2.1.5 Les Malinkés de Côte d'Ivoire: une
présence très ancienne dans le transport
Comme la situation des transports collectifs de la
métropole sénégalaise, c'est aussi une communauté
socioculturelle spécifique, les Malinkés, qui ont entrepris
d'exploiter les premiers, la carence des transports publics formels dans la
ville d'Abidjan. Les Malinkés sont de ce fait les innovateurs des
nouvelles pratiques
100 En 1931 selon (Hazemann, 1992), le Gouverneur
Général de l'AOF remarquait déjà que depuis
quelques années, le goût des déplacements, en automobile
particulièrement, s'est fortement développé chez les
Sénégalais
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locales de déplacement. C'est de toute évidence
que les termes «Gbaka» et «woro-woro»101 sont
caractéristiques de la langue Malinké. Comme les Mourides, les
Malinkés forment selon (Chauveau 1980), le groupe marchand autochtone le
plus puissant, et se partagent le secteur tertiaire avec les Syro-Libanais et
les sociétés européennes. Ils sont également
à l'origine du fort développement, en Côte d'Ivoire, du
transport de personnes interurbain ou régional, les taxis-brousse.
Activité très rentable, le transport en commun attire aussi bien
les petits épargnants propriétaires d'un camion que les grands
commerçants à la tête parfois d'une véritable flotte
de véhicules. Le secteur a connu un nouvel engouement dans les
années 1970-1980 avec la généralisation des cars sur
toutes les lignes de transport qui remplacent les taxis-brousse (Fauré
1992-1993). Les études de (Aka 1988; Dembélé 2002) leur
attribuent la qualité de «Dioula transporteurs». De plus le
secteur des transports reste toujours marqué par l'usage ostensible de
noms Malinké sur les véhicules, notamment les gbaka. Il s'agit
des noms tels que: «Wourou fatô» qui signifie chien
enragé en Malinké. Ce terme désigne un type de minibus
gbaka qui se détermine par son caractère réfractaire aux
usages du code de la circulation routière en référence
à son nom «chien enragé».
«Nèguè» qui veut dire le fer en
Malinké. Pour de nombreux chauffeurs, cette appellation est liée
à la capacité de résistance du véhicule aux chocs
de toute nature. Comme le fer est invulnérable à bien des
égards, les gbaka «TOYOTA» et «ISUZU»102
qui affichent le nom «Nèguè» se
dégraderaient difficilement en cas de choc selon les conducteurs. Une
autre appellation est le terme «Massa» qui signifie
«roi» en langue Malinké. Il est utilisé dans le secteur
des transports pour désigner ce type de gbaka qui se distingue par sa
forme quelque peu ovale et par sa rapidité sur les routes. Au
départ, on rencontrait les massa, sur les lignes de desserte qui relient
à Abidjan et l'intérieur et entre les grandes villes de
façon générale. Mais depuis quelques temps, on constate un
accroissement des massa dans le transport urbain abidjanais en raison de sa
vitesse qui permet au chauffeur d'effectuer un nombre important de courses par
jour, signe d'un bénéfice certain.
101 Le terme «gbaka» désigne en
Malinké ce qui est en mauvais état. Quant l'expression
«woro-woro», elle signifie «30 francs 30 francs », à
l'époque le tarif du trajet. Actuellement, le coût du trajet varie
entre 250 et 1000 francs CFA.
102 Ces marques japonaises sont beaucoup
appréciées par les transporteurs du fait, selon eux de leur forte
résistance aux chocs et son adaptation aux voiries parsemées de
nids de poules.
216
L'exemple des Mourides du Sénégal et des
Malinkés de Côte d'Ivoire met en évidence l'existence de
communautés autochtones structurées et dynamiques qui ont
contribué à l'intégration et le développement des
réponses alternatives de mobilité. À cet effet, on peut
généraliser le constat qu'aucune société, aucun
pays n'existe sans organiser ses différentes activités de
transport selon les principes et la logique d'un certain ordre voulu ou
imposé par l'héritage culturel. Les modes de transports
alternatifs aux natures aussi variables que sont les cyclopousse du
Vietnam, Kabu-kabu du Niger, Okada du Nigeria, Boda-boda
(border to border) en Ouganda, Oléyia du Togo,
Bendskin du Cameroun, foula-foula du Congo Brazza,
Zemidjan du Bénin ou les grands taxis du Maroc, etc.
qui fleurissent dans les villes-capitales d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique latine ne sont pas des transports nés ex nihilo et
isolés. Ces modes de transport ne sont pas à séparer de
l'ensemble des structures sociales, politiques et religieuses. Mais depuis la
fin des années 1980, la crise qui affecte aussi bien les populations que
le secteur des transports publics, a permis un plus grand replis d'individus
précarisés vers ce secteur. Ainsi, d'un phénomène
généralisé de spécialisation professionnelle en
fonction de l'origine socio-culturelle, le jeu économique semble de plus
en plus ouvert à toutes les couches sans distinction
ethno-géographique
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