Conclusion
Dans ce chapitre, il était question pour nous
d'analyser les logiques d'installations des réfugiés dans la
localité de Gado-Badzéré, et les normes
édictées par l'Etat du Cameroun dans l'encadrement des refugies
règlementant les questions foncières. Après plusieurs
recherches sur le terrain auprès des personnes ressources et la
recherche via les documents, nous avons observé un vide juridique ou du
moins, un flou sur les modalités d'accès au foncier par les
réfugiés dans un contexte où les ressources
foncières sont considérées, comme des ressources
communautaires sous la gestion du responsable communautaire. C'est ce qui
justifie une diversité de pratiques sur le terrain pour l'accès
à la terre par les réfugiés, y compris pour les camps et
sites d'installation et leur insécurité foncière.
47
63 Décret N° 77/245 du 15 Juillet 1977 portant
organisation des Chefferies Traditionnelles
DUXIEME PARTIE : PRATIQUES DE L'ATTRIBUTION ET DE LA
SÉLECTION DES SITES DE RÉFUGIÉS SUR LE TERRAIN
48
La deuxième partie de ce mémoire est
constituée de deux chapitres (3 et 4). L'un met un accent sur le
processus de sélection des sites pouvant abriter les
réfugiés, l'autre, présente les différents modes
d'acquisition des terres par les réfugiés au de-là des
camps.
Le chapitre 3 analyse le processus de sélection des
sites qui sous-tendent l'usage des terres avant l'arrivée des
réfugiés et les critères de sélection dudit site
pour l'installation des réfugiés. Ensuite, les mécanismes
d'acquisition des terres pour l'installation des camps pour abriter les
réfugiés ce qui fait allusion à l'implication des
communautés hôtes dans le processus d'attribution des terres et la
compensation pour les pertes relatives aux mises en valeur des terres.
Le chapitre 4, quant à lui, fait une analyse sur les
différents modes d'acquisition des terres par les réfugiés
au-delà des camps. En effet, dans ce chapitre, nous allons identifier
les différents modes d'accès aux terres par les
réfugiés et pour finir énumérer quelques impacts
lies à leurs installations et des recommandations.
CHAPITRE III : LES MÉCANISMES DE SÉLECTION
ET D'ACQUISITION DES TERRES POUR INSTALLER ET ABRITER LES
RÉFUGIÉS
49
Introduction
Ce chapitre propose de décorer le processus de
sélection et d'acquisition des terres pour l'installation des
réfugiés. Dans un premier temps, nous passerons en revu le
processus de sélection des sites et nous y analyserons deux axes :
l'usage des terres avant l'arrivée des réfugiés, les
acteurs et les critères de sélection des sites pour abriter les
réfugiés (Section 1). Dans un deuxième
temps, nous nous attarderons sur le processus d'acquisition des terres pour
installer les camps de réfugiés. Pour cela, nous allons
présenter l'implication des communautés hôtes dans le
processus d'attribution des terres et la compensation pour les pertes relatives
aux mises en valeur et aux terres (Section 2).
SECTION 1 : PROCESSUS DE SÉLECTION DES SITES
POUR L'INSTALLATION DES REFUGIÉS
Les principales parties prenantes au processus de
sélection sont les autorités administratives (Préfet et
Sous-préfet) qui sollicitent les autorités traditionnelles, suite
à une demande préalable du HCR. L'État, à travers
ces autorités, identifie et propose un site au HCR qui s'assure de sa
viabilité selon les normes sphères Abris et Habitations. Les
Standards minimums Sphère en matière d'abris et d'habitat
constituent une expression pratique du droit à un logement décent
dans les contextes humanitaires. Dans cette partie, l'on fera d'abord un
aperçu sur ce à quoi servait les terres avant l'arrivée
des réfugiés (paragraphe 1) et en suite faire un
état sur le Processus de sélection du site devant abriter un camp
de réfugiés (paragraphe2).
PARAGRAPHE 1 : Usage des terres avant l'arrivée
des refugiés
Parler de l'usage des terres avant l'arrivée des
réfugiés revient d'abord à décrire la zone d'etude
(A) et ensuite faire une analyse cadrée sur ce à
quoi servait les terres avant l'arrivée des réfugiés
(B).
