PARAGRAPHE 1 : Les modes et les pratiques
d'accès aux terres par les refugiés
Dans le cadre de l'autonomisation des réfugiés,
des terres sont demandées par les réfugiés eux-mêmes
ou par des organismes d'appui aux chefs traditionnels et aux membres des
populations hôtes coutumièrement propriétaires. Lorsque les
réfugiés font la demande eux-mêmes, ils peuvent obtenir des
terres gratuitement selon l'entendement que leur présence est temporaire
et qu'une fois les réfugiés partis, les communautés
rentreront en possession de leurs terres. Nous allons présenter les
modes d'accès aux terres par les réfugiés (A)
et les pratiques d'accès aux terres (B).
67
A. Les modes d'accès aux terres par les
étrangers/réfugiés dans les coutumes à l'Est
Il est important de rappeler que les us et coutumes dans leur
énoncé et leurs principes ne traitent pas seulement des
réfugiés. Mais dans toutes les communautés
étudiées, les normes coutumières réglementent des
droits fonciers pour les étrangers, selon deux modes spécifiques
: les étrangers installés définitivement et les
étrangers de passage. Plus précisément, les pratiques
d'accès aux terres par les réfugiés ont quelque peu
poussé les coutumes à se réajuster, au point où les
discours sur les normes historiques d'accès aux terres par les
étrangers sont aujourd'hui très nuancés. Nous nous
efforcerons de présenter les normes coutumières, tout en nous
éloignant, pour le moment, des pratiques qui elles sont individuelles et
multiformes. Les droits coutumiers consacrent cinq types de droits fonciers aux
réfugiés, selon leur trajectoire au sein des communautés,
et leurs conditions économiques.
ü La location
Plusieurs organisations de soutien interviennent et louent
des terres aux réfugiés. Les autorités traditionnelles
mettent à leur disposition des terres en location pour une durée
renouvelable de 1 à 2 ans. Un document en attestant est visé par
le Sous-préfet.
La location fait référence à
l'accès à la terre en payant un loyer à son
propriétaire. Elle est appelée fermage lorsque la terre est
louée pour des fins agricoles. L'agriculteur reçoit ici la terre
à bail contre un loyer indépendant du revenu qu'il tire du
travail de la terre. La culture est une autre forme de bail foncier. Le
locataire accède à la terre en redonnant au propriétaire
un pourcentage de la production. Le boisement et l'agriculture partagée
ont en commun d'être une forme de location et de ne concerner
spécifiquement que des terres pour les activités agricoles de
base. La location peut être saisonnière et le prix
négocié varie en fonction de l'importance et de la nature des
liens, qu'il s'agit des voisins ou de la famille79.
La location des terres était à l'origine
destinée aux étrangers, soit par manque de moyens pour acheter le
terrain, soit pour d'autres raisons. Cependant, il précise que le droit
exercé par un mandataire d'autoriser l'exploitation de parcelles pendant
un temps déterminé se fait en échange d'une compensation
financière.80 Le paiement de la rente foncière est de
deux types : en nature ou en espèces ou payé en totalité
au début du contrat, ou au début ou à la fin de la
période déterminée.
79 Avore Chatelain, « Accès des femmes à
la propriété foncière et développement
socio-économique dans la Commune de Bafia », Mémoire de
Master en Géographie Urbaine, 2020, Uy1, 151p.
80 ibid
68
Il s'agit d'une cession temporaire, contre paiement, des
droits fonciers. La nature et l'étendue des droits cédés,
ainsi que la durée et la contrepartie, sont déterminées
d'un commun accord entre les deux parties. Dans la zone d'étude, les
terrains résidentiels ne peuvent être loués qu'au sein des
communautés peuhles, tandis que chez les Gbayas, les terrains
résidentiels et agricoles peuvent être loués. Les contrats
peuvent être rédigés et parfois confirmés par le
chef de village ou de quartier.
