De la portée du pouvoir fiscal des provinces en RDC. Etude à la lumière de la province du sud-Kivu.par CITERA Christian Université officielle de Bukavu - Licence en droit 2019 |
CHAPITRE I. DU POUVOIR FISCAL DES PROVINCES EN RDCL'examen du pouvoir fiscal des provinces en RDC passe d'abord par la maitrise de la notion relative au pouvoir fiscal ainsi qu'à l'étude des règles déterminant les compétences fiscales de ces provinces. Cela étant, dans le cadre du présent chapitre, nous présenterons en premier lieu la notion relative au pouvoir fiscal (Section I) et en second lieu, nous analyserons les règles relatives aux compétences fiscales des provinces en RDC (Section II). Section I. De la notion du pouvoir fiscalEn marge de cette section, nous aborderons les points relatifs à la définition et caractéristique du pouvoir fiscal (§1) ainsi que son contenu (§2). §1. Définition et caractéristique du pouvoir fiscalComme dit précédemment, l'étude de la notion du pouvoir fiscal nécessite de prime abord la maitrise de la définition et les caractéristiques du pouvoir fiscal. Cela étant, nous allons en premier lieu définir le pouvoir fiscal (A) avant d'aborder, en second lieu, les différentes caractéristiques de ce pouvoir (B). A. Définition du pouvoir fiscal et notions voisinesSur ce point, nous analyserons la définition (1), d'une part et, nous passerons en revue les notions voisines du pouvoir dont question (2), d'autre part. 1. Définition, de la dissociation ou de la non dissociation du pouvoir fiscal et de la souveraineté de l'Etat a. Définition proprement dit du pouvoir fiscal D'emblée, relevons-le que la législation congolaise n'a pas défini expressis verbis ce qu'on entend par pouvoir fiscal. En effet, le Constituant originaire congolais en son article 122 point 1013 dispose que le pouvoir fiscal est du domaine de la loi. De ce qui précède, il s'avère impérieux de recourir à la doctrine à défaut d'une définition constitutionnellement établie. De ce fait, Landry Ngono Tsim écrit que : « le pouvoir fiscal est la compétence qu'ont les entités locales dans la maîtrise du processus des impôts (création, modification et suppression, 8 | P a g e détermination de l'assiette, vote du montant et des taux d'imposition, détermination des modalités de recouvrement), ensemble de matières qui relèvent du législateur conformément aux lois fondamentales des pays considérés »14. Abondant dans le même sens, Nicolas Guillet précise, pour sa part, que « le pouvoir fiscal est la liberté dont dispose une entité locale pour déterminer les règles applicables au prélèvement fiscal ainsi que le pouvoir de contraindre pour l'appliquer »15. De ces définitions sous examen, il se dégage l'idée selon laquelle le pouvoir fiscal consisterait, d'après certains auteurs, pour une autorité, le pouvoir de créer ses propres impôts et de fixer le régime juridique de ceux-ci (objets, redevables, base imposable, taux, exemptions, règles procédurales d'établissement et de recouvrement, règles relatives au contentieux, etc.)16. En effet, il est prescrit aux articles 122 point 10 et 174 de la Constitution congolaise en vigueur que seul le législateur national dispose de la compétence fiscale aussi bien au niveau national, provincial voire local. En d'autres mots, en RDC, seul le législateur national est investi de la compétence d'instituer les impôts en vertu du principe de consentement de l'impôt car il représente tous les peuples Congolais17. C'est ce qui ressort du principe général de la légalité fiscale issue de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme de 178918, lequel doit se concilier avec le principe particulier de l'égalité devant l'impôt19, tel qu'il découle de l'article 13 de la même Déclaration20. 14 L. NGONO TSIM, L'autonomie administrative et financière des collectivités territoriales décentralisées: L'exemple du Cameroun, Thèse de doctorant, Université de Paris-Est, 2010, P. 176. ; M. KHALID, « De l'autonomie fiscale des collectivités locales marocaines », In Revue des finances publiques marocaines, Disponible sur https://www.cairn.infos/revue-francaise-des-finances-publiques19.htm. 15 N. GUILLET, « L'avenir financière des collectivités territoriales après la loi organique du 29 juillet 2004 », In RGCT, Janvier-Février 2005, N° 32, P. 45. 16 M. BOURGEOIS et M. UHODA, « La décentralisation fiscale et financière en République Démocratique du Congo : Eléments économiques et juridiques », Revue de la Faculté de Droit de l'Université de Liège, 2011, P. 391. 17 M. MASABO, Notes de cours de droit fiscal, Faculté de Droit, Première année de licence, U.O.B., 2017-2018, Inédit. 18 L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1879 dispose : « Tous citoyens ont droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée », Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/constitution/Declaration-des-droits-de-homme-et-du-Citoyen-de-1879 19 M. MASABO, Notes de cours de droit fiscal, Op.Cit., ; Voire encore M. MASABO, Notes de cours de droit des finances publiques, Faculté de Droit, Deuxième année de graduat, U.O.B., 2015-2016, Inédit. 20 L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs faculté», Disponible sur https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionalité/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789. 9 | P a g e b. De la dissolution ou du non dissolution du pouvoir fiscal avec la souveraineté de l'Etat Il est à noter à ce jour que le pouvoir fiscal est une notion strictement liée à la souveraineté de l'Etat (1°). Néanmoins, ce pouvoir peut être dissocié de la souveraineté de l'Etat puisque le pouvoir fiscal peut être partagé entre l'Etat et d'autres entités (2°). 1°. De l'indissociable du pouvoir fiscal avec la souveraineté de l'Etat La constitutionnalisation des charges fiscales s'illustre comme un phénomène quasi universel. Il ressort de ce passage qu'aucune des Constitutions n'ignore la question de la contribution des charges publiques pour le bon fonctionnement de l'Etat. C'est ainsi que le Constituant originaire congolais en son alinéa 2 de l'article 174 précise que la contribution aux charges publiques constitue un devoir pour toute personne vivant en République Démocratique du Congo21. Par ailleurs, la constitutionnalisation du phénomène fiscal nous parait compréhensible. Paraphrasant l'idée de Jean Bodin sur le pouvoir fiscal, ce dernier renseigne que ce pouvoir est indissociable de la notion de la souveraineté de l'Etat. A cet effet, il écrit en ces termes : « le droit d'imposer est basé sur la théorie générale de la souveraineté »22. Abondant dans le même sens, Guy Gest et Gilbert Tixier soulignent sans ambages que : « le pouvoir fiscal et le pouvoir politique vont de pair et qu'ils ne peuvent pas être séparés puisque l'impôt a toujours été un aspect essentiel de la souveraineté de l'Etat. Il est l'un des droits régaliens qui expriment la puissance du prince »23. C'est pourquoi, concluent-ils « maîtriser l'impôt, c'est maîtriser l'Etat »24. 2°. De la dissociation du pouvoir fiscal de la souveraineté de l'Etat Alexandre Maïtrot De La Motte fournit des éléments de dissociations entre le pouvoir fiscal et la souveraineté de l'Etat. En fait, cet auteur pense que ces deux notions peuvent se dissocier sur un double point de vue, en tenant non seulement compte du contenu de ces deux notions, mais aussi du plan matériel. 21 Lire l'article 174 alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, J.O.R.D.C., N° spécial 5 février 2011. 22 J. BORDIN, Les six livres de la République, Paris, Librairie Générale Française, 1993, Disponible sur www.librairie-générale-française-publié-en-1576-fr. 23 G. GEST et G. TIXIER, Manuel de droit fiscal, Paris, L.G.D.J., 1986, P. 32. 24 Ibidem. 