A. Description de la zone d'étude
Dans le cadre de cette étude, une zone a
été sélectionnée pour observer les processus
d'attribution des terres pour l'installation des camps de
réfugiés, l'accès à la terre par les
réfugiés au-delà des camps et des sites d'installation. Il
s'agit de la zone de Gado-Badzéré à l'Est.
Gado-Badzéré est une localité
située à 35 Kilomètres de Garoua-Boulaï,
département du Lom et Djerem, région de l'Est du Cameroun,
située sur le corridor Bangui Douala, point de contact entre le Cameroun
et la RCA, est ainsi devenue l'un des lieux privilégiés d'accueil
des réfugiés provenant de la RCA alors confrontée à
une importante insécurité liée à l'action de
coupeurs de route et des groupes rebelles.
Ouvert le 1er mars 2014, le camp de Gado-Badzéré
comptait 17 959 réfugiés au mois d'octobre de la même
année. En 2016, ce chiffre s'élevait à 22 876 pour
s'établir en fin 2017 à 24 365 pour 7778 ménages de 3
individus en moyenne. Les femmes représentaient 53% de cet effectif et
les jeunes de moins de 18 ans, 59%. Le profil ethnolinguistique du camp est
étroitement associé aux incidences des crises politiques en RCA
qui ont souvent affecté de manière spécifique certaines
« communautés ». Aussi en avril 2017, 93% des
réfugiés présents dans le camp revendiquaient une
appartenance peule et 2,5% une appartenance haoussa. Plus de 9
réfugiés sur 10 étaient de confession musulmane. Le gros
du contingent de ces réfugiés (67%) provenait des
préfectures centrafricaines de Nana-Mambéré et
d'Ombella-Mpoko. La première est une préfecture contiguë au
département du Lom-et-Djerem tandis que la seconde se situe vers le
centre de la RCA. Le camp est constitué de tentes (en bâches
blanches) fournies par les ONG et quelquefois recouvertes de chaume.
Géré par l'ONG Première Urgence International, le camp
subdivisé en deux secteurs : Gado 1 et Gado 2.64
50
64 Enquêtes, HCR, 2014 ; 2015
51
Juin 2021 photo Google Earth
Photo 2: Vue du Camp de Gado-Badzéré
En 2003, à la suite du coup d'État
perpétré par François Bozizé et de
l'intensification du banditisme rural, on a enregistré un premier afflux
d'environ 3000 personnes aux frontières camerounaises, dont à
Garoua-Boulaï. Il s'agissait d'individus identifiés comme des
Peulhs Mbororo et leur arrivée conduisit, quelquefois, à des
regroupements affinitaires. Par regroupement affinitaire, il faut entendre une
association de personnes basée sur des intérêts communs.
Dans le cas d'espèce, les arrivants se sont regroupés en fonction
de leur identité culturelle.65
Ces personnes se sont d'abord dirigées vers les espaces
ruraux situés autour de centres urbains. Une proportion moins importante
s'est orientée directement vers les centres urbains comme
Garoua-Boulaï, là où des connaissances, des parents
étaient susceptibles de faciliter leur installation et où la
sécurité était garantie. L'espace urbain
représentait également à leurs yeux, un cadre propice
à des occupations professionnelles mêmes précaires. Les
premiers dispositifs institutionnels prirent place dans la ville aux fins
d'accueil et de prise en charge de ces déplacés.
65Minfegue, « S'engager quand on est
réfugié centrafricain à Garoua-Boulai (Cameroun). »
Carnets de géographes, 2019.
52
La crise de 2013 en RCA fut marquée par une
arrivée plus importante de réfugiés, nécessitant
une infrastructure humanitaire de forte capacité. Le fait
caractéristique de ce redéploiement humanitaire fut la
création du camp de réfugiés de Gado-Badzéré
en 2014, situé à environ 30 kilomètres de
Garoua-Boulaï66.
