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Socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: etude du cas des «woro-woro» de yopougon (abidjan, cote-d'ivoire)


par Yerehonon Jean Zirihi
Université Alassane Ouattara (Ex Université de Bouaké) - Doctorat  2015
  

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3.1.2 Evolution des transports alternatifs à Yopougon: une trajectoire historique singulière?

Le processus d'évolution des transports alternatifs de la commune de Yopougon a été marqué par diverses phases caractérisées d'une part, par le déficit de l'offre de l'Etat, les transformations urbaines qui affectent la commune et les politiques mises en oeuvre pour encadrer ces transports.

Des transports révélés par la forte croissance

urbaine

Commune périphérique de la ville d'Abidjan, Yopougon n'était qu'un faubourg de 10000 habitants en 1970 répartis sur plus de 70 ha urbanisés (Diahou 1981). En 1975, la population est passée 99 000 habitants et l'espace urbanisé (1185 ha) a été multiplié par près de 17 en 6 ans suite à la création de nouveaux quartiers106. Selon le dernier recensement général de 1998, la population de Yopougon était de 688235 habitants. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés tournent autour de 1 000 000 habitants sur les 4000 000 millions que compterait l'agglomération abidjanaise (Kouakou, Koné et al. 2010). Ces transformations rapides qui affectent la structure urbaine de Yopougon est un phénomène international qui touche quasiment toutes les villes d'Afrique et d'ailleurs dans le monde. Il est à l'origine de l'évolution des structures de transport et de l'émergence des initiatives alternatives de mobilité dans les grandes villes du monde. Ici à Yopougon, à Abidjan en Côte d'Ivoire, ce sont d'abord les gbaka qui ont été mobilisés comme réponse aux difficultés de mobilité

106 L'extension officielle d'Abidjan sur le plateau du Banco devait ainsi permettre une extension de l'offre de logement, autant destinée à une classe moyenne que le miracle ivoirien voyait en forte croissance qu'à des populations plus modestes à qui étaient proposés, sous le contrôle de l'État et sous certaines conditions 6, des logements économiques.

221

des populations. Ensuite, comme les gbaka ne suffisaient pas, il y a eu l'avènement des taxis collectifs.

L'évolution historique des transports alternatifs comme phénomène lié à la croissance rapide des villes-capitales s'observe également à Conakry en Guinée avec notamment l'histoire de deux communes de Matoto et de Ratoma. (Dubresson and Raison 1998), décrivent le développement de ces deux communes périphériques comme spontané et très rapide. Faut-il le rappeler, à Conakry, c'est sous l'effet des phénomènes d'urbanisation traduits par la croissance rapide et incontrôlé de Matoto et de Ratoma que se sont imposés graduellement les «Magbanas» et les taxis collectifs comme des transports de substitution à la SOGETRAG. En outre, à Conakry, à l'instar d'Abidjan, la structure de la ville est linéaire et la plupart des pôles d'activités est localisée dans la presqu'île de Kaloum ou à proximité comme ici au Plateau ou à Treichville. Ce sont les communes de Matoto et de Ratoma qui concentrent les deux tiers de la population de la capitale et constituent selon (Dubresson and Raison 1998), les axes de fortes demandes de mobilité de ces transports réduite de plus en plus aux minibus «Magbanas» et aux taxis collectifs. Au Sénégal, à Dakar, ce sont les extensions périphériques de Pikine et de Rufisque qui, concentrant à elles seules la majorité de la population favorisent le développement des initiatives alternatives de mobilité. Alors qu'elles sont moins pourvues en emploi en comparaison de Dakar, Pikine et Rufisque sont deux quartiers densément peuplés comme l'indique le tableau suivant.

Tableau 12: Estimation des évolutions croisées de la population et des emplois dans l'agglomération de Dakar

Années

Dakar

Pikine

Rufisque

1988

45,8 % (68,3 %)

41,5 % (24,8 %)

12,4 % (7%)

1993

42,4%(63,7%)

45,2%(29,1%)

13,8%(7,8%)

1998

39,5%(60,7%)

46,7%(30,5%)

13,8%(7,8%)

Source: (Godard 2002); Lecture du tableau: % population de l'agglomération % des emplois de l'agglomération.

80.

222

L'urbanisation accélérée de Dakar en périphérie est le moteur des transports alternatifs dans la mesure où l'augmentation incontrôlée des distances dans la ville augmente les besoins de déplacements motorisés. Plus de 70 % des habitants de Dakar qui vont en direction de Pikine et Rufisque se déplacent à bord des cars rapides et ndiaga ndiaye (Lombard, Sakho et al. 2004).