ü L'achat
Dans le cadre des achats, étant donné que la
plupart des villageois n'a pas de titres fonciers, les achats par les
réfugiés à l'Est n'ont pas de valeur juridique, mais cela
leur confère un certain droit coutumier sur les terres obtenues et ils
peuvent obtenir des titres fonciers avec le témoignage du chef de
village et d'autres témoins. En outre, selon certaines autorités
administratives, les réfugiés n'ont pas le droit d'obtenir des
titres fonciers sur la bande frontalière à cause des enjeux
sécuritaires et territoriaux. Dans certains villages à l'Est et
à Gado en particulier, les réfugiés sont plus nombreux que
la population hôte. Selon le HCR cité par Lémouogué
et al, le petit village Gado accueillait, en Avril 2018, 24 678
réfugiés centrafricains, contre 2 498 habitants
dénombrés lors du troisième recensement de 2005. Face
à l'achat massif des terres par les réfugiés, certaines
personnes interviewées entrevoient des conflits fonciers à
l'avenir entre les générations futures des populations
hôtes et des réfugiés.81
Face à l'achat massif des terres par les
réfugiés, certaines personnes interviewées entrevoient des
conflits fonciers à l'avenir entre les générations futures
des populations hôtes et des réfugiés. De plus, l'achat est
une méthode par laquelle le propriétaire foncier acquiert la
propriété du terrain en échange d'un paiement en
espèces au propriétaire foncier. Cela permet le transfert de
propriété. Cette approche de la propriété
foncière semble plus sûre, en particulier pour les femmes, et
offre un certain nombre d'avantages, tels que la sécurité de
posséder des documents administratifs, la liberté de gérer
et de planifier les activités agricoles et le droit de se
déplacer.
Dans la zone de Gado, dangereuse reste la vente des terres,
car vendre sa terre est comme vendre ses biens, sa richesse ce qui aura pour
conséquence la pauvreté. A ce sujet, Moupou
81Lémouogué J., et Fofiri E «
Cameroun : les zones d'accueil des personnes déplacées, entre
recomposition sociodémographique et gestion des personnes à
besoins spécifiques », Alternatives Humanitaires, n°12, 2019,
p. 59-75.
69
partage cet avis et déclare : « Vendre la terre
c'est s'appauvrir, c'est appauvrir la famille, le lignage, la communauté
»82.
V' L'emprunt
L'emprunt est un droit dont jouit une personne qui a
délégué l'usage d'un terrain à un tiers sans
contrepartie monétaire. Ces démarches foncières n'ont
souvent pas de durée clairement définie et s'observent beaucoup
plus fréquemment que parmi les entités concernées. Les
bénéficiaires sont majoritairement des personnes liées par
des liens de parenté ou d'amitié.
V' Le prêt
Il s'agit d'un droit reconnu à tout étranger,
qui nouvellement arrivé dans une localité, doit
bénéficier d'un endroit où s'abriter. En fonction de sa
situation et de sa condition du moment, une maison, ou une parcelle de terre
peut lui être prêtée gratuitement par le chef du village. La
parcelle de terre cédée est en principe située dans la
catégorie des terres des communautés. En s'installant,
l'étranger est informé, même de façon implicite
(interdiction de planter un arbre fruitier, exigence de construction en
matériau provisoire, il est interdit de vendre ce qu'on a reçu
gratuitement) de l'étendue de ses droits sur les parcelles de terres qui
ont été mises à sa disposition gratuitement. Ces droits se
limitent à l'usage et la jouissance des fruits de la mise en valeur. En
cas de départ, l'étranger dispose de ses différentes mises
en valeur, mais est tenu de rendre à la communauté les terres
qu'il a perçues.
V' Le don
Il s'agit ici d'un prolongement de la situation
précédente (prêt), qui crée des droits permanents
sur la terre. L'étranger peut, au bout d'un très long
séjour avec la communauté d'accueil, décider de rester de
façon définitive. Il ne s'agit pas d'une décision qui est
expressément signifiée, même si dans certains cas, le
bénéficiaire peut exprimer ce besoin au chef.
Mais, l'intégration dans la communauté du
nouveau venu, l'accroissement de sa cellule familiale, la nature et l'ampleur
de ses investissements dans le village, communiquent à la
communauté hôte la volonté de « l'étranger
» de s'installer définitivement sur sa terre d'accueil. A ce
moment, aucune formalité nouvelle n'est nécessaire, sauf si
l'espace cédé appartenait initialement à un membre la
communauté, absent pour une longue période. Dans ce cas
82 Moise Moupou, « Fronts pionniers et structuration de
l'espace dans le Cameroun méridional : de nouveau territoire en mutation
rapide », Les cahiers d'outre-mer, 2010, p.72-96.