10 | P a g e En se référant au contenu du pouvoir fiscal et à la souveraineté de l'Etat, cet auteur estime que la différence qu'il faut établir entre ces deux notions tient au fait que le pouvoir fiscal regroupe une compétence et un pouvoir alors que « la souveraineté de l'Etat »25 désigne la compétence de compétence et le pouvoir du pouvoir. Dit autrement, le pouvoir désigne, d'une part la compétence d'exercer des compétences normatives ou de les attribuer librement à une autorité et de les lui reprendre, et d'autre part, la puissance permettant d'exercer des pouvoirs ou de les conférer à une autorité ou les lui reprendre26. Sur le plan matériel, et contrairement à la souveraineté qui n'appartient qu'à l'Etat dont il lui est incontestable et indivisible, le pouvoir fiscal, cependant, peut être partagé entre l'Etat et une autre entité, voire même l'être transférée, de sorte que le titulaire de la souveraineté et celui du pouvoir fiscal ne coïncident pas nécessairement27. 2. De la notion voisine du pouvoir fiscal La notion du pouvoir fiscal des provinces peut prêter à confusion avec l'autonomie financière (a) et avec l'autonomie budgétaire lorsqu'une entité jouit du principe de la libre administration (b). a. De l'autonomie financière des provinces La Constitution congolaise, moins encore la loi relative à la libre administration des provinces et de la loi sur les Entités Territoriales Décentralisées, ne définisse nulle part l'autonomie financière. D'ailleurs, elle se contente seulement à faire allusion qu'à l'autonomie de gestion des ressources financières28. Pour cela, il convient de tenter de définir ce concept. Celui-ci retient, pour cette définition, deux aspects cumulativement : la capacité juridique (2°) et l'indépendance matérielle en matière de finances des provinces (1°). 25 L'article 9 de la Constitution du 18 février telle que modifiée et complétée à ce jour dispose : « L'Etat exerce une souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur le plateau continental (...) », In J.O.R.D.C., N° spécial 5 février 2011. 26 A. MAÏTROT DE LA MOTTE, Droit fiscal de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, P. 1. 27 Ibidem. 28L'alinéa 3 de l'article 3 de la Constitution du 18 février 2006 dispose : « Elles jouissent de la libre administration et de l'autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, techniques et financières », In J.O.R.D.C., N° spécial 5 février 2011. Et l'article 2 alinéa 3 de la loi sur la libre administration prévoit : « Elle jouit de l'autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, techniques et financières », Disponible sur https://www.leganet.cd. 11 | P a g e 1°. L'autonomie financière : Indépendance matérielle en matière financière L'autonomie financière des collectivités territoriales doit être conditionnée par un aspect matériel qui consiste, pour ces collectivités, à détenir la possession effective des moyens financiers leur permettant de faire face à leurs charges. En d'autres termes, l'autonomie financière réelle « ou dans son aspect d'indépendance matérielle en matière financière » suppose que les collectivités locales disposent d'un niveau suffisant de ressources financières et qu'elles aient une maîtrise de leurs charges. Contrairement à la capacité juridique, l'autonomie financière réelle passe du registre du pouvoir à celui de l'avoir. On peut donc affirmer que si l'autonomie formelle et l'autonomie réelle sont étroitement liées, c'est la seconde qui donne tout son sens à la première. Comme le précise Robert HERTZOG, « avoir un patrimoine, avoir des agents, avoir des ressources financières suffisantes, voilà qui est déterminant pour l'autonomie ainsi entendue. La capacité de produire des règles est, au mieux, accessoire »29. En définitive, retenons avec Landry Ngono Tsimi que l'autonomie financière des collectivités territoriales peut être définie « d'une part, comme la capacité juridique de ces collectivités à disposer d'un libre pouvoir de décision tant en matière de recettes que de dépenses, et d'autre part comme l'indépendance matérielle en matière de finances de ces collectivités vis-à-vis de l'Etat »30. 