3.1.1 Des transports déterminés par les
transformations permanentes des contextes nationaux
Si le développement des transports alternatifs est un
phénomène commun à toutes les villes-capitales du tiers
monde, on ne saurait parler dans l'absolu d'une similitude concernant leur
trajectoire d'évolution, même si quelque fois, on retrouve des
points communs entre certaines villes. À Abidjan, s'appuyant sur la
prétendue nature rurale et artisanale de ces transports,
l'idéologie post-coloniale a construit un système de transport
basé sur le modèle de séparation des quartiers de la ville
: les bus de la SOTRA et les taxis compteurs pour la ville officielle, les
gbaka et les woro-woro pour les quartiers africains. Mais l'offre de la SOTRA
qui était destinée à jouer ce rôle ; acheminer la
main d'oeuvre, et notamment les fonctionnaires dans les administrations et
à des tarifs préférentiels les élèves, les
étudiants et les corps habillés est vite entrée dans des
difficultés. Les conditions de déplacement se sont
dégradées, même si aujourd'hui, l'on tente avec les bus
express notamment, d'offrir des conditions relativement acceptables de
mobilité. C'est ainsi que les transports autrefois combattus, se sont
progressivement répandus sur les itinéraires de l'offre de
l'Etat. En 1977, ce sont d'abord les Gbaka qui ont été
autorisés à ravitailler les différents marchés de
la ville d'Abidjan. Au même moment, les taxis collectifs ont
retrouvé une nouvelle vigueur dans le périmètre urbain de
Koumassi-Port-Bouët-Marcory en forte expansion démographique.
Aussitôt, au cours des années 1980, dans les communes d'Abidjan,
des services sont créés pour suivre les activités des
taxis collectifs jugés utiles pour leur rôle fiscal. Dans le
courant des années 1990, sous la pression de la crise
socio-économique et des luttes de positionnement consécutives aux
réformes de la décentralisation, des bretelles de rues sont
aménagées, pour développer l'activité des taxis
collectifs qui finissent par adopter des couleurs au niveau de chaque commune.
La tentative d'éradication des ces transports dits informels semble
alors achopper sur une difficulté structurelle. Aujourd'hui, presque 50
ans après l'adoption de la SOTRA comme mode de transport exclusif, on
remarque que l'éradication des gbaka et des woro-woro relève
d'une entreprise herculéenne.
219
De façon générale, ce sont
l'accélération de la croissance urbaine, les mutations sociales
et économiques des populations urbaines articulées au
déficit des transports de l'offre des Etats qui remettent en question la
conception post-coloniale des systèmes de transport. Elles en
démontrent la fragilité évidente mais aussi
l'inefficacité et le caractère inadéquat des
modèles de transport de type occidental. Ainsi, l'analyse de la
trajectoire d'évolution des offres alternatives de mobilité
aboutit à Abidjan au constat d'une offre de transport en
émergence. Toutefois, bien que utiles aux populations, ces transports
souffrent encore de certaines formes de préjugés et de traitement
qui les placent dans une situation d'incertitude concernant leur avenir. En
effet, malgré l'évolution de la ville et les insuffisances
avérées de l'offre publique formelle, le district et le
gouvernement continuent toujours de menacer officiellement les woro-woro,
notamment la variante intercommunale d'interdiction en référence
à l'arrêté municipal de 1977104. De plus, de
leur côté, les mairies pourtant considérées comme la
tutelle institutionnelle des taxis collectifs et notamment des taxis communaux,
ne songent toujours pas à leur apporter des aires réelles de
stationnement. De façon générale à Abidjan, les
taxis collectifs continuent comme du temps de leur première apparition
en 1950, de squatter les espaces publics vacants au grand
bénéfice des syndicats ou chefs de station autoproclamés.
Faute d'interlocuteur fixe, ce sont ces entrepreneurs privés qui
s'octroient le pouvoir de contrôle des transports alternatifs.
À Dakar, un certain nombre d'études aboutissent
au même constat. Seulement, qu'à Abidjan, les mesures
d'acceptation des transports alternatifs ont évolué entre
tolérance et autorisation partielle105, au niveau de Dakar,
l'Etat a plutôt opté pour la transformation de la qualité
de l'offre des transports alternatifs en en faisant évoluer la
catégorie des propriétaires. En effet, selon (Kane 1997;
Lombard,
104 La SOTRA, parallèlement à une
stratégie de diversification de son offre en direction des
marchés urbains (taxis-bagages), obtient, des responsables de la ville
d'Abidjan, la promulgation, le 02 mai 1977, d'un arrêté
interdisant la partie la plus urbanisée de la ville aux gbaka et
woro-woro. Actuellement, c'est cet arrêté que brandit le district
d'Abidjan pour prélever des taxes de transport aux woro-woro.
105Seuls quelques gbaka ont d'abord
été autorisés par la Ville d'Abidjan à desservir
certains marchés de la ville en 1977.
220
Sakho et al. 2004), l'acceptation des transports alternatifs
au Sénégal s'est faite par l'implication directe de l'Etat qui a
cherché à moderniser l'activité. Cela a consisté
à promouvoir un service de transport collectif privé performant
qui puisse partager l'espace, en bonne intelligence, avec la SOTRAC.
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