1- Nature de l'indemnité d'éviction
L'indemnité d'éviction, de par sa nature, est
une indemnité compensatrice. Elle compense ainsi le préjudice
subi par le locataire du fait du refus de renouvellement164, refus
considéré par certains comme un abus de droit, tandis que
d'autres trouvent son fondement dans le concept même de
propriété commerciale''. L'indemnité
d'éviction serait alors une indemnité
d'expropriation'' due par le propriétaire de l'immeuble au
propriétaire commercial à. Elle doit compenser autant que
possible les droits qui découlaient du renouvellement du bail
commercial, c'est donc une sorte de dommages-intérêts.
En effet, l'indemnité d'éviction compense le
préjudice subi par le locataire non seulement du fait de la perte
matérielle du fonds, mais également en raison des frais
supplémentaires que lui occasionne l'acquisition d'un autre fonds. Elle
sera fixée compte-
162l'absence de mise en demeure
régulière, si elle est établie, laisse subsister le refus
de renouvellement mais ouvre droit, pour le preneur, au paiement d'une
indemnité d'éviction.
163 Voir art. 4 Loi du 30 juin 1926.
164 Cette fonction de l'indemnité d'éviction
était déjà celle retenue par le législateur de 1926
(art.4).
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l'Ohada
tenu des 'éléments de
perte''165 que le locataire aura à subir et des
'éléments de gains'' dont il sera privé,
c'est-à-dire le trouble commercial ou manque à
gagner''166, depuis la fermeture de l'ancien fonds jusqu'à la
réouverture du nouveau.
Ainsi présentée, l'indemnité
d'éviction vise essentiellement la protection du fonds de commerce et
qui peut résulter du non-renouvellement du bail. Ce non-renouvellement
peut être le fait d'une procédure de renouvellement mal
menée, par exemple en cas de défaut de mise en demeure, ayant
conduit le bailleur non à être contrains de continuer de louer son
local mais à devoir verser au propriétaire une indemnité
d'éviction. Néanmoins, il peut arriver que le droit au bail
constitue à lui-seul l'élément le plus important du fonds.
Dans ce cas, le préjudice représenté par la perte de ce
droit aura alors une valeur supérieure à celle du fonds
lui-même, en raison du potentiel de développement qu'il
représente. Ainsi, dans cette hypothèse, l'indemnité
d'éviction est considérée comme protectrice non plus du
fonds, mais plutôt du seul droit au bail167.
Quant à son montant, l'indemnité
d'éviction présente un caractère d'indivisibilité.
En découle le fait qu'en cas de refus de renouvellement pour motif grave
et légitime retirant au locataire tout droit au versement d'une telle
indemnité, il ne sera pas possible pour les juges d'imposer le paiement
d'une indemnité d'éviction dont le montant aurait
été minoré en fonction du caractère plus ou moins
grave du motif de non-renouvellement. En d'autres termes, l'indemnité
d'éviction doit être versée dans son
intégralité ou ne pas être versée du tout, aucune
situation intermédiaire n'étant possible. En vertu de ce
caractère d'indivisibilité, l'indemnité d'éviction
devra également couvrir l'entier préjudice du locataire alors
même que celui-ci n'est évincé que de la partie des locaux
affectée à un usage commercial dans l'hypothèse d'un bail
mixte portant sur des locaux affectés en partie à un usage
d'habitation et en partie à un usage commercial. En somme, si
l'indemnité d'éviction compense effectivement les
préjudices matériels et financiers subis par le locataire, elle
est cependant loin de couvrir tous les effets néfastes nés du
refus du propriétaire de renouveler le bail du commerçant,
d'où l'ampleur des difficultés pouvant résulter du refus
de renouvellement.
165 Il s'agit notamment de la valeur du fonds, des droits
d'enregistrement et taxes locales à payer pour l'achat d'un fonds de
même valeur,, des frais des intermédiaires et rédacteurs
d'actes, des frais de déménagement et de réinstallation,
des indemnités de licenciement dues au personnel salarié
évincé des lieux.
166 Tel par exemple la perte de clientèle.
167Mais cette solution a été
critiquée en doctrine car étant de nature à engendrer des
spéculations sur la valeur du droit du bail. (Voir DE JUGLART (M.) et
IPPOLITO (B.) Droit commercial, vol 1, éd Montchrestien, Paris,
1980, 744 pages).
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2- Calcul de l'indemnité
d'éviction
L'évaluation du préjudice dépend tout
d'abord de leur nature : matériel et financier. Cependant, l'Acte
uniforme en son article 94 de même que la loi française ne
prennent pas en compte l'indemnisation du préjudice moral.168
En effet c'est le dommage qui est causé d'une manière volontaire
ou involontaire. Le préjudice peut être le fait d'une personne, la
survenance d'un événement naturel etc. Il peut affecter la
personne dans son patrimoine ; il consiste soit dans une perte soit des
dommages causés aux biens, soit encore dans la suppression ou la
diminution des revenus. Et si on analyse la situation du preneur
évincé il est certain qu'une diminution des revenus et du
patrimoine n'est pas à écarter des conséquences du refus
du renouvellement par le propriétaire ; qu'il soit légitime ou
illégitime. La réinstallation du fonds dans un autre immeuble
demande l'emploi de nouvelles ressources financières et en France
'le pas de porte''169 est exigé par certain
propriétaire .Ainsi le préjudice moral est certain ; En ce sens
que le locataire sera obligé dans une certaine mesure à
réemployer des sommes d'argent pour continuer son exploitation
commerciale. La réparation doit donc prendre en compte la perte subie et
le gain manqué.
