépendance de
l'autorité judiciaire selon l'article 64 (Sur cette révision, cf.
P. PACTET / F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, 27è
édition, Sirey, Paris 2008, p. 523-524). Il faut relever que le fait
d'attribuer au Président de la République le titre de garant de
l'indépendance du Pouvoir judiciaire n'est pas conforme à la
séparation des pouvoirs et porte paradoxalement atteinte à
l'indépendance de ce pouvoir.
64Gérard CORNU, Vocabulaire
juridique, Paris, P.U.F., 6ème éd., 1996, p. 417.
65Ibidem, p.417
66Ibidem, p.417
67Article 92 de la loi organique no
13/026 du 15 Octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour
constitutionnelle.
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