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La mise en demeure en matière de résiliation du bail à  usage professionnel.


par Ted-Rousseau KENNANG GUEFACK
Université de Dschang Cameroun - Master II 2016
  

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1- Nature de l'indemnité d'éviction

L'indemnité d'éviction, de par sa nature, est une indemnité compensatrice. Elle compense ainsi le préjudice subi par le locataire du fait du refus de renouvellement164, refus considéré par certains comme un abus de droit, tandis que d'autres trouvent son fondement dans le concept même de propriété commerciale''. L'indemnité d'éviction serait alors une indemnité d'expropriation'' due par le propriétaire de l'immeuble au propriétaire commercial à. Elle doit compenser autant que possible les droits qui découlaient du renouvellement du bail commercial, c'est donc une sorte de dommages-intérêts.

En effet, l'indemnité d'éviction compense le préjudice subi par le locataire non seulement du fait de la perte matérielle du fonds, mais également en raison des frais supplémentaires que lui occasionne l'acquisition d'un autre fonds. Elle sera fixée compte-

162l'absence de mise en demeure régulière, si elle est établie, laisse subsister le refus de renouvellement mais ouvre droit, pour le preneur, au paiement d'une indemnité d'éviction.

163 Voir art. 4 Loi du 30 juin 1926.

164 Cette fonction de l'indemnité d'éviction était déjà celle retenue par le législateur de 1926 (art.4).

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tenu des 'éléments de perte''165 que le locataire aura à subir et des 'éléments de gains'' dont il sera privé, c'est-à-dire le trouble commercial ou manque à gagner''166, depuis la fermeture de l'ancien fonds jusqu'à la réouverture du nouveau.

Ainsi présentée, l'indemnité d'éviction vise essentiellement la protection du fonds de commerce et qui peut résulter du non-renouvellement du bail. Ce non-renouvellement peut être le fait d'une procédure de renouvellement mal menée, par exemple en cas de défaut de mise en demeure, ayant conduit le bailleur non à être contrains de continuer de louer son local mais à devoir verser au propriétaire une indemnité d'éviction. Néanmoins, il peut arriver que le droit au bail constitue à lui-seul l'élément le plus important du fonds. Dans ce cas, le préjudice représenté par la perte de ce droit aura alors une valeur supérieure à celle du fonds lui-même, en raison du potentiel de développement qu'il représente. Ainsi, dans cette hypothèse, l'indemnité d'éviction est considérée comme protectrice non plus du fonds, mais plutôt du seul droit au bail167.

Quant à son montant, l'indemnité d'éviction présente un caractère d'indivisibilité. En découle le fait qu'en cas de refus de renouvellement pour motif grave et légitime retirant au locataire tout droit au versement d'une telle indemnité, il ne sera pas possible pour les juges d'imposer le paiement d'une indemnité d'éviction dont le montant aurait été minoré en fonction du caractère plus ou moins grave du motif de non-renouvellement. En d'autres termes, l'indemnité d'éviction doit être versée dans son intégralité ou ne pas être versée du tout, aucune situation intermédiaire n'étant possible. En vertu de ce caractère d'indivisibilité, l'indemnité d'éviction devra également couvrir l'entier préjudice du locataire alors même que celui-ci n'est évincé que de la partie des locaux affectée à un usage commercial dans l'hypothèse d'un bail mixte portant sur des locaux affectés en partie à un usage d'habitation et en partie à un usage commercial. En somme, si l'indemnité d'éviction compense effectivement les préjudices matériels et financiers subis par le locataire, elle est cependant loin de couvrir tous les effets néfastes nés du refus du propriétaire de renouveler le bail du commerçant, d'où l'ampleur des difficultés pouvant résulter du refus de renouvellement.

165 Il s'agit notamment de la valeur du fonds, des droits d'enregistrement et taxes locales à payer pour l'achat d'un fonds de même valeur,, des frais des intermédiaires et rédacteurs d'actes, des frais de déménagement et de réinstallation, des indemnités de licenciement dues au personnel salarié évincé des lieux.

166 Tel par exemple la perte de clientèle.

167Mais cette solution a été critiquée en doctrine car étant de nature à engendrer des spéculations sur la valeur du droit du bail. (Voir DE JUGLART (M.) et IPPOLITO (B.) Droit commercial, vol 1, éd Montchrestien, Paris, 1980, 744 pages).