Au Cameroun, dans la ville de Douala, c'est la commune de Bonabéri, sur la rive droite du fleuve Wouri, qui désigne la figure de la désarticulation urbaine. Comme Yopougon, Bonabéri est caractérisée selon (Diaz Olvera, Plat et al. 2007) par une expansion urbaine rapide, une insuffisance des services. La commune de Bonabéri est dépendante du noyau central de la ville de Douala. Face au déficit de l'offre publique formelle, ce sont les moto-taxis ou bendskin107 qui permettent à une grande partie de la population de se rendre sur la rive opposée du fleuve pour leurs besoins de travail. Timides à leur début, ces modes de transport se sont multipliés et généralisés au fil des ans comme l'alternative majeure pour relier Bonabéri, quartier périphérique au centre ville.

Dans les quatre villes susmentionnées et dans beaucoup d'autres villes-capitales d'Afrique et d'ailleurs, les anciens noyaux urbains qui concentrent l'essentiel des emplois et des équipements urbains sont saturés et ne peuvent accueillir de nouvelles habitations. De nouveaux emplois se développent certes dans les extensions périphériques, mais ils sont loin de combler le déséquilibre entre le centre et la périphérie. Une étude du BENTD réalisée en 1998, rapporte qu'à Abidjan, 60% des emplois sont concentrés au sud de la ville (Plateau inclus), tandis que la population, elle, habite dans les quartiers nord (66%)108. La situation est similaire à Douala: une enquête socio-économique réalisée en 1987 estimait que plus de trois quarts des travailleurs des couronnes centrales n'y résidaient

107 Tiré du «pidgin», (anglais locale), «bendskin» désigne une danse traditionnelle de l'Ouest du Cameroun réputée pour la frénésie de son rythme et la position courbée des danseurs. Les premières marques de motos utilisées par les conducteurs, ayant le siège surélevé donnaient au passager transporté une position semblable à celle des danseurs de «bendskin». Aujourd'hui, ce mot désigne non plus seulement la moto au siège surélevé, mais toute l'activité.

108 De Dianous, S. (1998). "Abidjan, l'éléphant d'Afrique." Marchés Tropicaux (hors série): pp 1-

223

(Sahabana 2006). Pour (Adisa 1997), cette situation apparaît de manière symptomatique à Lagos, la plus grande métropole d'Afrique subsaharienne (12 à 15 millions d'habitants), la capitale économique du Nigeria

De manière générale, les observations tirées de l'évolution historique des transports alternatifs de Yopougon, montrent que c'est un phénomène général lié à la croissance rapide des villes. Ce qui conduit à une plus grande généralisation des déplacements sur des distances plus longues. Et en l'absence des offres publiques suffisantes, les déplacements s'effectuent en majorité par les transports alternatifs (Godard 2002). Or les grandes villes africaines laissent peu de marge en termes d'organisation de réseau de desserte. Nous devrions assister à une pression supplémentaire de la demande sur les axes actuels de desserte en transport collectif: augmentation des débits horaires et dégradation des conditions de déplacement. De plus, les liaisons centre /périphérie, en raison de la forte dissociation fonctionnelle de l'espace qui caractérise les capitales subsahariennes, concernent prioritairement des déplacements pour motif professionnel. Ce sont des déplacements générateurs de ressources pour les citadins africains et leurs ménages. Selon (Sahabana 2006), les revenus que ces derniers peuvent espérer dans les zones centrales sont meilleurs que ceux tirés des activités dans le «quartier». Les conditions de déplacements entre le centre et les périphéries touchent ainsi plus directement à la productivité des citadins et de la cité. Quand on sait le poids des grandes agglomérations subsahariennes dans la production nationale, on comprend d'autant plus la nécessité d'améliorer les conditions de déplacements sur les liaisons centre /périphérie. Mais la dynamique d'évolution des transports alternatifs, n'est pas seulement causée par les transformations urbaines qui affectent les villes du Sud, elle est aussi liée aux différentes politiques de transport mises en place.