70
seulement, un autre espace, libre de toute occupation sera
présenté au demandeur. Cette mutation du statut d'étranger
à celui de membre de la communauté, entraine aussi une extension
du droit de l'étranger sur les terres. Il peut en plus de les utiliser,
les transmettre à ses fils en héritage. Mais il ne peut, ni les
vendre, ni les louer, ni même les prêter à un tiers autre
que ses descendants connus de la communauté. Bien plus, s'il arrive que
toute la famille, même les descendants, souhaitent quitter la
communauté, ils ne peuvent, en principe, pas vendre la terre, qui
retourne logiquement dans le patrimoine foncier du village. Cependant cette
relative précarité des droits pousse certains étrangers
souhaitant s'installer durablement à rechercher des mécanismes
plus « durables » d'accès aux terres.
La terre est une ressource communautaire, devant en principe
circuler dans un sens restreint dans les lignages familiaux et dans un sens
large entre les membres des communautés partageant les mêmes
manières de faire, d'agir et de penser. Dès lors, pour les fils
et filles du village, la transmission du patrimoine foncier familial se fait
dans le lignage familial, favorisant ainsi une perpétuation et une
conservation de ce patrimoine. En principe, aucun fils ne peut aliéner
la terre, même si elle relève de sa propriété dans
le partage familial. Par ce principe, l'accès des étrangers
à la terre est consubstantiel au passage du statut d'étranger
à celui de membre de la communauté. Le lien d'adhésion,
qui est construit sur l'acceptation et la soumission aux coutumes de la
communauté donne un certain droit sur les terres appartenant à
ces communautés. Le chef du village, principal gardien du patrimoine
foncier des communautés, diligente ainsi cet accès.
La coutume semble toutefois n'avoir prévu que les cas
d'arrivées en nombre limité, et ne prévoit pas un
dispositif pour gérer la complexité de la situation
créée par la présence de réfugiés : ils sont
nombreux, arrivés à l'improviste, dans une situation de grande
indigence, en quête d'un accueil temporaire et de moyens de subsistance.
Dans certains villages, les réfugiés sont plus nombreux que les
populations-hôtes (cas du village Borgop). Leur arrivée a
entraîné l'entrée en lice de nouveaux acteurs et de
règles particulières dans la gestion des espaces et des hommes
sur le territoire des communes d'accueil : le droit international humanitaire,
et le droit national en matière de gestion foncière et de statut
des réfugiés, qui ne sont pas nécessairement connus des
communautés hôtes. Cette situation ouvre la voie à des
pratiques et transactions foncières formelles et informelles
susceptibles d'exacerber les tensions foncières et de fragiliser la
cohésion sociale entre les différentes communautés
hôtes et réfugiés.
71
B. Les pratiques d'accès aux terres par les
refugiés
Les terres sont très sollicitées par les
organismes humanitaires pour l'installation des sites officiels des
réfugiés, qui sont entre autres les camps, et aussi pour des
activités agricoles ou pastorales hors site. Le choix des terres pour
les sites de réfugiés s'est fait de manière sans conflit,
impliquant un certain nombre d'acteurs institutionnels, pour répondre
à l'urgence et au souci de solidarité.
Pour ce qui est des terres hors site, leur choix se fait de
gré à gré, entre les propriétaires coutumiers et
les bénéficiaires. Les réfugiés individuellement ou
en groupe sollicitent et obtiennent de plusieurs manières des terres
dans les villages. Soit ces terres sont proches des camps, notamment pour les
femmes réfugiées qui y sont basées et qui ne souhaitent
pas s'éloigner de leur lieu de résidence malgré le besoin
pressant ; soit elles ont été identifiées et
sollicitées par les réfugiés pour leur potentiel agricole
et/ou pastorale ; parfois encore, le réfugié souhaite s'installer
dans un village dans lequel des parents ou connaissances l'ont
précédé. Dans ce cas, la présence de membres de sa
famille (même éloignée) facilite l'installation et
l'intégration du réfugié dans le village d'accueil ; ou
encore le réfugié qui n'est pas passé par le camp de
réfugiés, à bout de force physique ou financière
sollicite de la terre dans le village le plus proche espérant y trouver
l'hospitalité.
Pour la circonstance, c'est la manière dont la
communauté va l'accueillir qui déterminera son installation ou
non. Enfin, un dernier cas de figure qui motive le réfugié dans
le choix de la terre est la sécurité qu'il pense y trouver. En
effet plusieurs réfugiés ont fait l'expérience de certains
villages où ils ont été confrontés aux coupeurs de
route ou aux enlèvements, parce qu'ils étaient
considérés comme solvables du fait de leur statut
d'éleveurs disposant encore de bétail. Ainsi, après un
passage dans différents villages, ils ont fini par s'établir.
