SECTION 2 : LE DÉFAUT DE RÉGULARISATION
DE LA SITUATION DÉFAILLANTE
La mise en demeure comme nous l'avons déjà
souligné plus haut joue un rôle indispensable dans la
procédure de rupture du bail professionnel puisque sans elle, cette
procédure serait déclarée
irrégulière92. C'est la raison pour laquelle, il est
important que cet acte soit lui-même valable pour pouvoir produire les
effets attachés à un acte régulier. Par ailleurs, une fois
la validité de la mise en demeure attestée, la question qui se
pose ici avec beaucoup d'acuité est celle de savoir : que se
passera-t-il si la partie défaillante refuse de
88 Le défaut d'entretien ne peut pas par
exemple résulter d'un cas de maladie grave d
89 Les grosses réparations sont notamment
celles des gros murs, des voûtes, des poutres, des toitures, des murs de
soutènement, des murs de clôture, des fosses septiques et des
puisards (article 106 al 2).
90 Le bailleur est responsable envers le preneur du
trouble de jouissance survenu de son fait, ou du fait de ses ayants-droit ou de
ses préposés (article 109).
91 En pareil cas, si le bailleur souhaite vraiment
résilier le bail, il devra offrir au preneur une indemnité
d'éviction (CA de l'Ouest, n° 11/civ., 9-10-2002 : K. A. c/ F. C.,
Ohadata J-04-227).
92CF TPI DE BAFOUSSAM, JUG CIVIL N° 67 DU 16
SEPTEMBRE 2005, AFFAIRE Paroisse de la cathédrale de Bafoussam c/
ngoupou Samuel : « en l'absence d'une mise en demeure préalable, la
demande de résiliation d'un contrat de bail commercial formée par
le bailleur doit être déclarée irrecevable. Article 133
AUDCG
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
régulariser sa situation ? La réponse est simple
puisque deux solutions sont prévues en l'occurrence : d'une part la
résiliation du bail (paragraphe 1), et d'autre part le
refus de renouvellement (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : la résiliation du bail à usage
professionnel en droit de l'Ohada
La doctrine oppose la résolution, dont l'effet est en
principe rétroactif, à la résiliation, qui ne joue que
pour l'avenir93 ; ce qui conduit certains auteurs à
déclarer à l'égard des contrats à exécution
successive, qu'il y aurait résiliation et non
résolution94. La résiliation est définie comme
: « la suppression d'un contrat successif pour l'avenir, en raison de
l'inexécution par l'une des parties de ses obligations
»95. C'est donc son effet rétroactif qui la
distingue de la résolution, et plus encore de la nullité qui
sanctionne plutôt un vice de formation. Longtemps la jurisprudence n'a
semblé se soucier du trouble sémantique né d'un usage
aléatoire des notions de résolution et de résiliation. La
distinction répandue était tirée de la nature du contrat
rompu : le contrat à exécution instantanée est
résolu, tandis que le contrat à exécution successive se
trouve résilié, en conformité d'ailleurs avec le vocable
législatif s'agissant du bail commercial. En étaient
déduits les effets respectifs de la résolution et de la
résiliation, la première devant remettre les parties dans
l'état où elles se trouvaient antérieurement, alors que la
seconde ne valait que pour l'avenir, ne remettant pas en cause
l'exécution contractuelle intervenue+ depuis la conclusion du contrat
jusqu'à sa résiliation. Mais il semble que la résiliation
ne soit pas la résolution d'un contrat à exécution
successive. Si seule la résolution se conçoit pour un contrat
à exécution instantanée, résolution et
résiliation se combineraient pour un contrat à exécution
successive, en fonction de l'inexécution sanctionnée.
En outre, en ce qui concerne le bail, il a été
procédé à un véritable toilettage des dispositions
relatives à la cessation du bail professionnel. De prime abord, il
importe de relever la disparition du terme « judiciaire » de
l'intitulé du chapitre VII consacré désormais à la
« résiliation du bail ». Au regard de cette disparition, l'on
est tenté de penser que la
93 La Cour de Cassation pour sa part, utilise
indifféremment les deux termes. Une telle incertitude terminologique
rend parfois l'interprétation de ses arrêts
particulièrement délicate. Voir par exemple,
l'interprétation donnée à l'arrêt Cass.Civ. 2 mars
1983 MARTY ET RAYNAUD dans Les obligations, Sirey, 2è
éd., 1988 n°332, P.342, note 4.
94 GHESTIN (J.), JAMIN(C.), BILIAU (M.),
Traité de droit civil (les effets des contrats), L.G.D.J,
3è édition, 2005, n°615.
95 GUILLIEN et VINCENT, Lexique des termes
juridiques, 13è édition, 2001, P.487.
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
résiliation du bail peut être amiable d'autant
plus que contrairement à l'article 100 de l'ancien Acte uniforme relatif
au droit commercial général, le nouvel article 132 semble
beaucoup plus libéral puisqu'il consacre la possibilité de
s'affranchir de l'office du juge96. Malgré tout, la
résiliation demeure judiciaire, car l'article 133 alinéa 2
établit l'obligation de saisir le juge en exigeant que la demande en
justice aux fins de résiliation du bail doive être
précédée d'une mise en demeure. Le législateur
cherche par-là à soumettre cette procédure au
contrôle du juge qui devra toujours chercher à assurer la
protection des intérêts des parties en présence.
En effet, les distorsions jurisprudentielles sur des questions
processuelles comme celle de la compétence juridictionnelle ainsi que
les lenteurs constatées dans l'instance en résiliation du bail
professionnel sont de nature à entraver l'objectif d'une application
judiciaire du droit uniforme OHADA97. C'est conscient de ces enjeux
stratégiques que le législateur de l'OHADA a esquissé une
stratégie d'aménagement de la procédure de
résiliation du bail professionnel (A). Mais, à
la lecture de l'article 133 du nouvel Acte uniforme, il ne fait pas de doute
que le législateur uniforme n'est pas allé jusqu'au bout de sa
logique. En outre, une fois que la procédure de résiliation aura
été menée régulièrement, celle-ci produira
inéluctablement des effets juridiques (B).
A- La procédure applicable en cas de
résiliation du bail professionnel
Le droit uniforme du bail commercial a été
toujours marqué par une volonté de garantir la protection du
locataire commerçant contre l'arbitraire du bailleur au cours de
l'instance en résiliation. Il s'agissait, à travers l'exigence
d'une mise en demeure préalable du preneur et de la
nécessité de la reproduction de certaines mentions dans l'acte
extrajudiciaire de mise en demeure, de favoriser la continuité de
l'exploitation et la sécurité des activités commerciales.
Cette protection recherchée non seulement par le législateur
OHADA mais par toutes les législations en droit du bail professionnel,
se décline quelque part en l'évitement des lenteurs
procédurales. Il sera davantage question dans le cadre de cette
procédure de s'interroger sur deux (2) points : Qui peut exercer cette
action ? D'où l'idée des titulaires de l'action et quelle est la
juridiction compétente pour statuer ?
96 L'on peut affirmer que le recours au juge est
facultatif puisque la mise en oeuvre d'une clause résolutoire n'est pas
nécessairement assujettie à la présence du juge. Voir en
ce sens C.A. du Centre, arrêt n°108/Civ. du 12 déc. 2003,
FOMAKA GWEI Isaac c/ La Sierka, Ohadata n°J-04-204.
97« Avec diligence dans les conditions propres à
garantir la sécurité juridique des activités
économiques afin de favoriser l'essor de celles-ci et d'encourager
l'investissement »
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
S'agissant primo des titulaires de l'action en
résiliation, nous devons partir du constat selon lequel l'action en
résiliation a été considérée avant la
réforme de 2010 comme une « action attitrée » ou «
action réservée ». Il s'agit d'une action dans laquelle
« la qualité pour agir apparait comme une condition distincte de
l'intérêt à agir puisqu'il faut exciper tout à la
fois de l'intérêt que l'on a à élever ou à
combattre la prétention litigieuse et du titre qui permet de le
faire». L'action attitrée n'est attribuée qu'à
certaines personnes intéressées seulement98. Sous
l'angle de la théorie générale de l'action en justice, la
loi communautaire avait ainsi prévu une « attribution exclusive
» du droit d'agir au bailleur , du moins dans le cadre de l'action en
résiliation du bail commercial pour inexécution des conditions du
bail. Sous l'empire de l'ancien article 101 de l'Acte uniforme sur le droit
commercial général, il a été prévu une
attribution spéciale très étroite du droit d'agir en
résiliation du bail commercial. Seul le bailleur était
habilité à se pourvoir en résiliation. Cela est d'ailleurs
mieux perceptible à l'article 101 alinéa 2. Mais, cette
attribution exclusive au bailleur du droit d'agir en résiliation
était de moins en moins acceptable, si l'on sait que le preneur pouvait
dans bien des situations avoir intérêt à se délier
du contrat de bail, en invoquant une inexécution des obligations du
bailleur. Alors, pourquoi, ne pas lui ouvrir la possibilité d'agir en
résiliation en excipant d'une défaillance du bailleur ? C'est
à cette question que le législateur Ohada a répondu en
consacrant, dans la nouvelle version de l'acte uniforme relatif au droit
commercial général un droit de résiliation du preneur. Le
nouvel Acte uniforme portant sur le droit commercial général a
franchi ce pas, en consacrant le droit de résiliation du preneur. Il
résulte de l'alinéa 1er de l'article 133 de cet Acte
uniforme que : « le preneur et le bailleur sont tenus chacun en ce qui le
concerne au respect de chacune des clauses et conditions du bail sous peine de
résiliation ». Désormais, aussi bien le bailleur que le
preneur ont qualité pour agir en résiliation, en raison de la
défaillance de l'autre partie dans l'exécution de ses obligations
contractuelles.