224

Des offres de transport qui se sont

déplacées du front d'urbanisation aux quartiers centraux

Les lieux du transport des woro-woro à Yopougon comme ceux des cars rapides ou des ndiaye ndiaga de Pikine à Dakar ou des zemijan de la région du littéral à Cotonou ont changé en 30 ans. D'une offre concentrée dans les terminaux et arrêts publics réduits, les woro-woro ont connu une démultiplication des points d'accès. Des quartiers périphériques, ces transports ont étendu leurs réseaux de desserte aux quartiers centraux. Encouragée par la forte demande consécutive au déficit croissant de l'offre publique formelle, l'offre des taxis collectifs qui était jusque là circonscrite aux besoins internes des communes s'est transformée en offre urbaine. Au départ, il n'y avait pas de gare des woro-woro intercommunaux à Yopougon, mais depuis 1993-1996, ces taxis exercercent à partir d'une gare. Au niveau de la commune de Yopougon, on note aujourd'hui, l'existence de deux grandes têtes de stationnement des woro-woro intercommunaux en dehors de certaines autres qui se créent de manière sporadiques109. La première, la plus ancienne gare a été créée en 1993. Elle est située à la Sicogi, au «Lavage» dont elle porte également le nom. Elle est ainsi nommée, parce que, par le passé, l'espace était occupé par des de jeunes laveurs d'autos. L'autre, plus récente, créée en 2013 est située à SIPOREX, juste à côté de la gare de UTB. Alors que les bus de la SOTRA et les taxis compteurs ont un droit officiel d'exploitation sur l'ensemble de la ville, les taxis woro-woro intercommunaux ont un droit, plus tacite qu'officiel. Selon (Lombard 2006), leur maintien dépend du bon vouloir des collectivités décentralisées. À ce jour, ils se sont structurés en deux réseaux de desserte: un réseau spécifiquement communal et l'autre, axé sur la satisfaction des besoins d'ordre intercommunal. Comme à Yopougon, à Dakar, (Lombard, Sakho et al. 2004) parlent «des bas côtés et chaussées» qui se transforment en arrêts et terminaux de transport alternatif ou de «minibus sur le trottoir». L'émergence de ces transports dans les espaces publics de Dakar est telle qu'il a introduit un nouveau rapport à l'autorité, à la règle édictée et à l'espace public.

109 Grève dans les transports, évènement politique d'envergure nationale, etc.

225

«L'espace à Dakar appartient à ceux qui en usent et qu'en aucun cas son rôle et les règles de son utilisation sont prédéterminés par une quelconque autorité» (Lombard, Sakho et al. 2004).

D'une capitale à une autre, ou d'un quartier périphérique à un autre, les transports alternatifs en Afrique semblent se caractériser par la même dynamique d'évolution. C'est ainsi que l'histoire de l'évolution des woro-woro de Yopougon rappelle aussi celle des zemidjan des quartiers de Gbégamè, Koudougou, Fijrossè, Akpakpa et Ekpè de Cotonou. Au départ, comme les woro-woro de Yopougon à leur début, les zemijan étaient cantonnés. Ils devraient éviter les grands axes qui étaient la propriété des entreprises publiques de transport en commun (Régie des transports de Cotonou, Régie autonome des transports urbains de Cotonou, régies provinciales puis sociétés provinciales des transports, etc.). Mais depuis les débuts des années 1990, l'offre des zemijan a connu une forte emprise spatiale à l'image des woro-woro qui se sont transformés en transport urbain. Actuellement, les zemijan assurent 70 % des déplacements à Cotonou (Noukpo and Agossou 2004).

Une dynamique alimentée par la généralisation de l'«occasion»

Longtemps, délaissés, ignorés, tolérés, par les autorités publiques, peut-être plus d'ailleurs par le pouvoir central110 que par les collectivités décentralisées, les woro-woro à Abidjan, les ndiaye ndiaga de Dakar ou même les Oléyia de Lomé, ont fini par s'étoffer du fait de leur adaptation aux contextes nationaux et internationaux. L'un des supports essentiels des woro-woro à Abidjan est le fort recours aux véhicules d'occasion favorisé par les mesures de libéralisation de 1996-1997. Selon (Dianous 1998; Lejeal 1998), une bonne partie des véhicules du secteur des woro-woro proviendrait de la filière des véhicules appelés communément «France au revoir». Cela aurait, selon certaines sources occasionné

110 Il faut, y voir certainement une distance idéologique pour un phénomène considéré comme passager et marginal par rapport aux modes officiels couverts par la réglementation et encouragé par l'Etat. En Côte d'Ivoire, le président F. HOUPHOUËT-BOIGNY reste fermement opposé aux activités des transports dits informels symbole à ses yeux d'un recyclage stigmatisant pour la construction nationale. Il développe à cet effet une législation contraignante jusqu'à la fin des années 1980, assurant la défense de la SOTRA qu'il obligeait à toujours offrir tous les avantages sociaux (gratuité pour les étudiants, corps habillés etc.), malgré les difficultés économiques de l'entreprise.

226

la diffusion des marques japonaises au détriment des marques française telle que Renault Peugeot et Citroën111. Ce qui n'était pas le cas, il y a quelques années comme l'indique le tableau suivant.