Dans tous les cas, du côté des communautés hôtes, la
présence du réfugié constitue un bouleversement des
habitudes, avec des retombées à la fois positives et
négatives.
Les modalités d'accès aux terres par les
réfugiés varient selon les régions, les pratiques locales
et les ethnies (les peulhs, musulmans et généralement
éleveurs, et les Gbayas, en majorité chrétiens et
agriculteurs). Dans ces conditions précises, l'autorité
traditionnelle (Ardo ou chef de village) est au centre des transactions.
L'étude a identifié au moins quatre pratiques
d'accès à la terre par les réfugiés qui sont entre
outre :
· 72
Les négociations directes donnant lieu à des
locations et/ou ventes hors site.
Le recours à ce mode d'accès à la terre
est très inégal suivant les villages. C'est le cas à Gado,
où les réfugiés ont évoqué le fait que ceux
qui ont de l'argent peuvent acheter des terres hors site. A Gado, il y a 10
chefs de quartier qui font les papiers pour valider les ventes. Dans ce
village, de très nombreux réfugiés ont acheté des
parcelles hors site, payant des prix qui varient entre 40 mille et 250 mille
FCFA selon les données qui nous sont parvenus du terrain. Mais il s'agit
en général des terres d'habitation, dont les propriétaires
sont clairement identifiables. S'agissant de la location, les
négociations se font directement auprès des propriétaires
coutumiers de la terre. La forme de compensation varie. Dans certains cas, le
paiement des frais de location se fait en nature, avec une partie de la
production, qui varie selon les enquêtes du terrain, entre 10% et 15% de
la récolte. Dans d'autres cas, le paiement se fait en espèce.
Dans le cadre du contrat de location, la communauté
pose une condition : ne pas planter d'arbres à fruits, qui marqueraient
une présence pérenne, la durée de vie d'un arbre qui
produira des fruits pouvant aller au-delà d'une
génération. Le contrat généralement dure le temps
de la campagne agricole. On reste donc dans un délaissement à
court terme. Il peut cependant être renouvelé plusieurs fois, par
rapport à la demande du bénéficiaire et de la
disponibilité de la terre. Quant à la vente, elle se fait
directement avec le vendeur. Un certificat de vente est établi par le
chef, et l'acheteur peut faire ce qu'il veut de la terre (la vendre, la
transmettre ou la louer). Il arrivait dans un passé proche que la vente
se fasse sans un document qui l'atteste, mais de plus en plus, compte tenu de
la pratique développée par les OSC, les réfugiés
demandent des documents. C'est le cas par exemple d'un réfugié
qui a acheté un lopin de terre. Il se sentait alors en
sécurité car il a mis le chef au courant de la transaction et ce
dernier n'a guère contesté. Il ne connaissait rien de la pratique
des « certificats de vente » jusqu'à ce qu'un de ses voisins
autochtones, ne lui en parle. Il se dit que, « si les gens parlent de
ça, c'est que c'est très important ».
Les brousses ne peuvent être vendues. Les
réfugiés peuvent exploiter, et aussi louer les brousses, mais ils
ne peuvent pas l'acheter. Dans certaines communautés, une
échappatoire serait utilisée par les réfugiés pour
accéder aux terres « Quand ils viennent, ils ne se
présentent pas toujours en tant que réfugiés » ; Ils
parlent à des particuliers qui leur cèdent leurs terres
traditionnelles, de gré à gré, avec validation d'un
notable. Donc pas de possibilité de contrôle des installations par
le chef.
· 73
Les attestations de donation de terres.
Ces attestations sont co-signées par le
sous-préfet, le délégué de l'agriculture, et le
chef de village. Il s'agit d'une donation collective et provisoire, dans
laquelle les ONG interviennent bien souvent comme facilitateurs du processus
(SI, PUI, LWF, etc.). On retrouve deux variantes de cette approche :
- Les bénéficiaires entrent en
négociation, et l'ONG prépare des documents à faire signer
par le bénéficiaire, le propriétaire et les
autorités traditionnelles et administratives ;
- Les organismes humanitaires recherchent des terres
disponibles, négocient avec les propriétaires coutumiers, et
organisent le partage entre les réfugiés
bénéficiaires. Les ONG ont pour préférence
d'apporter un appui à des bénéficiaires ayant
eux-mêmes amorcé la transaction. LWF et les autres ONG apportent
des compensations (non monétaires, qu'elles soient matériel
agricole, intrants et formation). Dans ces cas, la rupture par le
propriétaire terrien est définie dans le temps (3 à 5 ans)
et assortie d'un certificat de mise à disposition des terres
signé par le chef de village et les « propriétaires terriens
». Solidarités International insiste pour que le document soit
aussi signé par le sous-préfet.
