4.1.1 Caractéristiques générales des
transports alternatifs
Les transports alternatifs ont envahi les espaces publics des
villes africaines depuis plusieurs décennies. Leurs activités
font vivre dans chaque pays des dizaines de milliers de personnes en
quête d'emploi et fournissent des déplacements bon marché
aux populations. Certes, les figures de cette mobilité sont variables
selon les contextes urbains et leurs dynamiques, mais ce qui semble se
généraliser dans de nombreuses villes, c'est le caractère
massif de ces transports. À Abidjan, à Dakar, à Harare,
à Lomé, à Cotonou et dans une moindre mesure à
Alger et à Casablanca, comme dans beaucoup d'autres pays du Sud,
certains observateurs n'ont pas hésité à qualifier cela
d'occupation «désordonnée» des rues et des espaces
publics (Adoléhoumé 2001; SITRASS 2007). Ces constats sur les
transports alternatifs reposent toutefois sur un ensemble de traits communs qui
peuvent se résumer selon (BM 2001; Godard 2002; Plat 2003; Noukpo and
Agossou 2004; Diaz Olvera, Plat et al. 2007; Kassi 2007; Capo 2008) à
peu près comme suit:
- un secteur atomisé avec des opérateurs de
toutes tailles rendant difficile l'organisation professionnelle de
l'activité.
123 Chute des effectifs des autobus roulant
de la SOTRA, crise, ajustement, réduction du pouvoir d'achat des
populations, contestations sociales et promotion de l'initiative individuelle
et collective.
124 Pendant les campagnes électorales, les candidats
promettent parfois d'aider les jeunes à travers la subvention des permis
de conduire. Il est de ce fait très difficile à élu
d'empêcher une occupation anarchique de la rue, mode d'exerce de
l'activité pour laquelle il a subventionné les permis au risque
de chasser ses électeurs potentiels.
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- des chauffeurs obligés de travailler dans des
conditions de sécurité précaires étant donné
la concurrence souvent destructrice qui tire vers le bas les conditions
d'exploitation des véhicules.
- l'absence de capacités d'expertise et de
volonté politique des pouvoirs publics à l'endroit du secteur.
- le détournement de la réglementation.
- une occupation anarchique des espaces publics.
Ces traits caractéristiques qui résultent de la
répartition spatiale des lieux structurants de l'urbanité et de
la demande, entraîne aussi selon les villes le recours à plusieurs
types de véhicules: minibus, taxis collectifs, taxis-motos, pour ne
citer que les plus répandus. L'enjeu est de concevoir et de
réaliser sur des axes structurants, des dessertes plus locales ou de
rabattement sur les grands axes. Ainsi à Abidjan, ces transports suivent
l'extension du tissu urbain et le rayon accru des déplacements. Les
taxis collectifs particulièrement sont organisés suivant deux
réseaux (un réseau interne et un réseau externe). Le
premier groupe de taxis collectifs dits taxis communaux, circulent à
l'intérieur du périmètre communal à la recherche de
clients postés aux abords des routes (mode de rotation), ou organisent
la desserte à partir d'un point fixe ou d'une gare. Le second
réseau est composé d'un ensemble de lignes de longue distance,
assurant des dessertes entre les communes sur des axes à fort trafic et
s'effectue dans le sens nord-sud (quartiers résidentiels-zones
d'emplois). Comme à Abidjan, à Dakar selon (Lombard, Sakho et al.