Tableau 13: Synthèse sur les immatriculations en 1997 en Côte

d'Ivoire

Le marché vu de la Côte d'Ivoire

Type de véhicules

Ventes cumulées sur la période

09/96 à 12/97

Parts de marché Du constructeur leader

Part de marché du Pays leader

Véhicules particuliers 4×4

Taxis

Pick up

Fourgonnettes Camions (PTR3,5t) Camions PTR 3,5 t)

Minibus (9 à 22 places)
Cars (+ 22places

3968 810 343 1641 741 111 1573 562 292

30% Peugeot 26% Mitsubishi

30 %Kia

28 % Mitsubishi 17 % Opel et Fiat 71 % Peugeot

29 % Kia

37 % Isuzu

28 % Mercedes

41% (France) 79% (Japon) 37 % (japon) 83 %( japon) 29 % (France) 71% (France) 68 % (japon) 89 % (japon) 46 % (japon)

Total

10059

15 % Peugeot

51 % japon

Source: (Lejeal 1998), marchés tropicaux, octobre 1998 p 2086

Sur ce point de l'apport des nouvelles marques, notre thèse rejoint celles développées par (Noukpo and Agossou 2004; Diaz Olvera, Plat et al. 2007) à propos des taxis motos de Cotonou et de Douala. Selon ces auteurs, le développement de ces transports a été facilité par l'introduction le plus souvent de véhicules d'occasion en provenance du Nigeria, d'Europe, du Japon et plus récemment de Chine et de l'existence sur place d'unités de fabrication ou de montage. À cela, il faut ajouter la disponibilité du carburant. Le carburant est soit directement disponible dans les pays producteurs, soit importé de manière légale ou frauduleuse. Là encore le Nigeria jouerait selon ces auteurs un rôle important dans la promotion de ces taxis-motos. À ces différents facteurs qui favorisent le développement des transports alternatifs, il faut ajouter l'attitude des autorités qui cherchent à les contrôler. Les woro-woro de Yopougon, par exemple à leur

111 Selon certains conducteurs de woro-woro, il est très difficile de trouver une pièce mécanique des marques telles que Peugeot et Citroën sur les marchés des pièces-auto d'occasion.

227

parution 1972, étaient quasiment ignorés et tolérés par les autorités comme le mentionnent les propos suivant de cet ancien chauffeur.

«Dans les années 1974, de la gare à l'habitat, le transport était à 25f. Il y avait mon vieux qui avait deux voitures dont une R4 et c'est moi qui lavais ça. Quand il partait au village, je prenais la R4 je faisais le taxi. Les gens payaient 25 F et il n'y avait pas affaire de couleur. Ce n'était pas de couleur rouge mais je faisais ça et les gens montaient. C'est après, on a demandé à tous ceux qui font le taxi d'aller à Adjamé pour les papiers112.» K. Armand (05-4-2012).

Progressivement, les autorités ont mis en place un ensemble, de procédures pour les contrôler et les suivre. Notons par exemple, qu'au départ, les woro-woro n'avaient pas de couleur unique et l'on ne leur exigeait pas d'antenne lumineuse, de couleur, de macaron, etc. Tout se faisait spontanément et sans grandes prescriptions en dehors de quelques frais généraux communs à tout le secteur des transports. Il faut attendre au détour des années 1980, 1990, 1994 et 1996, considérées comme des moments ultimes de l'évolution des woro-woro, pour voir ces transports faire l'objet de diverses réglementations. Couleur des taxis à l'intérieur des communes, l'imposition de macarons et d'antennes. Schématiquement pour la seule ville d'Abidjan ce sont

Tableau 14 : Répartition des couleurs des taxis communaux

d'Abidjan

Commune

Couleur

Abobo

Beige

Adjamé

Vert gari

Attécoubé

Vert avec une bande blanche

Cocody

Jaune panama

Koumassi

Vert

Marcory

Bleu avec une bande blanche

Port-Bouët

Jaune mariolle, bande bleue marine et baguette au niveau de la caisse

Yopougon

Bleu

Source: AGETU, évaluation récente de la mobilité urbaine dans le grand Abidjan, 2008

112 Yopougon, dépendait de la sous-préfecture de Dabou, mais était rattachée à la mairie d'Adjamé.

228

Cette tendance observée dans l'évolution des woro-woro de Yopougon particulièrement et en général d'Abidjan, se retrouve également au niveau des zemijan de Cotonou et les bendskin de Douala. Mais à la différence de Yopougon (Abidjan) où l'évolution des taxis communaux a été marquée par la couleur, le port d'antenne lumineuse et de macaron, etc., à Cotonou et à Douala les moto-taxis ont été obligés par les autorités à l'incorporation d'une variété de dispositions. En effet, lors de l'apparition des premiers motos-taxis, l'entrée dans le métier ne nécessitait ni l'immatriculation de l'engin, ni la possession d'un permis de conduire ou même d'un casque. Puisque dans un premier temps, ces transports étaient ignorés, et tolérés parce qu'on les considérait comme un mode de transport temporaire. Mais, le poids des motos-taxis dans le transport public a progressivement amené les autorités à mieux les prendre en compte. La concurrence que fait peser le moto-taxi sur les autres opérateurs, la force politique représentée par leur nombre113 et les externalités négatives induites, ont provoqué progressivement des réactions de «diabolisation» et de répression des autorités publiques à l'égard de ces transports. Aujourd'hui, l'existence de ce mode de transport intègre l'usage de port de casque, de couleur du véhicule, d'itinéraires, etc. même s'il existe toujours un décalage entre le contenu et l'application des décrets et arrêtés contrôlant la profession.

À ces facteurs liés à la nature des véhicules, ont peut aussi ajouter le contexte institutionnel. À Yopougon (Abidjan), à Dakar, à Cotonou ou à Durban comme dans beaucoup d'autres communes des capitales du tiers monde, les transports alternatifs ont évolué au gré des réglementations et des contextes sociopolitiques. Cependant, en comparaison de l'expérience de Dakaroise où l'Etat a favorisé explicitement la montée de ces types de transport114, Abidjan apparaît particulier

113 Mouvements de grèves de nature à provoquer la paralysie de la ville.

114En 1982, l'Etat organise ainsi une opération visant à professionnaliser la gestion et l'organisation des cars rapides, en facilitant la création de nouvelles entreprises par des étudiants diplômés de maîtrise. De plus, lors de la crise syndicale qui a vu le jour dans ces années 1990, l'Etat a explicitement soutenu la division au sein des syndicats en favorisant la création de deux autres fédérations dont une dirigée par un homme lige du parti au pouvoir. Celui-ci est remercié au moment des consultations électorales par le milieu des transports, les dirigeants syndicaux donnant des consignes de vote favorables aux candidats du parti au pouvoir.

229

dans la mesure où ce sont les collectivités locales qui profitent le plus du dynamique des woro-woro comme l'écrit ici à ce propos Jérôme lombard:

«À Abidjan, les accords qui lient syndicats de transporteurs et mairies ne sont pas plus transparents. Les sites de chargement et de déchargement des voyageurs sont ainsi installés dans les périmètres communaux au gré des ententes avec les professionnels, devenus omnipotents. Parfois, avec l'accord des mairies qui voient là un moyen de régler à moindres frais le problème d'un quartier, certains trottoirs et esplanades où attendent des taxis sont placés sous le contrôle de jeunes qui instaurent une sorte de racket qui ne dit pas son nom. L'espace urbain semble être découpé en petits territoires que la décentralisation renforce dans leur existence. Chaque échelon territorial souhaite intervenir au niveau qui n'est pas le sien et parfois outrepasse ses droits» (Lombard 2006).

D'après la réglementation, ce sont les autobus de la SOTRA et les taxis compteurs qui sont les seuls moyens de transport autorisés à circuler sur le périmètre urbain d'Abidjan. Mais, pour compenser les effets de cette décision, les gbaka ont été rejetés sur le suburbain et en direction des villages Ebrié, les taxis collectifs woro-woro ont été confinés dans des périmètres urbains biens définis. Ces mesures toujours en vigueur dans les textes, obligeaient les habitants de Yopougon se déplaçant régulièrement vers le sud d'Abidjan à subir la limitation des alternatives en termes d'offre, une rupture de charge supplémentaire et l'augmentation du coût et de la durée de déplacement. Nombreux sont ceux qui ont dû aménager leurs activités et leurs déplacements quotidiens (possibilité d'une restauration sur les lieux de travail (Akindès 1991). La situation extrême étant le repli ou la recherche de logement à Vridi, à Koumassi, où l'offre de services urbains et les possibilités d'emploi sont plus intéressantes (Diahou 1981; Diahou 1985; Bonnassieux 1987). En ce qui concerne l'offre de transport, tandis que l'interdiction de circulation sur l'espace urbain a été appliquée strictement aux gbaka et les taxis collectifs woro-woro dans la ville d'Abidjan, d'autres opérateurs de transport ont pu développer leurs activités notamment dans les communes de Koumassi-Marcory et Port Bouët

230

du fait d'un cadre réglementaire ambigu et une permissivité des contrôles routiers115.