En général, ce mode d'accès a en fait
facilité l'implantation des sites des réfugiés à
Gado 1 et Gado 2. Les espaces donnés ont permis à installer les
réfugiés mais également certains espaces (les terres) ont
été réservés à l'agriculture et
l'élevage à l'intérieur de ces sites. C'est le cas du site
de Gado qui s'étend sur 55 ha qui n'est pas entièrement
occupé par les habitations mais aussi aux activités agricoles.
Avec l'augmentation anarchique du nombre de réfugiés, les terres
n'ont pas suffi à couvrir leurs besoins car devenues insuffisantes en
raison du nombre sans cesse croissant des réfugiés, et certaines
terres à l'intérieur des sites ne seraient pas favorable aux
activités agricoles et pastorales : selon les femmes agricoles qui y
mènent des activités maraichères et/ou vivrières,
les terres pour la plupart, sur lesquelles se développent ces
activités agricoles, ne sont pas fertiles. C'est le cas à Gado
où les femmes ne sont pas satisfaites des récoltes. Elles
justifient cela en grande partie par le fait que les terres ne sont pas
propices à l'agriculture. Ce sont ces raisons qui ont donc amené
les ONG et les réfugiés à demander davantage de terres en
dehors des sites pour pouvoir y faire des champs.
La pression des réfugiés a donc
entraîné une demande forte de terres à l'extérieur
des sites. Cette demande s'est aggravée avec la diminution de la ration
octroyée par le HCR aux
74
réfugiés. Presque tous les
réfugiés, assistés au début et poussés par
la suite par les ONG, ont dû trouver des activités qui
génèrent de revenus, en grande partie l'élevage du petit
bétail et l'agriculture. Les lopins de terres sont sollicités de
manière collective et les groupes reçoivent un accompagnement,
notamment des matériaux et des formations. On retrouve donc des terres
occupées dans la majorité des villages enquêtés par
les réfugiés, et surtout dans les villages limitrophes du site,
pour faciliter le retour du réfugié au camp après le
travail dans les champs, et limiter les risques d'agression, notamment pour les
femmes. C'est le cas dans la localité de Gado-Badzéré,
où les ONG ont sollicité et ont obtenu des terres agricoles pour
les réfugiés.
Dans le cadre de ce processus, la cession de terres se fait
selon une condition phare : celle de ne pas planter d'arbres qui produira des
fruits, dans le but de ne pas prétendre à des droits durables sur
la terre. Nous remarquons que cette condition n'est toujours pas
respectée dans cette localité. Les réfugiés, y ont
insisté et ont eu gain de cause, en promettant qu'ils laisseront les
terres et les mises en valeur encartant. Il est à noter que dans le
cadre des champs communautaires qui sont mis en place au bénéfice
des femmes réfugiées, le principe d'héritage ne vaut pas.
En cas de décès d'une femme refugiée, sa parcelle de terre
est confiée à une autre femme réfugiée, et non aux
descendants de la femme décédée.
· Les prêts et dons à travers le pouvoir
traditionnel
Les prêts et les dons à travers le pouvoir
traditionnel placent les autorités traditionnelles au coeur des
transactions foncières. Ces autorités seraient non seulement
celles qui octroient, mais également celles qui garantissent la
sécurité foncière et la jouissance paisible de la terre au
réfugié. Ce serait l'un des modes les plus courant dans les
communautés rencontrées (il a été difficile pour
nous pendant nos recherches de prouver si cette cession est gratuite, les
enquêtées qui parlent de gratuité et les ONG qui
soutiennent que cela se fait toujours contre une compensation ou
rétribution, fut-elle minime). Les terres qui sont léguées
ne le sont que pour l'usage. Ce pourquoi, on trouve des pratiques qui rendent
cet usage pérenne. C'est le cas par exemple de la possibilité de
transmettre la terre par héritage d'un réfugié
décédé à sa descendance. Cela est compris et aussi
accepté par les réfugiés et les chefs des villages qui
l'ont affirmé pendant les enquêtes. Les enterrements des parents
décédés des réfugiés sont faits sur la
plupart des terres cédées. Très souvent, ces terres sont
léguées de façon durable, en raison de l'incertitude sur
la date de l'apaisement de la RCA et le retour des réfugiés dans
leur pays.