Secundo, s'agissant de la juridiction compétente, La
réforme du 15 décembre 2010 de l'AUDCG a essayé d'apporter
une réponse à la question du juge compétent en
matière de résiliation. L'article 133 dispose désormais
que « La demande en justice aux fins de résiliation du bail
doit être précédée d'une mise en demeure d'avoir
à respecter la ou les clauses ou conditions violées (...) A peine
de nullité, la mise en demeure doit indiquer la ou les clauses et
conditions du bail non respectées et informer le destinataire
qu'à défaut de
98C'est tout le sens du deuxième paragraphe
de l'article 1-2 alinéa 1e du Code de procédure civile
sénégalais qui réserve les « cas où la loi
attribue ce choix aux seules personnes qu'elles qualifie pour élever une
prétention ou pour défendre un intérêt
déterminé »
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
s'exécuter dans un délai d'un mois à
compter de sa réception, la juridiction compétente statuant
à bref délai est saisie aux fins de résiliation du bail et
d'expulsion, le cas échéant, du preneur et de tout occupant de
son chef ».La compétence du juge siégeant à bref
délai, c'est-à-dire pour le droit camerounais, le juge des
référés, semble s'ériger en principe. Dans
l'hypothèse de la résiliation en présence d'une clause
résolutoire, le problème de la compétence du juge des
référés s'est posé avec beaucoup d'acuité.
La détermination de la juridiction compétente variera selon que
la résiliation sera avec ou sans clause résolutoire. La
difficulté tenait en ce que le juge des référés ne
rendant que des ordonnances, devait-il se déclarer compétent
toutes les fois qu'il était saisi d'une demande en expulsion pour
inexécution ou mauvaise exécution des conditions du contrat de
bail professionnel ? Cette question qui à l'origine d'une énorme
division jurisprudentielle99 n'a pas elle-même trouvé
de solution malgré l'avis donnée par la CCJA le 04 Juin
2003100. Même si l'avis donné par la CCJA, n'a pas
apportée une solution satisfaisante à la question, elle a eu le
mérite d'avoir levé le doute sur le sens du mot « jugement
» qui doit s'entendre au sens large. Mais il demeurait la question de
savoir si la compétence du juge du fond était le principe et
celle du juge des référés l'exception ? La grande partie
de la doctrine avait alors pris position, pour la compétence du juge de
fond, le juge des référés ne pouvant intervenir qu'en
présence d'une clause résolutoire, ce que n'approuve pas une
autre doctrine101. Ceci s'est justifié par le fait qu'en
présence d'une clause résolutoire, le juge, n'ayant pas
grand-chose à faire, il doit siéger à bref délai,
car il ne doit que constater la résiliation qui a été
parfaite entre les parties. On sait traditionnellement que la clause
résolutoire, lorsquelle est insérée dans un
contrat, a pour effet de faciliter la rupture du contrat concerné. Parce
qu'une telle clause prive le juge de tout
99 Au Cameroun, Arrêt n° 157/Civ, du 28
Janvier 2000, Aff. Sté Papadhópoulos et Fils c/ CNDC,
inédit. Le juge de référé de la Cour d'Appel du
centre affirma sans aucune ambiguïté que « le bail non
écrit n'en constitue pas moins un et que le juge des
référés est compétent pour prononcer l'expulsion du
locataire s'il est établit que celui-ci ne paie pas ses loyers ».