En l'absence d'un cadre organisationnel efficace du transport urbain, le respect d'une telle mesure s'avère compliqué et passe par une forte mobilisation des agents publics et privés dans les communes. La mise en oeuvre de la réglementation sur le transport à la faveur des réaménagements liés aux lois de la décentralisation a mis en lumière de nombreuses carences dans l'encadrement, l'organisation et la réglementation des transports urbains. Le cadre institutionnel des transports urbains est caractérisé par une multiplicité d'intervenants, avec des responsabilités pas toujours bien identifiées, et une absence de coordination. La mise au point des mesures de restriction de circulation en faveur des quartiers spécifiques et leur application ont ainsi nécessité la réaction des maires à la faveur de la décentralisation qui ont fini par délivrer des autorisations de stationnement116. Dans le domaine des transports comme dans beaucoup d'autres, les interventions institutionnelles souffrent d'une approche bureaucratique et fiscale. Les situations d'incertitude comme le contexte de décentralisation et de libéralisation mettent en lumière les défaillances des acteurs responsables de la gestion urbaine.

Sur ce point, il y a une similitude dans l'évolution des woro-woro intercommunaux de Yopougon et l'accroissement des offres des taxis motos et des taxis clandestins de l'arrondissement de Bonabéri à Douala, au Cameroun. Selon Diaz Olvera Lourdes et Sahabana Maïdadi117, l'émergence des taxis motos et des

115 La formulation de l'article 74 de la loi relative à la police routière instaure la confusion et entraîne le développement des taxis collectifs woro-woro dans d'autres communes. En effet, la loi dit que «le maire a la police des routes à l'intérieur du périmètre communal dans les limites des règlements en matière de circulation routière». Ensuite, cette même loi ajoute que «il peut, contre paiement de droit fixés par la Conseil Municipal, délivrer les permis de stationnement». L'interprétation, cet article amène les maires à délivrer des autorisations de transports sans se poser la question de savoir si la ligne exploitée est communale ou intercommunale. Il se crée alors une incompréhension entre les autorités chargées d'encadrer des transports urbains. La généralisation de ces pratiques délivre les gbaka et les woro-woro du carcan de la réglementation de 1977 en les poussant à investir les lignes insuffisamment desservies par les bus de la SOTRA et à concurrencer les taxis compteurs.

116 Loi n°85-578 du 10-08-95

117 SITRASS (2005), Restriction de la circulation des transports collectifs urbains sur le Pont du Wouri: impacts sur les populations. Etude pour le compte de la Communauté Urbaine de Douala, Lyon, 111 p.

118 Société camerounaise de transport urbain, détenue par des investisseurs privés camerounais, a commencé ses activités en janvier 2001.

231

taxis clandestins entre Bonabéri et Douala proviendrait des incompréhensions provoquées par la mise en oeuvre des mesures de restriction de la circulation lors de la réhabilitation du pont sur le fleuve Wouri qui sépare Bonabéri de Douala. La restriction de circulation visait à alléger le trafic sur le pont pour faciliter les travaux de réhabilitation. Mais sans concertation préalable avec les autorités correspondantes et sans étude d'évaluation des impacts sur l'offre comme sur la demande de transport, les mesures ont été appliquées dans l'urgence. Or le cadre institutionnel des transports urbains de Douala est caractérisé par une multiplicité d'intervenants, avec des responsabilités pas toujours bien identifiées. Aussi, la mobilisation des forces de police n'a-t-elle pas suffi à contrer le développement du transport clandestin. Ce dernier représente 10% des déplacements entre les deux rives du Wouri entre 6h00 et 21h00, plus que les lignes régulières de la SOCATUR118. Si leur présence s'explique, comme nous l'avons dit plus loin, par les insuffisances de l'offre «légale», elle a été aussi favorisée par le dysfonctionnement observé dans la politique de mobilité urbaine censée faire respecter la réglementation. (Lombard, Sakho et al. 2004) ont fait le même constat au sujet du développement des taxis collectifs entre Dakar et Pikine (Sénégal). Les taxis collectifs entre ces deux quartiers et Dakar se sont particulièrement développés à partir de 1982 quand l'Etat a pris la décision de les reconnaître comme transport collectif de banlieue. Cette situation a provoqué la résurgence du phénomène. C'est ainsi que la desserte des taxis collectifs qui était jusque-là contenue dans ces périphéries s'est subitement transformée en desserte banlieue/centre-ville. Aujourd'hui ces taxis collectifs assurent plus du tiers (31,5%) de la part de marché des taxis (EMTSU, 2000).