Le refus de renouvellement s'accompagne forcément d'une
indemnité, cette dernière devant réparer le
préjudice subi par le locataire du fait de l'éviction. À
cet effet, le calcul de l'indemnité d'éviction s'effectue
généralement sur la base de certains éléments
fixés par la Loi. Par ailleurs, si le bailleur n'entend
pas payer tout ou partie de cette indemnité il lui appartient alors de
faire la démonstration d'un « préjudice moindre » subi
par son locataire. L'indemnité d'éviction comprend notamment la
valeur marchande du fonds de commerce. L'un des éléments les plus
importants du fonds de commerce est le droit au bail. Des auteurs le
définissent comme étant « l'élément qui
mesure l'intérêt pour un exploitant d'être situé
à un emplacement donné pour exploiter un commerce donné
moyennant un loyer donné170». Dans le cadre de
l'indemnité d'éviction, il s'agit de calculer la perte du droit
au bail par le preneur évincé qui représente le
préjudice à indemniser.
Sont à cet effet souvent pris en compte les frais de
déménagement et de réinstallation. Ainsi, Si le locataire
a déjà quitté les lieux au moment où le tribunal
statue, il suffira d'ajouter à l'indemnité
168Mais si on s'en tient à la
définition de ce type de préjudice, il importait pourtant d'en
prendre compte pour l'évaluation des dommages subi par le
commerçant évincé.
169 Il s'agit des sommes d'argent versé avant l'occupation
des lieux.
170Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz,
n° 550-130, p. 565
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principale le montant des frais de déménagement
et de réinstallation déboursés par le locataire
évincé sur justification. Néanmoins, seuls les frais
normaux sont pris en compte, ce qui exclut les dépenses somptuaires. Les
frais de réinstallation, dès lors qu'ils ont un caractère
indispensable pour l'exercice de l'activité du preneur, doivent
être pris en considération même s'ils apportent une
plus-value à l'immeuble acquis par celui-ci. Le locataire
évincé qui a acquis des locaux en vue d'y transférer son
activité doit très normalement adapter la distribution desdits
locaux à son activité future. Les dépenses que cette
adaptation implique y compris le renforcement de la structure de l'immeuble
pour accueillir dans de bonnes conditions, d'une part, la clientèle et
le personnel, d'autre part, l'équipement de distribution de monnaie sont
totalement induites par la nécessité par le locataire de
transférer ses équipements et doivent donc être prises en
compte pour le calcul de l'indemnité d'éviction. Peu importe que
ces dépenses correspondent à des travaux de gros oeuvre apportant
une plus-value à l'immeuble. Le locataire n'a pas à supporter les
frais d'une réinstallation coûteuse à proportion du
degré d'amortissement des investissements qu'il abandonne par la
contrainte et ne doit conserver à sa charge que les seuls travaux qui
auraient dû être refaits à brève
échéance dans le local abandonné qui ne relèvent
pas en leur valeur à neuf des frais normaux de réinstallation
mais correspondent à court terme à une économie
d'investissement que le bailleur n'est pas tenu de supporter. En
conséquence, si les nouveaux locaux acquis par le preneur pour
transférer son fonds de commerce lui ont été livrés
sans aucun aménagement et qu'il est indispensable qu'il les adapte
à son activité, le bailleur devra supporter une partie de ces
travaux d'aménagement.
B- Le règlement de l'indemnité
d'éviction
À titre de rappel, le droit à l'indemnité
naît au jour du refus de renouvellement, mais l'évaluation doit
être effectuée à la date la plus proche du jour de
l'éviction effective171. Il s'agira donc pour le bailleur
dès lors que cette indemnité est calculée de la payer.
Mais certaines modalités entourent néanmoins le paiement de
celle-ci. En outre qu'adviendra-t-il si le bailleur refuse de
régler cette indemnité ? D'où l'idée des
difficultés liées au non-paiement. Les modalités de
paiement de l'indemnité d'éviction sont multiples.
Concernant les modalités de règlement de
l'indemnité tenant à sa fixation, c'est l'article 126
alinéa 1er traite de la question. Cet article dispose que :
« À défaut d'accord sur le
171 Notamment à la date à laquelle le locataire
doit vider les lieux, car c'est à ce moment que le préjudice se
réalise ; ou à défaut à la date où le juge
statue si cette éviction n'est pas encore réalisée.
