SECTION 2: LE SORT DU BAIL À USAGE
PROFESSIONNEL
Le non-respect par l'une des deux parties des exigences
posées par l'article 133 de l'Acte Uniforme relatif au Droit Commercial
Général en termes de mise en demeure aura une incidence sur le
bail à usage professionnel conclu entre le bailleur propriétaire
du local et le preneur locataire. À cet effet, tout défaut d'acte
de mise en demeure ou de mise en demeure irrégulière invalidera
la procédure de rupture du bail et la première conséquence
est la continuité des relations contractuelles entre les parties
jusqu'à la régularisation de la procédure d'où la
survie du bail (Paragrahe1) qui se suivra par le paiement
d'une indemnité d'éviction selon le cas (Paragraphe
2).
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La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
Paragraphe 1 : la survie du Bail à usage
professionnel
La survie du bail suppose que l'on considèrera que les
parties doivent être remises à l'état où elles se
trouvaient avant la décision frauduleuse. Le preneur doit se maintenir
dans les lieux s'il y était encore (A) ou qu'il doit
être réintégré s'il avait déjà
été expulsé (B).
A- Le maintien dans les lieux loués
Le locataire doit être maintenu dans les lieux
dès lors qu'il est établi qu'il a été
expulsé irrégulièrement. L'expulsion est
irrégulière lorsqu'elle ne se base sur aucune décision ou
sur une décision irrégulière. Si le locataire n'avait pas
encore libéré les lieux loués, il pourra demander son
maintien jusqu'à ce qu'une décision régulière l'en
expulse. Ainsi, tout bailleur qui serait tenté par exemple d'expulser de
fait le locataire pourra se heurter au refus de ce dernier de libérer.
Une affaire rendue par la Cour d'Appel d'Abidjan témoigne bien de
l'importance donnée au strict respect des règles concourant
à l'expulsion du preneur150. Si par contre l'expulsion a
été poursuivie sans congé préalable comme l'exigent
les articles 123 et 133 de l'AUDCG, le juge des référés
peut être saisi pour ordonner le maintien du locataire dans les lieux
loués151.
B- La réintégration dans les lieux du
preneur expulsé
La réintégration du preneur est l'une des
diverses mesures prises par les juges pour rétablir le locataire preneur
dans ses droits. Ceci est d'autant vrai qu'une procédure mal
menée peut conduire néanmoins à une expulsion
injustifiée du preneur des locaux loués. De plus, le bailleur
peut même être fondé dans son action mais ne respecte
pourtant pas la procédure prévue à l'article 133 de
l'AUDCG. La jurisprudence ne s'accommode pas d'une situation pareille
puisqu'elle sanctionne le bailleur qui n'ayant pas adressé de mise en
demeure, souhaitait néanmoins l'expulsion du preneur
locataire152. Cette réintégration doit permettre au
locataire de retrouver l'usage des locaux desquels il fut expulsé
irrégulièrement.
150 CA Abidjan, n° 361, 27-3-2001 : N c/ A, Le Juris
Ohada, n°1/2003, Janvier-mars 2003, p.54, Ohadata J-03118.
151 CA Abidjan, Ch. civ. & com., n° 774, 9-7-2004 :
Sté SOTRANSYA c/ Sté IBN TRANSPORTS, Ohadata J05-326.
152 la procédure d'expulsion subséquente est
entachée d'une nullité formelle et le jugement entrepris doit
être infirmé en ce qu'il a, sur la base de l'article 1728 du Code
civil, prononcé la résiliation du bail et ordonné
l'expulsion du preneur ; la réintégration du preneur doit
être ordonnée (CA Abidjan (Côte d'Ivoire), 4e ch.
civ. & com., n° 670, 2-6- 2006 : M. M. B. A. c./ Ayants- droit de Feu
El Hadji V. D., obs. J. Issa- Sayegh, Ohadata J11-28).