Un certain nombre d'éléments relevés dans les villes subsahariennes se retrouvent aussi dans les villes du nord de l'Afrique, où l'Etat est historiquement très fort mais où l'on rencontre des situations très variables selon les villes (Godard 2003). Alger dans la capitale algérienne, l'importance croissant des minibus et des fourgonnettes est identifiée comme le résultat d'un processus lent de décentralisation, avec des projets d'autorité organisatrice qui n'ont pas pu aboutir.

232

C'est sensiblement dans ces mêmes termes que (Tellier 2005) aborde l'émergence des grands taxis dans la mobilité des populations de Casablanca. Bien que n'étant pas appréciés par les autorités publiques, ces transports connaissent un succès éclatant non seulement à cause du flou qui entoure l'acquisition des agréments119, mais aussi du fait de la pluralité d'acteurs impliqués autour des agréments.

Ces exemples démontrent que la mise au point de dispositifs durables de gestion et de contrôle des transports alternatifs exige, au-delà des cadres législatifs et réglementaires, des projets politiques locaux partagés qui transcendent les antagonismes sociaux. En l'absence de tels arrangements sociopolitiques, ce sont les groupes d'entrepreneurs privés qui se substituent aux autorités institutionnelles en charge des questions des transports dans les villes.

Des transports influencés par le «savoir-faire» des entrepreneurs privés

Dans son texte Les sociétés africaines face à l'Etat, Jean-François Bayart a pu souligner le contraste entre l'ambition totalisante de l'Etat et ce qu'il appelle «la revanche de la société civile». C'est dans cette approche dialectique de la relation entre État et société que nous trouverons la clé de l'explication des différentes stratégies déployées par les entrepreneurs privés du transport pour prendre part au processus urbain. En effet, dans un secteur atomisé, caractérisé par une forte prise de risque mais d'une rentabilité immédiate, les entrepreneurs syndicaux, se sont érigés en maître de jeu permanent entre les investisseurs entrant dans le secteur, les usagers et les acteurs institutionnels. S'ils affichent un double statut de défenseurs de droits des transporteurs et de maintien d'ordre dans les gares, dans les faits, ces entrepreneurs semblent davantage intéressés par les gains que

119 Ici l'agrément est l'équivalent d'une autorisation de transport ou d'une carte de stationnement. À Casablanca, en théorie, le mode d'attribution des agréments de taxi a un double objectif : d'une part, mettre à la disposition des personnes un service public de transport et d'autre part, «permettre à une catégorie de citoyens économiquement faibles ou ayant une situation sociale précaire, de bénéficier d'une aide de l'administration. Un agrément est donc un privilège nominatif et présenté comme un don gratuit ou un soutien de l'Etat à des personnes démunies. Mais en raison de l'instruction des demandes par les fonctionnaires et de l'arbitraire des décisions de la Commission nationale des transports, l'appui d'un cacique reste la condition officieuse pour bénéficier d'un agrément de taxi.

233

rapporte l'activité que par la gestion d'un secteur. C'est ainsi que ces entrepreneurs refusent d'aménager dans la nouvelle gare ultramoderne, sise au quartier Andokoi Kouté à Abobo comme l'indique cet extrait de Frat. Mat.

À la une: «transport urbain, les «gnambro» font la loi Partisans de l'anarchie

Le conseil municipal d'Abobo a décidé d'offrir aux transporteurs de la commune, une gare ultramoderne. C'est au quartier Andokoi-Kouté qu'a vu le jour cette gare qui offre toutes les commodités aux transporteurs. Le 21 août dernier, lorsque les autorités municipales ont voulu déguerpir les occupants de l'ancien site au profit du nouveau, elles se sont heurtées à des résistances farouches. Il s'en est suivi des échauffourées entraînant la fermeture des locaux de la mairie et quelques blessés. Syndicalistes, chauffeurs, chargeurs et «gnambro» ont d'une même voix, opposé un niet [...] pour Diaby Mamadou, membre du collectif des transporteurs d'Abobo, les places coûtent chères à la nouvelle gare d'Andokoi Kouté et celle-ci ne permet pas aux chargeurs et «gnambro» de gagner leur pain. Bamba Drissa, chauffeur, estime pour sa part que quitter l'ancienne gare est un danger pour la population. Dans la mesure où les milliers de chargeurs au nombre desquels des ex-combattants se retrouveront sans activité. Dans le milieu des chauffeurs, syndicalistes et chargeurs, l'on est sur ses gardes, avec un mot d'ordre clair: si on nous déguerpit de cette gare, on brûle la maire».