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montant de cette indemnité, celle-ci est
fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du
montant du chiffre d'affaires, des investissements réalisés par
le preneur, de la situation géographique du local et des frais de
déménagement imposés par le défaut de
renouvellement ». Aux termes de cet article, l'on peut constater en
premier point qu'il revient selon les vouloirs du législateur aux
parties de fixer le montant de l'indemnité à payer. Donc, il
s'agit d'une fixation conventionnelle à la base. Le texte suscité
va plus loin en suppléant au silence des parties. En effet, à la
lecture de ce texte, le juge est en cas de silence des parties, habilité
à fixer cette indemnité et ce sur la base
d'éléments énumérés par ce même
article. Par ailleurs, le juge peut désigner un expert chargé de
l'évaluation de l'indemnité à verser.
Concernant les modalités de règlement de
l'indemnité tenant aux parties, celle-ci peut être versée
au locataire directement ou entre les mains d'un séquestre, auquel cas
le délai imparti pour libérer les lieux ne commence à
courir qu'à partir de la notification au locataire du versement de
l'indemnité au séquestre. Le séquestre ne se
libérera de l'indemnité entre les mains du locataire que lorsque
ce dernier aura justifié auprès de lui qu'il a bien quitté
les locaux, s'est acquitté des impôts, loyers et
réparations locatives et qu'aucun créancier n'a formé
d'opposition. Cependant que se passe-t-il quand le bailleur ne donne pas de
verser cette indemnité ?
En vertu de l'article L. 145-28 du Code de commerce
Français, « aucun locataire pouvant prétendre à
une indemnité d'éviction ne peut être obligé
à quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de
l'indemnité d'éviction, il a droit au maintien dans les lieux aux
conditions et clauses du contrat de bail expiré. ». Ainsi,
l'éviction consécutive au refus de renouvellement
discrétionnaire du bailleur ne peut, pour des raisons pratiques, avoir
d'effet automatique et contraindre le preneur à quitter les lieux le
jour du congé. Ainsi, si théoriquement la relation contractuelle
a cessé à compter du jour du refus de renouvellement, il n'en
reste pas moins que le preneur dispose du droit de rester dans les lieux
jusqu'au complet paiement de l'indemnité d'éviction. Ainsi en
droit Français, Après avoir perçu l'indemnité
d'éviction, le locataire dispose de trois mois pour quitter les
lieux.
Qu'en est-il si le locataire continuait à se maintenir
sur les lieux loués après avoir perçu son indemnité
et ce contre le gré du bailleur ? Dans ce cas, le preneur sera tenu
au
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paiement d'une indemnité d'occupation172
L'indemnité d'occupation doit correspondre à la valeur locative
et se calcule par référence à un loyer
déplafonné. Toutefois, à la défaveur du bailleur,
la pratique judiciaire révèle que les juges appliquent un
coefficient d'abattement en raison de la précarité de
l'occupation.
En définitive, le preneur quittera les lieux
après paiement intégral de l'indemnité d'éviction
du bailleur. Pour faciliter le règlement, les parties peuvent convenir
que les créances seront compensées selon les règles de
l'article 1289 et suivants du Code civil Camerounais. La jurisprudence
reconnaît que la compensation peut produire ses effets dès lors
qu'une décision juridictionnelle a reconnu la réciprocité
des dettes. L'étude du refus de renouvellement sans indemnité
d'éviction révèle que le bailleur sort affaibli de la
lutte entre droit de propriété et droit à la
propriété commerciale dès lors qu'elle est mal
menée173. Il revient donc à la partie diligente, et
très souvent le bailleur, de régulariser la procédure en
respectant par exemple l'exigence de mise en demeure faisant défaut.
*
* *
En conclusion, l'absence de mise en demeure a pour
inconvénient de remettre en cause toute la procédure de
résiliation. Dès que les conditions à remplir par la
procédure ne sont pas respectées, il y a lieu de sanctionner
celle-ci. Mais, il est possible à la partie vis-à-vis de laquelle
la sanction de la procédure porte grief, d'effectuer les diligences
manquantes.
En effet, il est possible que la partie n'ayant pas
adressé de mise en demeure n'était pas informé de
l'exigence d'un tel impératif, et par là même, a
engagé une procédure qui se vouait déjà être
irrégulière. Ainsi, lui est donc possible de régulariser
la situation en adjoignant à la procédure l'acte de mise en
demeure faisant défaut. En outre, celle qui le
172 Sauf dans l'hypothèse où celui s'est
retrouvé dans un cas fortuit ou une force majeure l'empêchant
d'effectuer la remise des clés du local.
173 Les montantsdéfinitifs des indemnités
d'éviction, qu'elles soient de remplacement ou de déplacement,
peuvent atteindre des montants très exorbitants.
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savait et est passée outre, devra subir les
conséquences attachées à l'absence de mise en demeure :
nullité de la procédure, paiement de l'indemnité
d'éviction. Il s'agit donc de sanctionner le non-respect d'une mention
prévue par le législateur Ohada et indispensable à
l'information de la partie fautive, le législateur étant
fidèle à son désir de préserver la stabilité
des relations contractuelles gages d'essor dans les affaires dans l'espace
OHADA.
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