Paragraphe 2- La dispense de la mise en demeure en
présence de manquements insusceptibles de régularisation
Malgré l'importance accordée à la mise en
demeure, dans le droit antérieur comme dans le droit
nouveau50, certains facteurs ont permis d'écarter cette
démarche afin de protéger les intérêts
légitimes du créancier : ce dernier profite alors de tous les
effets associés
49. La mise en demeure désigne « l'acte par lequel le
créancier a manifesté sa volonté d'exiger
l'exécution des prestations qui sont dues et, à défaut, de
tirer les conséquences légales de l'inexécution des
obligations » 50 Il s'agit du droit français applicable
avant l'entrée en vigueur du traité Ohada et par là
même des règles applicables au bail professionnel et plus loin
à la mise en demeure.
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à la demeure de façon immédiate, sans
être tenu d'accorder un délai d'exécution additionnel
à son débiteur. C'est ce que plusieurs appellent la demeure de
plein droit51 mais que nous désignerons plutôt comme la
demeure «par l'effet de la loi». Principalement, deux facteurs
expliquent la dispense dont bénéficie le créancier : soit
l'inutilité de la mise en demeure et l'attitude manifestée par le
débiteur.
Il ne fait pas de doute que la mise en demeure ne saurait
être imposée lorsqu'elle s'avère à toutes fins
pratiques inutile. L'exiger dans de telles circonstances relèverait d'un
formalisme contraire à l'esprit du droit actuel. C'est ainsi que la loi
dispense le créancier de mettre son débiteur en demeure lorsqu'il
y a urgence, ou encore que l'obligation ne pouvait être
exécutée utilement que dans un certain temps que le
débiteur a laissé s'écouler. Le fait d'avoir manqué
à l'exécution d'une obligation de ne pas faire relève du
même fondement: en principe, même mis en demeure, le
débiteur ne pourrait arriver à effacer un acte passé qu'il
devait s'abstenir de poser52. De la même façon, la mise
en demeure d'exécuter une obligation s'avère inutile lorsque le
débiteur a, par sa faute, rendu l'exécution en nature
impossible.
Le second fondement, soit l'attitude du débiteur, se
rencontre essentiellement dans deux cas. Il en va ainsi, tout d'abord, du
débiteur qui manifeste clairement son intention de ne pas
exécuter l'obligation, c'est-à-dire la
«répudiation» de l'obligation53. C'est
également le cas du débiteur qui refuse ou néglige, de
façon répétée, d'exécuter une obligation
à exécution successive54. Dans tous ces cas de
dispense, qu'ils soient motivés par l'inutilité de la mise en
demeure ou encore par l'attitude du débiteur, le principe de la bonne
foi apparaît en filigrane : le débiteur ne saurait chercher
à se prévaloir d'un délai d'exécution lorsque
celui-ci s'avère purement dilatoire. Cette position ne nous semble pas
convaincante puisque cela permettrait, dans certaines circonstances, de
protéger un débiteur qui ne mérite pas un droit
à
51 L'expression «demeure de plein droit»
peut, en effet, s'avérer ambiguë dans certains cas :
elle peut renvoyer à tout cas de dispense de mise en
demeure, ou uniquement à ceux qui résultent de la loi.
52 C'est cela qui permet de justifier le vocable de
« manquements non susceptibles de régularisation.
53 La répudiation peut survenir lorsque le
créancier mentionne au débiteur l'inexécution
Constatée, par exemple le retard dans l'exécution ou encore
l'exécution défectueuse, et que le débiteur n'apporte
aucun correctif. Donc, même si aujourd'hui certaines législations,
par exemple celle du Québec ,exigent désormais une mise en
demeure écrite, les doléances exprimées verbalement par le
créancier s'avèrent toujours pertinentes dans l'analyse de la
demeure.
54 ce cas de dispense ne saurait être
invoqué à l'égard du premier manquement : il vise
simplement à éviter que le créancier, déjà
victime d'une première inexécution pour laquelle il a
constitué son débiteur en demeure, soit tenu d'expédier
une nouvelle mise en demeure pour toute nouvelle inexécution.
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la dernière chance. Ainsi, il nous apparaît donc
souhaitable de conserver la position jurisprudentielle du droit
antérieur et d'accepter l'existence de cas de dispense résiduels,
tout en adoptant une attitude prudente sur la question afin d'éviter une
érosion du principe de la mise en demeure. Par ailleurs, le
débiteur ne peut se plaindre du défaut de son créancier de
lui expédier une mise en demeure lorsqu'il a lui-même
quitté son domicile sans laisser d'adresse. Dans ce dernier cas, on peut
même y voir un cas où le débiteur a, par son fait, rendu
l'exécution en nature impossible. La question de l'incompétence
du débiteur appelle quelques précisions. Tout d'abord, il
convient de distinguer la mauvaise exécution et l'incompétence
véritable. Le débiteur «incompétent» au sens
où nous l'entendons ici est celui qui, de façon
généralisée, ne maîtrise pas son art: ses
connaissances et habiletés ne lui permettent pas de comprendre les
causes ou l'étendue de son inexécution et, à plus forte
raison, d'y apporter des correctifs appropriés. Il faut souligner que
l'incompétence du débiteur ne constitue pas, en soi, un motif
« de demeure par l'effet de la loi ». Il a droit, en principe,
à un rappel à l'ordre afin qu'il ait la possibilité de
corriger cette prestation. Lorsque le créancier confronté
à l'incompétence de son débiteur n'a aucunement pris la
peine de faire connaître son mécontentement, ne serait-ce que par
un avis verbal en ce sens, il nous semble contraire au principe de la bonne foi
de le dispenser systématiquement de mise en demeure sur le seul
fondement de l'incompétence de son débiteur. Une solution plus
juste, à notre avis, consisterait à présumer, dans de
telles circonstances, qu'une mise en demeure n'aurait eu aucune utilité
compte tenu du degré d'incompétence constaté et à
imposer au débiteur le fardeau de démontrer qu'il aurait pu, en
étant valablement informé de l'insatisfaction de son
créancier, corriger sa prestation. Ainsi vu, il n'est pas toujours
aisé de tracer la frontière entre les cas où la mise en
demeure est requise et ceux où le créancier en est
dispensé.
*
* *
Parvenu au terme de ce chapitre consacré au champ
d'application de la mise en demeure, nous constaterons que fort de ce que
l'article 133 de l'AUDCG la place comme exigence préalable à
toute intention de rompre le bail professionnel en droit Ohada, son
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champ d'application présente des contrastes tant au
niveau de la forme de la rupture que de la nature du motif susceptible
d'entraîner la rupture du contrat.
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LA MISE EN OEUVRE DE LA MISE EN DEMEURE
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