1.3.2 De la spécialisation des quartiers de la ville
d'Abidjan
L'ordre urbain colonial est un discours normatif du pouvoir et
un ensemble de pratiques sociales et économiques qui
préexistaient à l'établissement colonial. Le respect des
nouvelles réglementations sur le domaine public (rues, marchés,
cimetières, etc.) représentait l'acceptation de nouvelles normes
sanitaires,
32 Le plan Du Prey de 1928 est le premier plan d'urbanisme de
la ville d'Abidjan. La recherche d'une fonctionnalité optimale dans
l'organisation urbaine d'Abidjan n'est pas la préoccupation essentielle
de ce premier grand d'aménagement de la ville.
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sécuritaires et fiscales et relevait de plusieurs
impératifs consubstantiels de l'imposition d'un nouvel ordre colonial.
Contrôler le commerce africain, assurer la protection de la santé
et des modes de vie des Européens et imposer un nouvel ordre urbain
à des indigènes rarement considérés par
l'administration coloniale comme des citadins. Pour les Français comme
pour les Britanniques, contrôler les activités
«indigènes» devait permettre de les centraliser sur des places
officielles, de lutter contre la contrebande, de contrôler le commerce
ambulant dans la ville et d'interdire la divagation du bétail. Les
objectifs étaient essentiellement fiscaux (taxer les activités
économiques, les marchés et les marchands) par le contrôle
des prix et des produits et l'imposition des normes sanitaires (Fourchard
2006-2007).
En Côte d'Ivoire et notamment au niveau de la ville
d'Abidjan, la conclusion du Plan Badani de 1948 était sans
équivoque: parer au désordre qui entravait la
circulation». Toutefois, le plan Badani a sous-estimé
l'importance de la croissance démographique en accordant la
priorité de l'économique sur le social, à l'image de la
répartition des investissements. Le plan a surestimé
l'étendue des zones industrielles, prévues à Petit-Bassam,
Vridi et sur la rive ouest de la baie du Banco, par rapport aux secteurs
d'habitat (Antoine, Dubresson et al. 1987). Ses insuffisances ont pour
corollaire le développement des secteurs d'habitat illégal non
lotis ou lotis par les propriétaires coutumiers.
La physionomie actuelle de l'agglomération sera
esquissée à partir de 1948, lors de la préparation du plan
d'urbanisme, plus connu sous le nom de plan Badani (1952)33 qui
marque le passage de la cité administrative à la ville portuaire
et industrielle. Suite au décret de juin 1946, un comité de
l'urbanisme et de l'habitat aux colonies est créé. Il est
chargé de doter les grandes villes coloniales de plans
33 Le plan Badani(1952), commandé dans la perspective
du percement du canal et approuvé en 1952, repose sur le
développement du port et des zones industrielles de Petit-Bassam et de
Vridi, des zones 3 et 4, industrielles et résidentielles à la
fois. Il prévoit des axes de circulation du Plateau à
l'aéroport, une réserve de terrain pour la construction d'un
aéroport international sur l'île de Petit-Bassam,
l'édification d'un centre urbain administratif et commercial au Plateau,
dont la tête de pont ainsi que le bureau de poste et l'ancien immeuble de
l'EECI, sont les vestiges. L'extension de l'habitat dans les quartiers de
Cocody, de Treichville, de Marcory et d'Adjamé. Henriette
Diabaté, Léonard Kodjo, in Notre Abidjan
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d'urbanisme directeurs qui consacre la spécialisation
des quartiers. La ville est divisée en zones. Les quartiers
«indigènes», séparés de la ville par
des zones industrielles et des camps militaires. L'urbanisme fonctionnel
étant de rigueur, à chaque zone sa fonction, à chaque
catégorie sociale son habitat (Couret 1997). Les priorités
listées par le plan de construction de la ville intègrent les
quartiers africains dans la planification.
«Le problème posé par la réalisation
de logements pour les Africains devra tôt ou tard être
résolu» (Dianous 1998).
Du point de vue de la circulation, il a été
prévu l'aménagement des axes routiers qui forment la base
circulatoire actuel, avec une attention particulière portée
à la desserte des pôles économiques de la ville (Plateau,
les zones industrielles, le port et l'aérodrome). À partir de
1950, cette distribution des fonctions urbaines engendre de graves
déséquilibres dans la répartition de la population et des
lieux d'emploi, responsables de l'intensification des déplacements
quotidiens. Au même moment, le développement de la ville et la
croissance démographique trop rapides donnent un coup
d'accélérateur à l'offre dite informelle de transport qui
se concentre dans les quartiers africains.
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