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
La jurisprudence a décidé que s'agissant d'un
restaurant, le bailleur qui n'a pas respecté les termes de leur contrat
faisant obligation à la partie voulant se dégager, d'en informer
l'autre un mois avant la rupture effective, et qui ne s'est pas non plus
conformé aux prescriptions d'ordre public de l'article 101 (devenu 133)
de l'AUDCG a commis une voie de fait qu'il convient de faire cesser en
ordonnant la réouverture du restaurant et la réintégration
du preneur dans les lieux153. Toutefois, une expulsion n'est
régulière que si les conditions et la procédure de
résiliation ont été respectées. À cet effet,
l'expulsion du preneur a été jugée
irrégulière dès le moment où le commandement de
payer ou la mise en demeure n'est pas conforme aux dispositions prescrites par
l'article 133 de l'AUDCG. Cette mise en demeure n'étant pas valable,
l'ordonnance d'expulsion doit être infirmée pour non-respect de
l'article sus cité. La Cour d'Appel de Douala a rendu dans une
décision allant dans ce sens et un attendu mérite bien
d'être cité : « Attendu que les dispositions de l'article 101
AUDCG sont d'ordre public, toute procédure d'expulsion n'étant
pas précédé d'une mise en demeure, devrait être
déclaré irrecevable»154. Puisque
l'irrégularité de la mise en demeure est assimilée
à son absence155, la procédure de résiliation
en résultant par cet effet est nulle elle-même. Par
conséquent, les parties sont remises au même état où
elles étaient avant l'ordonnance d'expulsion
irrégulière156. Il a déjà
été procédé à l'expulsion du preneur, le
juge peut ordonner sa réintégration. À titre d'exemple, la
Cour d'Appel de Daloa a ordonné la réintégration du
preneur dans les lieux en cas de résiliation irrégulière,
s'agissant du bail d'un local servant de restaurant. En effet, elle soutient
que le bailleur qui n'a pas respecté les termes de leur contrat faisant
obligation à la partie voulant se dégager, pour des raisons
justifiées, d'en informer l'autre un mois avant la rupture effective, et
qui ne s'est pas non plus conformé aux prescriptions d'ordre public de
l'article 101(devenu 133) de l'AUDCG a commis une voie de fait qu'il convient
de faire cesser en ordonnant la réouverture du restaurant et la
réintégration
153 CA., de Daloa, n°295,20-11-2002 : K.K. c/ S.G, le
Juris Ohada, n°4/2005, Juillet-Septembre 2005, p.32 ; Ohadata
J-06-19.
154CA Littoral à Douala, arrêt n°
58/ réf du 21 AVRIL 2003, MOHAMED Aref c/ FONKA Louis. ; CA Abidjan,
n°279, 6-3-2001 : Sté PAGOTO c/ O, OhadataJ-04-114, Le Juris
Ohada, N°3/2003, Juillet-septembre 2003, P.55 ; TGI de la Menoua
à Dschang, n° 28/CIV,10-3-2003 : Amicale des Anciens Combattants,
Anciens militaires et victimes de Guerre de la Menoua c/ ZEBAZE Pierre, Ohadata
J-05-111 « Faute de mise en demeure, la procédure de
résiliation et l'ordonnance d'expulsion qui en est résulté
doivent être frappées de nullité. »
155La mise en demeure qui ne respecte pas les
exigences de l'article 101 [devenu 133] de l'AUDCG n'est pas valable ; dans ce
cas le tribunal constate l'absence de mise en demeure et déboute le
bailleur de son action en résiliation judiciaire du bail (TPI
Yaoundé (Cameroun), Centre Administratif, Ord. N°477/C, 1-9-2008 :
Sté AGF Cameroun Assurances contre Techni-Cameroun, Journal Le Jour,
Faty and Sister Compagnie et autres, Ohadata J-09-225).
156 CA Yaoundé, n° 222/Civ, 14-3-2003 : NGOUNOUN
NGATCHA Benjamin c/ NOUMESSI Gilbert, F. AHO et al. OHADA : Jurisprudences
nationales. Ed. BENIN CONSULTING GROUP, Cotonou (Bénin) : 2004, P.47.
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
du preneur dans les lieux157. On peut
également citer l'arrêt rendu par la Cour d'Appel d'Abidjan en
date du 02 Juin 2006158dans lequel le juge rappelle que l'exploit de
congé servi au preneur n'est pas une mise en demeure valable ; la
procédure d'expulsion subséquente est entachée d'une
nullité formelle et le jugement entrepris doit être infirmé
en ce qu'il a, sur la base de l'article 1728 du Code civil, prononcé la
résiliation du bail et ordonné l'expulsion du preneur ; la
réintégration du preneur doit être ordonnée.
Le bailleur a donc l'obligation de remettre le local à
la disposition du preneur notamment à travers la remise des clés.
Mais cependant une question se pose ici : celle de savoir si le preneur a un
délai pour réintroduire le local ? À cette question la
Cour de Cassation par un Arrêt du 06 mai 1964 réponds par
l'affirmative en imposant au preneur de réintégrer le local dans
un délai raisonnable faute pour lui de le faire le bailleur pourra le
louer à un autre locataire.
Par ailleurs que se passera-t-il si le local avait
déjà été loué à une autre personne ?
Dans pareil cas, les notions de bonne foi et mauvaise foi guideront notre
logique. Ainsi, nous pensons que le locataire de bonne foi sera maintenu dans
le local, le preneur expulsé ne pouvant se contenter que d'une
indemnité d'éviction. Par contre, si le tiers était de
mauvaise foi, les choses seront autrement puisqu'il sera évincé
compte tenu qu'il savait que l'expulsion n'était pas
régulière. Ainsi il devra libérer pour permettre à
l'ancien preneur de réintégrer les dits lieux.
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