C'est généralement le chef de village qui donne
les terres. Tout commence avec la demande des terres et les démarches
qui sont verbales. Dans les communautés peuhles, les
75
besoins en terre s'expriment en communauté, bien que
les réfugiés aient en leur possession de petits champs. C'est le
« Ardo » qui porte les doléances des réfugiés
auprès du Chef du village, puis négocie avec lui, et fait un
compte rendu aux réfugiés. On note aussi des cas ou les
demandeurs vont directement voir le chef du village, et obtiennent afin les
terres de façon individuelle. Une fois de plus, il faut distinguer entre
les terres destinées aux activités agricoles et destinées
aux habitations. Les terres d'habitation sont prêtées (quelques
fois avec la maison) au réfugié qui les sollicitent. Pour les
activités agricoles, la terre est donnée en général
pour des cultures non pérennes. C'est le cas à Gado
Badzéré où les hommes et les femmes du village donnent la
terre pour une durée précise aux réfugiés et en
leur interdisant d'y planter des arbres. L'octroi des terres par le chef reste
toutefois le mode principal, et presque exclusif d'accès à la
terre dans certains villages.
Si la terre d'une famille est sollicitée par un
étranger, le chef peut interpeller le chef de famille pour avoir son
avis avant de céder la terre. Aucune transaction foncière ne peut
être faite dans le village entre un chef de famille et un demandeur sans
l'information au préalable du chef de village. L'étranger
à qui la terre a été donnée, ne peut
réaliser sur cette portion qu'une exploitation agricole, ou des
activités d'élevage, ou encore, construire une maison
d'habitation. S'agissant du réfugié, il ne peut ni acheter, ni
vendre la terre, même s'il existe de plus en plus d'exceptions à
cela du fait de l'urbanisation progressive des zones d'accueil.
A Gado, on a observé que la cession des terres n'est
pas l'apanage du chef. Il existe des quartiers qui ont à leur tête
un chef de quartier qui gère les besoins en terre des personnes relevant
de son ressort territorial, et qui cependant rend compte au chef du village.
Dans ce même village, les autorités traditionnelles ont fait un
recensement d'où ils ont distingué deux catégories de
réfugiés : ceux qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas.
L'accès à la terre pour les deux cas est différent : celui
qui a les moyens achète la terre et obtient un certificat de vente
signé par le chef du village, tandis qu'une personne qui n'a pas de
moyen reçoit « en attendant » une maison et des terres pour
ses cultures par don, ou location.
· La cession des terres entre réfugiés et
à leurs descendants
Le fait de récupérer les terres
prêtées aux réfugiés est rarement observé, en
raison du fait que les retours n'ont pas encore eu lieu. De manière
implicite, il est entendu que les terres cédées, même sous
certaines conditions, demeurent entre les mains du réfugié et
ainsi de
76
génération en génération. Elle se
transmet alors de père en fils, sauf si le réfugié
lui-même soumet le désir de partir et de laisser la terre. Dans ce
cas, la terre est restituée.
S'agissant de la première vague de
réfugiés de 2006 qui avaient fui les coupeurs de route, ceux-ci
sont intégrés dans le village, et la terre est de fait transmise
au sein de la famille. Ils apparaissent désormais comme les fils du
village. S'agissant de la vague de 2014, beaucoup plus nombreuse, il est assez
tôt même de nos jours pour dire si à terme la terre
deviendra la propriété du réfugié. Seule
l'indication de la durée reste un élément qui
prévoit une possibilité de fin de contrat, mais les pratiques
vont dans le sens d'un renouvellement ou encore d'un don à durée
illimitée et sans conditions.
Cette notion est plus développée dans les
communautés peulhs. Ceci est sans doute lié à l'usage des
terres : les terres appartiennent à la communauté. Ces terres
sont donc accessibles aux réfugiés qui s'installent dans les
villages avec l'autorisation du chef. Les terres d'habitation sont
sollicitées et données, tandis que les terres pour les
activités agricoles sont libres d'usage. Dans ce cas, les conflits ne
proviennent en général des riverains agriculteurs que lorsqu'il y
a des accidents tels que des destructions de plantations par le bétail,
ou encore quand ceux-ci contestent les limites des espaces qui ont
été données.
77
Source : enquête Avoré, janvier2022
Figure 1 : Différents mécanismes d'accès
à la terre par les réfugiés observés dans le site
de l'étude
De l'analyse de différents mécanismes
d'accès à la terre par les réfugiés, il ressort
plusieurs contraintes qui sont autant de facteurs qui rendent précaires
la stabilité et la paix entre les réfugiés et les
communautés hôtes. En effet ces modes de gestion de terre posent
plusieurs problèmes :
- Le côté « provisoire » de la cession
qui n'est pas encadré par des normes juridiques. Dans les
différentes pratiques recensées (don, vente ou crédit), la
forme orale prévaut, sauf lorsque les ONG interviennent en fournissant
des documents. Cependant, d'un point de vue purement juridique, ces documents
n'ont aucune valeur juridique et la loi interdit les transactions avec des
terrains non immatriculés.
- La Qualité des terres attribuées aux
réfugiés sont généralement gratuites : Cela a
été critiqué par la plupart des réfugiés. En
fait, les réfugiés ont trouvé des communautés
78
d'installation et des terres arables à proximité
des villages plus propices aux activités agricoles. En fait, les
réfugiés n'ont généralement droit qu'à des
terres plus isolées et inoccupées. Ces terres sont
divisées en terres agricoles et en terres d'élevage pour
éviter les conflits fonciers agricoles. Les agriculteurs
réfugiés sont plus attirés par leurs activités
agricoles car, contrairement à d'autres terres, elles sont plus fertiles
et non à vendre. Les réfugiés pastoraux sont
également plus attirés par les terres agricoles plus proches des
villages et plus sûres que celles qui leur sont attribuées. Cela
crée du ressentiment parmi les détenus qui pensent que les
réfugiés ne respectent pas les normes traditionnelles et les
bergers qui veulent de meilleures conditions pour leurs activités. Les
conflits agro-pastoraux, principalement dus à la destruction des
récoltes par le bétail, se terminent souvent pacifiquement sans
compensation qui ne couvre pas la valeur des biens détruits.
- Le caractère communautaire du terrain demandé
et accordé par l'OSC au réfugié. En effet, ce
régime exclut les particuliers. D'autre part, les organisations de la
société civile ont tendance à exiger de plus en plus de
terres pour les réfugiés. On a vu des cas précis à
Gado où ce dernier revendiquait 20 hectares, puis 15 hectares, puis 35
hectares. Cet espace de plus en plus limité dans le village. Ce statut
ne plaît pas toujours aux communautés concernées, qui sont
de plus en plus conscientes de la réduction des surfaces, mais qui
l'acceptent car la compensation est offerte. Ce fut également le cas du
village de Borgop proche du site, où les terres ont été
envahies par des réfugiés qui sont venus s'y installer sans
demande ni autorisation du chef traditionnel.
- Établir un système de métayage et
louer des terres fertiles et productives. Cela joue en faveur des
réfugiés qui ont les moyens par rapport aux
réfugiés qui n'en ont pas les moyens.
- La présumée propriété
coutumière des terres par les réfugiés, qui auraient la
possibilité de céder les terres à leurs descendants. En
effet ce mode d'acquisition est contradictoire par rapport au mode de donation
généralement provisoire (les communautés refusent en
général que les réfugiés plantent des cultures
pérennes) ou encore de location. Il n'est pas clair finalement si les
terres sont cédées de manière provisoire ou
définitive. Cela est d'autant plus troublant que les
réfugiés auraient la possibilité d'enterrer les morts sur
ces terres. Les tombes en général, sont des
éléments qui témoignent de la propriété de
la terre, dans la mesure où l'occupant aspirera toujours à rester
proche de ses morts. En fin de compte, le message qui transparait est que le
réfugié restera, tant qu'il le voudra, le«
propriétaire » de l'espace. A l'avenir il est certain que la
79
dépossession de ces terres si le besoin s'en fait sentir
ne se fera pas sans conflits ni heurts.
PARAGRAPHE 2 : Impacts liés à
l'installation et question d'intégration locale des
refugiés
Tout au long de cette partie, nous allons présenter
les impacts socio-économiques et environnementaux liés à
l'installation des réfugiés (A) en suite, parler
dela question de l'intégration locale des réfugiés
(B).
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