Par contre, dans d'autres affaires, la même juridiction avait
subordonnée cette compétence à l'insertion dans le contrat
d'une clause résolutoire. Voir Arrêt n°362/Civ/02-03 du 06
Juin 2003 Aff. SCI FOV c/ Sieyansdji Jean Baptiste, Inédit.
100Une position de principe de la Cour Commune de
Justice et d'Arbitrage s'avérait nécessaire pour mettre un terme
aux hésitations jurisprudentielles. D'une part, saisie par voie
consultative par le Ministère de la Justice du Sénégal sur
la question de la détermination de la juridiction compétente
visée par l'article 101 de l'Acte uniforme portant droit commercial
général, la haute juridiction communautaire a rendu l'avis
n° 001/2003/EP du 4 juin 2003.
101Ce qui au regard d'un auteur semble «
alourdir la procédure d'expulsion des preneurs indélicats, qui se
trouvaient par l'occasion protégés excessivement par les
dispositions bienveillants de l'article 101 de l'AUDCG ». Voir KEUGONG
WATCHO (R.S.), « Juridictions compétentes en matière de
résiliation de bail professionnel après la réforme de
l'Acte Uniforme relatif au droit commercial général » in
Juridis périodique, n°93, Janvier-Février-Mars 2013,
P.102.
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
l'Ohada
pouvoir d'appréciation du degré
d'inexécution de la part du débiteur102, on admet que
le juge des référés est compétent pour se prononcer
pour la résiliation du bail, et l'expulsion du preneur. En effet, en
présence d'une clause résolutoire, ce n'est pas le juge qui
prononce la résiliation, mais elle s'opère de plein droit
à partir du moment où une des deux parties a violé une des
conditions visée par la clause résolutoire introduite dans le du
bail. Le législateur OHADA a confirmé cette compétence du
juge des référés en matière de résiliation
du bail dans sa réforme de 2010. Mais il semble que le
législateur OHADA a même étendu cette compétence du
juge des référés en cas d'absence de clause. Ainsi une
interrogation naît : le juge des référés serait-il
devenu le juge de droit commun en matière de résiliation du bail
professionnel en OHADA ? Une réponse affirmative s'impose et diverses
raisons là justifient. Les premières tiennent au fait que le
législateur de 2010 en changeant la terminologie «
Résiliation Judiciaire » pour « Résiliation
»103 tout court a voulu être plus précis quant au
fait que la résiliation pourrait être judiciaire, conventionnelle
ou légale. Et quel que soit le cas, le juge des
référés sera compétent pour connaître de la
résiliation du bail professionnel. Les secondes, quant à elles
concernent l'idée de « juridiction siégeant à bref
délai ».En réalité, le fait pour le
législateur d'avoir adjoint à l'expression « juridiction
compétente » celle de « juridiction compétente
siégeant à bref délai » est justement de donner au
juge des référés pris comme juridiction siégeant
à bref délai une compétence ne faisant plus l'objet d'un
doute. La réforme de 2010 a apporté une solution en affirmant
qu'il existe des hypothèses dans lesquelles le juge des
référés peut se prononcer sur la résiliation alors
que dans d'autres et notamment en présence d'une clause elle devra tout
simplement constater la résiliation qui se serait réalisée
automatiquement. Le texte communautaire aurait ainsi doté la juridiction
des référés d'une compétence dérogatoire qui
emporterait éviction des conditions du référé de
droit commun104. Il s'agirait d'un référé
spécial ou plus précisément d'un
référé de fond, qui n'emprunte au
référé que les formes procédurales tandis que les
principes généraux qui caractérisent les
référés ne lui sont pas applicables. Ainsi, même en
présence de contestation sérieuse ou en dehors de toute urgence,
le juge des référés serait seul compétent pour
statuer sur la résiliation du bail professionnel, à l'exclusion
de toute autre juridiction.
102 En effet, dans le cadre d'une action en résiliation
judiciaire le juge se doit d'apprécier l'importance de la faute (en ce
sens, V. Cass.Civ. 3è éd, 126 mars 1977 ?
Rev. Loyers, 1977).
103 Chapitre VII du Titre 1 Livre VII relatif au bail à
usage professionnel et fonds de commerce.
104 Il s'agit de l'absence de contestation sérieuse,
urgence etc...
La mise en demeure en matière de rupture du bail
à usage professionnel en Droit de
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