2°. L'autonomie financière : Capacité financière La capacité juridique en matière financière est appréhendée en termes de pouvoir de décision budgétaire en matière de recettes qu'en matière de dépenses. Cela étant, sous réserve de l'exercice de ce pouvoir dans les limites prescrites par les règles de droit positif en vigueur. Il s'agit là d'une condition qualitative. Dans son aspect de capacité juridique, l'autonomie financière est dite aussi « autonomie formelle ». Elle se caractérise par une compétence juridique initiale ; c'est le pouvoir de produire des normes, notamment celles qu'on s'applique à soi-même. 29 R. HERTZOG, « L'ambiguë constitutionnalisation des finances locales », In Actualité juridique de droit administratif, Mars 2003, P. 542. 30 L. NGONO TSIM, Op. Cit. P. 180. 12 | P a g e Comme pouvoir de décision budgétaire en matière de recettes, l'autonomie financière exige que la collectivité territoriale puisse voter elle-même son propre budget par ses organes élus31. Ce faisant, le budget ainsi voté, et qui traduit en des termes concrets la prévision des réalisations des compétences transférées, est subordonné concomitamment à la réalisation des ressources attendues. Cette équation qui pose une règle fondamentale des finances publiques, suppose au préalable la maîtrise parfaite de ses recettes depuis leur création jusqu'à leur recouvrement. En revanche, le pouvoir de décision budgétaire en matière de dépenses est une opération juridique qui consiste à décider de la dépense locale ou « engagement ». Ce pouvoir se réalise à la libre appréciation de l'ordonnateur dès lors qu'il a reçu, à travers le vote du budget, le pouvoir d'exécuter les dépenses inscrites et autorisées pour l'année. C'est ainsi que la phase d'exécution de la dépense locale ne suffise pas à conclure que les collectivités territoriales jouissent au regard de leurs dépenses d'une réelle autonomie. Il serait d'ailleurs une conclusion hâtive car l'autonomie de la dépense locale doit être analysée ex-ante, c'est-à-dire, au moment du vote par les assemblées locales de leur budget. b. De l'autonomie budgétaire des provinces Comme il en est de l'autonomie financière des provinces, la Constitutions du 18 Février 2006 moins alors la loi sur la libre administration des provinces n'a pas défini l'autonomie budgétaire. Le Constituant originaire et le législateur congolais se sont contentés seulement à dire que les provinces ont « une autonomie de gestion de leurs ressources »32. Cela étant dit, avant de créer une autonomie financière, l'Etat cherche d'abord à se créer une autonomie budgétaire car un budget « n'est pas seulement l'acte qui prévoit les dépenses et les recettes de l'Etat pour une année déterminée, le budget est aussi l'acte qui autorise le paiement de ces dépenses et le recouvrement de ces recettes »33. L'autonomie budgétaire résulte principalement de la faculté de déterminer les recettes et les dépenses, mais également, elle est étroitement liée à la nature, à la répartition ainsi qu'à 31 J. MASTAKI, Notes de cours des finances publiques, Faculté de Droit, U.O.B., Deuxième année de graduat, 2018-2019, Inédit. 32 Lire l'article 3 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, In J.O.R.D.C., n° spécial 5 février 2011. 33 M. MASABO, Notes de cours de droit de finances publiques, Op. Cit. 13 | P a g e l'affectation de ces agrégats budgétaires34. En fait, l'autonomie budgétaire implique que les collectivités territoriales disposent d'un budget propre et de ressources suffisantes, dont elles assurent librement la gestion. Ce faisant, l'autonomie budgétaire des provinces se présente dès lors, comme un critère majeur dans la distinction entre la décentralisation ou la régionalisation et la déconcentration de l'Etat unitaire. A ce sujet, retenons avec Loïc Philip qu'on peut difficilement imaginer une entité territoriale sans l'autonomie budgétaire parce que l'on passerait alors de la décentralisation ou de la régionalisation à la déconcentration35. |
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