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2- Calcul de l'indemnité d'éviction

L'évaluation du préjudice dépend tout d'abord de leur nature : matériel et financier. Cependant, l'Acte uniforme en son article 94 de même que la loi française ne prennent pas en compte l'indemnisation du préjudice moral.168 En effet c'est le dommage qui est causé d'une manière volontaire ou involontaire. Le préjudice peut être le fait d'une personne, la survenance d'un événement naturel etc. Il peut affecter la personne dans son patrimoine ; il consiste soit dans une perte soit des dommages causés aux biens, soit encore dans la suppression ou la diminution des revenus. Et si on analyse la situation du preneur évincé il est certain qu'une diminution des revenus et du patrimoine n'est pas à écarter des conséquences du refus du renouvellement par le propriétaire ; qu'il soit légitime ou illégitime. La réinstallation du fonds dans un autre immeuble demande l'emploi de nouvelles ressources financières et en France 'le pas de porte''169 est exigé par certain propriétaire .Ainsi le préjudice moral est certain ; En ce sens que le locataire sera obligé dans une certaine mesure à réemployer des sommes d'argent pour continuer son exploitation commerciale. La réparation doit donc prendre en compte la perte subie et le gain manqué.

Le refus de renouvellement s'accompagne forcément d'une indemnité, cette dernière devant réparer le préjudice subi par le locataire du fait de l'éviction. À cet effet, le calcul de l'indemnité d'éviction s'effectue généralement sur la base de certains éléments fixés par la Loi. Par ailleurs, si le bailleur n'entend pas payer tout ou partie de cette indemnité il lui appartient alors de faire la démonstration d'un « préjudice moindre » subi par son locataire. L'indemnité d'éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce. L'un des éléments les plus importants du fonds de commerce est le droit au bail. Des auteurs le définissent comme étant « l'élément qui mesure l'intérêt pour un exploitant d'être situé à un emplacement donné pour exploiter un commerce donné moyennant un loyer donné170». Dans le cadre de l'indemnité d'éviction, il s'agit de calculer la perte du droit au bail par le preneur évincé qui représente le préjudice à indemniser.

Sont à cet effet souvent pris en compte les frais de déménagement et de réinstallation. Ainsi, Si le locataire a déjà quitté les lieux au moment où le tribunal statue, il suffira d'ajouter à l'indemnité

168Mais si on s'en tient à la définition de ce type de préjudice, il importait pourtant d'en prendre compte pour l'évaluation des dommages subi par le commerçant évincé.

169 Il s'agit des sommes d'argent versé avant l'occupation des lieux.

170Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz, n° 550-130, p. 565

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principale le montant des frais de déménagement et de réinstallation déboursés par le locataire évincé sur justification. Néanmoins, seuls les frais normaux sont pris en compte, ce qui exclut les dépenses somptuaires. Les frais de réinstallation, dès lors qu'ils ont un caractère indispensable pour l'exercice de l'activité du preneur, doivent être pris en considération même s'ils apportent une plus-value à l'immeuble acquis par celui-ci. Le locataire évincé qui a acquis des locaux en vue d'y transférer son activité doit très normalement adapter la distribution desdits locaux à son activité future. Les dépenses que cette adaptation implique y compris le renforcement de la structure de l'immeuble pour accueillir dans de bonnes conditions, d'une part, la clientèle et le personnel, d'autre part, l'équipement de distribution de monnaie sont totalement induites par la nécessité par le locataire de transférer ses équipements et doivent donc être prises en compte pour le calcul de l'indemnité d'éviction. Peu importe que ces dépenses correspondent à des travaux de gros oeuvre apportant une plus-value à l'immeuble. Le locataire n'a pas à supporter les frais d'une réinstallation coûteuse à proportion du degré d'amortissement des investissements qu'il abandonne par la contrainte et ne doit conserver à sa charge que les seuls travaux qui auraient dû être refaits à brève échéance dans le local abandonné qui ne relèvent pas en leur valeur à neuf des frais normaux de réinstallation mais correspondent à court terme à une économie d'investissement que le bailleur n'est pas tenu de supporter. En conséquence, si les nouveaux locaux acquis par le preneur pour transférer son fonds de commerce lui ont été livrés sans aucun aménagement et qu'il est indispensable qu'il les adapte à son activité, le bailleur devra supporter une partie de ces travaux d'aménagement.

B- Le règlement de l'indemnité d'éviction

À titre de rappel, le droit à l'indemnité naît au jour du refus de renouvellement, mais l'évaluation doit être effectuée à la date la plus proche du jour de l'éviction effective171. Il s'agira donc pour le bailleur dès lors que cette indemnité est calculée de la payer. Mais certaines modalités entourent néanmoins le paiement de celle-ci. En outre qu'adviendra-t-il si le bailleur refuse de régler cette indemnité ? D'où l'idée des difficultés liées au non-paiement. Les modalités de paiement de l'indemnité d'éviction sont multiples.

Concernant les modalités de règlement de l'indemnité tenant à sa fixation, c'est l'article 126 alinéa 1er traite de la question. Cet article dispose que : « À défaut d'accord sur le

171 Notamment à la date à laquelle le locataire doit vider les lieux, car c'est à ce moment que le préjudice se réalise ; ou à défaut à la date où le juge statue si cette éviction n'est pas encore réalisée.