Au 30 Novembre 2019, la population du site de Gado
s'élevait à 25602 réfugiés centrafricains, soit
7975 ménages à prédominance peuhl (92,9%) et musulmans
(98,8%). Ouvert le 1er Mars 2014, le site a actuellement une
superficie de 55 hectares. Selon le HCR (document profile du site), la
majorité des réfugiés est agro-pasteurs, mais la plupart
d'entre eux n'a pas un accès facile aux terres et/ou aux pâturages
aux environs du site.
Selon des données HCR de Janvier 2019, la région
de l'Est compterait 174 076 réfugiés centrafricains, dont 113 718
réfugiés hors site et demandeurs d'asile (soit 65%).
B. Usage des terres à
Gado-Badzéré avant l'arrivée des
refugiés
Dans le camp de Gado-Badzéré, région de
l'Est, l'espace identifié était « vide » selon les
autorités administratives et communales locales rencontrées. En
revanche, pour les autorités traditionnelles rencontrées au cours
de la collecte des données, une partie était constituée
des jachères (sols non utilisés) des vieilles femmes et l'autre
partie tenait lieu de marché à bétail qui a
été délocalisé. Etant donné qu'il n'y avait
pas de mise en valeur évidente et encore moins un titre foncier sur ces
terres, l'administration foncière déconcentrée les
considère comme faisant partie du domaine national libre de toute
occupation. Pourtant, la jachère revêt plusieurs valeurs (voir
encadré 3) qui devraient lui valoir une meilleure considération
que celle introduite par les colonisateurs (terres vacantes sans maîtres)
à travers l'ordonnance impériale de la couronne allemande du 15
Juillet 189667et reprises par le droit statutaire en vigueur
66 Ibid.
67Cette ordonnance, qui définissait la
politique foncière allemande au Cameroun, a été prise
après le transfert, par les Rois Douala Ndumbé Lobè Bell
et Akwa Dika Mpondo, de la souveraineté, la législation et
l'administration des territoires camerounais aux firmes commerciales allemandes
Woermann et, Jantzenet Thormählenà l'issue du traité
Germano-Douala signé le 12 Juillet 1884.
Encadré 1 : Les valeurs de la jachère
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53
La jachère occupe une place importante dans le foncier
rural et la gestion
foncière. En effet, selon Maiga (1998), les raisons pour
lesquelles les agriculteurs
abandonnent la jachère sont :
V' Agro-écologie : la jachère vise
à restituer naturellement les éléments nutritifs du sol.
Par conséquent, le problème est de créer les conditions
d'une
restauration des sols pour augmenter leur fertilité, afin
d'augmenter leur
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productivité dans le futur ;
V' Troupeaux : jachère pour fournir du
fourrage au bétail ;
V' Économique : les jachères
fournissent les produits récoltés (bois, fruits, herbes
médicinales, etc.) ;
V' Socio-culturel : les terres en jachère
constituent un fonds de réserve foncière pour les agriculteurs
à utiliser plus tard (dans ce cas, les femmes âgées et
leurs descendants).
C'est donc une grave erreur de penser que la friche est
inexploitée et dépourvue de
toute occupation.
Il faudrait souligner que la superficie exacte des camps est
méconnue par presque tous les acteurs (autorités traditionnelles,
communales et administratives). La superficie initiale de Gado serait d'environ
32 hectares selon l'administration foncière départementale et le
profil actuel du site laisse entrevoir une extension de 23 hectares pour se
fixer à 55 hectares.
A l'Extrême- Nord par exemple, c'était un espace
agricole utilisé par des hommes et des femmes des communautés de
différents cantons pour la culture du coton, du mil rouge, du mil de
contresaison et pour des cultures ligneuses. « Certaines personnes avaient
d'ailleurs déjà
54
commencé les semis au moment de l'acquisition
»68. Une étude précédente de Brangeon et
Bolivard (2017) l'avait déjà relevé en ces termes : «
le site a été construit sur des terres cultivables,
précédemment utilisées par les communautés
avoisinantes pour cultiver le sorgho. De plus, les alentours du camp
étaient autrefois des zones de pâturages importantes ».
L'espace appartiendrait au canton de Gawar, mais était utilisé
par les membres de la communauté de Gadala (y compris le Lawan de
Gadala, chef coutumier) qui dépend du canton Matakam Sud.
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