Frat Mat du jeudi 13 septembre 2012, p4

De pareilles situations qui se répètent un peu partout à Abidjan sont à l'origine de la création de multiples gares sur les voies publiques avec leur lot de fréquentes bagarres entre syndicats rivaux. Ni les autorités municipales, ni mêmes les ministères en chargent de la question des transports urbains n'arrivent à y mettre de l'ordre. Pourtant, le développement des woro-woro et plus précisément la démultiplication des gares se matérialisent dans une partie des voies de circulation ou des espaces

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publiques. De plus, les espaces où s'exercent ces activités de transports sont gérés prioritairement par des acteurs répondant à des logiques organisationnelles différentes le plus souvent de celles des acteurs officiels de la ville. Certes, selon (Lefèvre 2001), réguler n'est pas gouverner. Cependant, on peut s'interroger sur la capacité réelle de nombre des autorités urbaines à mettre en oeuvre un projet de transport qui ne concèdent pas forcément les premiers rôles à ces nouveaux pôles de pouvoir émergents au sein de la société civile. En théorie, la compétence en matière des transports urbains découlant de la loi de 1980 et complétée par les lois modificatives de 1995 et de 2000 précise qu'à Abidjan, ce sont les communes et la ville qui disposent de cette prérogative pour les deux types de taxis, la DTT (actuellement la SONATT, Société Nationale des Transports Terrestres) s'occupant des minibus et L'AGETU, chargée de donner les autorisations des transports urbains. Mais en réalité, les autorisations de transport accordées par ces institutions ne permettent pas à elles seules de mettre un véhicule de transport dans la circulation. Puisque, le contrôle spatial, les règles et les modalités de fonctionnement, la définition du réseau de desserte sont du domaine des syndicats organisés en collectifs120 sur des sites bien identifiés. Ils contrôlent les entrées sur les lignes par un péage lourd. Aussi, les «clandos» débordent-ils délibérément sur d'autres espaces communaux grâce à l'accord des syndicats tacitement soutenus par les communes par les taxes et par les péages. C'est dans cette même logique que (Lombard, Bruez et al. 2004) situent le développement des taxis collectifs et des ndiaye ndiaga de Dakar. Dans la capitale sénégalaise, les rapports entre les syndicats et les autorités compétentes en matière de transport sont en revanche beaucoup plus avancés malgré la forte implication de grands transporteurs mourides121.

Aujourd'hui, contrairement à Abidjan et notamment à Yopougon où l'auto organisation est très forte, à Dakar, c'est l'Etat qui est directement impliqué dans la restructuration du milieu des syndicats. Organisés en Groupement d'Intérêt Economique (GIE), il est de plus en plus question de leur concéder l'exploitation de certaines lignes de transport en commun. C'est l'émergence composite de ces

120 Pour mieux contrôler, les syndicats ont instauré des systèmes de rotation qui permettent à chaque syndicat d'avoir son jour de vente effective de ses tickets et de prélever des taxes.

121 Ceux-ci jouent le rôle d'intermédiaire entre le GIE (Groupement d'Intérêt Economique) et les acteurs institutionnels de Dakar.

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différents groupes d'acteurs autour de ces transports qui est au coeur de leur organisation dans les différents pays et qui fonde la spécificité dans l'organisation de ces transports dans les Etats.

IV Comment sont organisés les transports alternatifs dans les villes capitales?

Dans les villes en développement, le déficit de l'offre de transport public a laissé le champ libre aux transports privés qui assurent dans des schémas variables, des rôles clés dans l'absorption de la demande sociale de mobilité. À Abidjan, à Dakar, à Durban, à Alger, à Cotonou, etc. presque toutes les grandes agglomérations ont développé un transport de ce genre en dehors des programmes officiels. L'importance croissante de ces transports dans la mobilité montre que ce n'est plus un fait à démontrer. Ces transports sont revendiqués haut et fort comme la seule solution capable de sortir les grandes villes du Sud des problèmes de mobilité. Seraient-ils pour autant la panacée? Certainement non, car en même temps qu'ils sont utiles socialement au grand public (souplesse dans les prix et les dessertes, service porte à porte, longue durée de travail, etc.), ces transports sont l'objet de qualificatifs de tout genre (automobile polluant, occupation anarchique de la rue, indiscipline des chauffeurs, concurrence déloyale au transport officiel, etc.) qui menacent leur pérennité. En définitive, sont-ce ces transports qui sont mis en cause ou les logiques qui les organisent (celles des groupes d'acteurs qui les initient, qui les encadrent ou qui tentent de les contrôler)? Dans ce chapitre, nous démontrons que les différentes formes sous lesquelles se présentent ces transports sont le résultat des ajustements et compromis que les acteurs impliqués dans le contrôle et l'organisation de ces transports trouvent entre eux.

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