2004), c'est aussi la logique linéaire du réseau de transport des
cars rapides dit transport artisanal qui l'emporte sur tout autre organisation
spatiale. Les sites sont concentrés sur les grands axes routiers en
provenance du nord et du nord-est de la capitale (les villes de Pikine et
Guédiawaye) qui convergent vers le sud-ouest de la presqu'île
(Dakar et quartier du Plateau). La répartition des arrêts de
minibus montre un fonctionnement différent selon le type de
véhicules. Les arrêts de ndiaga ndiaye sont situés sur les
axes routiers majeurs alors que ceux des cars rapides, tout en respectant la
logique d'axe, sont implantés sur les boulevards et avenues secondaires,
à proximité des quartiers d'habitations (Pikine, Parcelles
Assainies ou Grand Dakar). Les ndiaga ndiaye sont présents dans
l'agglomération depuis moins de dix ans et ont démarré
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sur le réseau de desserte
banlieue/centre. De ce point de vue, ils peuvent être
assimilés aux woro-woro intercommunaux dans l'agglomération
abidjanaise dont les arrêts sont distants les uns des autres de plusieurs
kilomètres. Plus rapide, ils transportent les passagers d'un point
à l'autre du territoire de l'agglomération, des zones
périphériques vers le Plateau (Dakar) comme ici à Abidjan
avec la commune de Plateau.
On retrouve sensiblement ce même schéma de
fonctionnement des woro-woro à Cotonou, à Douala et même
à Lomé avec les taxis-motos ou zemijan (Cotonou) ou bendskin
(Douala) ou Oléyia à Lomé, sauf que dans ces villes, la
répartition modale confirme la domination des deux-roues. Les
taxis-motos sont absents à Abidjan alors qu'ils le sont davantage
à Cotonou, à Lomé et à Douala. Autres
différences, la place des taxis-moto, mode individuel125,
dans la chaîne des transports des villes-capitales où ils sont
présents est envisagée comme des relais aux autres modes de
transport en commun. Ceux-ci auraient le monopole du transport sur les grands
axes et les voies nationales, les moto-taxis assurant le relais vers les routes
secondaires, les pistes de desserte rurale et sentiers. Par contre, pour ce qui
est de l'expérience abidjanaise, on remarque de plus en plus une part
croissante de l'offre de taxis intercommunaux sur tous les réseaux de
desserte126, contrairement à la réglementation.
Toutefois, le mode de fonctionnement de ces transports n'est
pas un fait à rattacher spécifiquement aux comportements et
attitudes des transporteurs, il s'intègre en partie dans un ensemble de
logiques et de stratégies dont les institutions et les administrations
publiques semblent être les foyers de diffusion (Konaté 2001;
Olivier de Sardan 2008). Le fonctionnement des transports alternatifs dans les
pays d'Afrique, s'intègre donc dans le paradigme explicatif de
l'écart entre le droit, les normes et les pratiques usuelles. En effet,
dans la
125 La moto a un seul siège. Et d'ordinaire, on ne
remorque sur cet engin qu'un passager. Mais dans ses usages comme mode de
transport, les moto-taxis peuvent remorquer deux passagers, voire, trois dans
certains. De ce fait, le moto-taxi est de plus en plus considéré
comme un mode de transport collectif.
126 À Abidjan, les taxis collectifs desservent
actuellement sur toutes voies urbaines et sont établis dans presque
toutes les communes de la ville.
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littérature portant sur l'Etat, les administrations et
les services publics en Afrique, le terme de «normes», sous ses
diverses déclinaisons (normes officielles, normes sociales, normes
professionnelles, normes pratiques) est employé pour expliquer les
pratiques et les comportements individuels ou collectifs des
acteurs127. Le point commun à ces écrits c'est
l'existence de règles tacites non écrites mais collectivement
intériorisées et partagées qui n'en sont pas moins
efficaces dans le fonctionnement des services (De Sardan 2008). De ce point de
vue, on peut faire le constat que les pratiques des entrepreneurs des
transports considérées habituellement de
«déviantes» (occupation des voies publiques par les taxis,
véhicules polluants, non respect du code de la route, violence, etc.),
sont des comportements enchâssés dans un schéma global de
gestion des services collectifs et publics. Ils ne sont pas non plus des
pratiques marginales, comme le sont les pratiques criminelles, ou les conduites
pathologiques, mais plutôt de comportements normaux, organisés,
structurés. Les organisations sociales sont des systèmes dans
lesquels les règles formelles et les normes informelles tout à la
fois s'imposent aux acteurs et permettent de faire fonctionner les institutions
(De Sardan 2008).
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