1.3.1 Structure coloniale de la ville et usages de modes de
transport de type africain
À Abidjan, la diversification des modes de transport
collectif est liée à l'application d'une politique coloniale du
transport discriminatoire en faveur des colons Européens et des
Libano-Syriens. La marginalisation des acteurs «autochtones et
indigènes» s'est effectuée dans un contexte d'accroissement
de la mobilité avec le développement du transport routier qui a
longtemps été secondaire par rapport au transport ferroviaire,
avant de le supplanter après l'indépendance de la Côte
d'Ivoire. Pour de nombreux chercheurs, la gestion dualiste des villes
africaines remonte certes à l'Antiquité (phéniciens, grecs
et
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romains en Afrique du Nord), mais elle est surtout liée
à la colonisation européenne entre le XVIème et la
première moitié du XXème siècle31. Cette
vision importée et imposée de la ville par les colonisateurs, ses
mécanismes de traduction sur les sociétés et les espaces,
ont un impact sur le rapport du Noir à la ville. Cette conception forge
une image duale de la ville, plaquée sur la diversité des
situations, qui s'appuie sur plusieurs critères, notamment la
réglementation, les équipements ou le statut foncier mais aussi
le discours (Georg 2006). Rejetés hors de l'espace urbain, niés
dans leur urbanité, les colonisés n'eurent d'autres solutions que
d'inventer leur propre rapport à la ville, de construire leur propre
ville.
L'idéologie coloniale française construit une
ville basée sur un modèle dichotomique, défini par un
espace administrativement borné, exclusif et hiérarchisé
juridiquement. Dans cette optique, la composante idéologique de la ville
«construite», au sens abstrait mais aussi immobilier du terme, est
évidente. L'Etat colonial cherche à orienter la notion même
de «ville» et le rapport à l'espace urbain, dans la logique
d'un contrôle total. Cette attitude renvoie au dessein global de
contrôle, qui doit être entendu en ville aussi bien en termes de
contrôle de l'espace (le foncier, l'habitat, l'usage des lieux) que des
populations, dans leurs contours, leurs identités ou leurs
déplacements.
«Tout en refusant de considérer les Africains
comme des citadins en les renvoyant aux villages, le vocabulaire exprimait la
dualité des politiques urbaines, à la fois en termes de
morphologie (mesures de ségrégation socio-spatiale; contraste net
entre le centre et les périphéries) et de gestion (l'opposition
entre la municipalité et les chefferies» (Georg 2006).
Divers mécanismes sont mobilisés pour
différencier des portions de territoire à l'intérieur de
la ville, circonscrire les habitants et opérer un tri parmi eux:
«on a besoin de main-d'oeuvre mais non de citadins» (Goerg 2006). On
peut ainsi analyser la dimension spatiale de cette construction, permettant
d'ériger un périmètre comme urbain. Ceci se marque non
seulement par le bornage strict de
31 related:www.operavenir.com/cours/docs/afre.doc
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l'espace mais aussi par sa hiérarchisation interne,
repoussant hors de la définition urbaine certaines parties de la ville
ainsi construites. Une fois cet espace délimité, on peut en effet
théoriquement en contrôler l'accès, faire des citadins des
privilégiés mais aussi décider de l'abandon volontaire de
certaines zones, laissées hors du regard ou du schéma urbain.
Dans ce processus, selon (Sinou, Poinsot et al. 1989 ; Diabaté and Kodjo
1991), la nomination (discours et vocabulaire) joue un rôle important
dont l'ambiguïté intrinsèque doit être
soulignée.
«Aussi était-il apparu nécessaire de doter
la ville d'Abidjan, capitale de colonie d'un plan d'urbanisme moderne. Le plan
rendu public en 1958, prévoyait le tracé de Treichville,
appelé alors Anomabo, du Plateau et de Cocody. Il se
caractérisait par un quadrillage régulier, avec une trame
beaucoup plus serrée à Anomabo (future Treichville) la trame du
Plateau avait 50 m de côté, alors que celle de la ville africaine
n'en avait que 20» (Diabaté and Kodjo 1991)
Plateau était le centre-ville et le quartier
européen. Situé entre Adjamé et Treichville, quartiers
africains, le quartier de Plateau était isolé du nord par les
deux camps militaires (Camp Mangin et Camp Gallieni), du sud par la lagune
Ebrié. Treichville et Adjamé étaient les deux zones
d'habitation des populations africaines. Tel est l'objectif du Plan Du Prey de
192832, plan qui a institué la séparation entre les
quartiers européens et quartiers africains. Ce plan a fixé et
délimité les zones d'activité et de résidence selon
un modèle colonial de ville ségréguée et
lancé les jalons de la spécialisation des différentes
parties de la ville d'Abidjan.
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