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montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d'affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement ». Aux termes de cet article, l'on peut constater en premier point qu'il revient selon les vouloirs du législateur aux parties de fixer le montant de l'indemnité à payer. Donc, il s'agit d'une fixation conventionnelle à la base. Le texte suscité va plus loin en suppléant au silence des parties. En effet, à la lecture de ce texte, le juge est en cas de silence des parties, habilité à fixer cette indemnité et ce sur la base d'éléments énumérés par ce même article. Par ailleurs, le juge peut désigner un expert chargé de l'évaluation de l'indemnité à verser.

Concernant les modalités de règlement de l'indemnité tenant aux parties, celle-ci peut être versée au locataire directement ou entre les mains d'un séquestre, auquel cas le délai imparti pour libérer les lieux ne commence à courir qu'à partir de la notification au locataire du versement de l'indemnité au séquestre. Le séquestre ne se libérera de l'indemnité entre les mains du locataire que lorsque ce dernier aura justifié auprès de lui qu'il a bien quitté les locaux, s'est acquitté des impôts, loyers et réparations locatives et qu'aucun créancier n'a formé d'opposition. Cependant que se passe-t-il quand le bailleur ne donne pas de verser cette indemnité ?

En vertu de l'article L. 145-28 du Code de commerce Français, « aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé à quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. ». Ainsi, l'éviction consécutive au refus de renouvellement discrétionnaire du bailleur ne peut, pour des raisons pratiques, avoir d'effet automatique et contraindre le preneur à quitter les lieux le jour du congé. Ainsi, si théoriquement la relation contractuelle a cessé à compter du jour du refus de renouvellement, il n'en reste pas moins que le preneur dispose du droit de rester dans les lieux jusqu'au complet paiement de l'indemnité d'éviction. Ainsi en droit Français, Après avoir perçu l'indemnité d'éviction, le locataire dispose de trois mois pour quitter les lieux.

Qu'en est-il si le locataire continuait à se maintenir sur les lieux loués après avoir perçu son indemnité et ce contre le gré du bailleur ? Dans ce cas, le preneur sera tenu au

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paiement d'une indemnité d'occupation172 L'indemnité d'occupation doit correspondre à la valeur locative et se calcule par référence à un loyer déplafonné. Toutefois, à la défaveur du bailleur, la pratique judiciaire révèle que les juges appliquent un coefficient d'abattement en raison de la précarité de l'occupation.

En définitive, le preneur quittera les lieux après paiement intégral de l'indemnité d'éviction du bailleur. Pour faciliter le règlement, les parties peuvent convenir que les créances seront compensées selon les règles de l'article 1289 et suivants du Code civil Camerounais. La jurisprudence reconnaît que la compensation peut produire ses effets dès lors qu'une décision juridictionnelle a reconnu la réciprocité des dettes. L'étude du refus de renouvellement sans indemnité d'éviction révèle que le bailleur sort affaibli de la lutte entre droit de propriété et droit à la propriété commerciale dès lors qu'elle est mal menée173. Il revient donc à la partie diligente, et très souvent le bailleur, de régulariser la procédure en respectant par exemple l'exigence de mise en demeure faisant défaut.

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En conclusion, l'absence de mise en demeure a pour inconvénient de remettre en cause toute la procédure de résiliation. Dès que les conditions à remplir par la procédure ne sont pas respectées, il y a lieu de sanctionner celle-ci. Mais, il est possible à la partie vis-à-vis de laquelle la sanction de la procédure porte grief, d'effectuer les diligences manquantes.

En effet, il est possible que la partie n'ayant pas adressé de mise en demeure n'était pas informé de l'exigence d'un tel impératif, et par là même, a engagé une procédure qui se vouait déjà être irrégulière. Ainsi, lui est donc possible de régulariser la situation en adjoignant à la procédure l'acte de mise en demeure faisant défaut. En outre, celle qui le

172 Sauf dans l'hypothèse où celui s'est retrouvé dans un cas fortuit ou une force majeure l'empêchant d'effectuer la remise des clés du local.

173 Les montantsdéfinitifs des indemnités d'éviction, qu'elles soient de remplacement ou de déplacement, peuvent atteindre des montants très exorbitants.

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savait et est passée outre, devra subir les conséquences attachées à l'absence de mise en demeure : nullité de la procédure, paiement de l'indemnité d'éviction. Il s'agit donc de sanctionner le non-respect d'une mention prévue par le législateur Ohada et indispensable à l'information de la partie fautive, le législateur étant fidèle à son désir de préserver la stabilité des relations contractuelles gages d'essor dans les affaires dans l'espace OHADA.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus