2.1.3 Les Malinkés de Côte d'Ivoire et les
Mourides du Sénégal: une communauté de destin dans le
transport?
La comparaison des contextes nationaux d'apparition des
réponses alternatives de mobilité au Sénégal et en
Côte d'Ivoire, montre l'existence de groupes d'entrepreneurs
socio-culturels constitués qui ont investi dans l'activité: les
Mourides au Sénégal et les Malinkés en Côte
d'Ivoire. En effet, les études réalisées sur les
transports alternatifs en Afrique montrent que les Mourides et les
Malinkés sont deux groupes socio-culturels très dynamiques qui
ont particulièrement investi le secteur des transports de leurs pays
(Aka 1988; Copans 1988; Sané 1993; Dembélé 2002). Mais
comment des formes de transport inspirées du mode de gestion
traditionnelle africaine ont été introduites,
intégrées et développées dans des espaces urbains
et socio-économiques fonctionnant selon les lois capitalistes? Si les
Mourides et les Malinkés ont investi largement dans le secteur des
transports respectivement au Sénégal et en Côte d'Ivoire,
l'ont-ils fait en tant qu'entrepreneur individuel, de surcroît Mouride ou
Malinké, ou ont-ils joué de leurs réseaux culturels pour
réussir dans ce secteur?
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Pour de nombreux auteurs, l'entreprise informelle doit son
succès au respect de la culture et des valeurs sociales africaines. Pour
les tenants de cette thèse (Agier 1984; Akindès 1991; Barbier
1992; Caillé 1994; De Soto 1994; Hernandez 1995), etc., la
réussite de ces unités dépend avant tout de l'aptitude de
leurs dirigeants, à savoir concilier préoccupations sociales et
activités économiques. S'appuyant «sur son étude
de l'accumulation de capital dans le secteur informel», Emile-Michel
Hernandez, réalise que dans la capitale togolaise, les «nanas
Benz» (riches commerçantes autochtones) et «les Maigida»
(commerçants-patrons haussa) et autres Alhaji étrangers ou
Kotokoli forment une classe supérieure disparate par laquelle passe
toute la masse monétaire circulant dans l'ensemble du secteur informel
et dont les membres détiennent un pouvoir de contrôle social sur
les personnes qu'ils mettent au travail (Hernandez 1995). Dans la
société traditionnelle africaine échanger un bien n'est
pas simplement un acte économique mais représente aussi un acte
social majeur. Selon (Barbier 1992), «l'informel», s'il constitue une
réponse de survie, il semble aussi correspondre assez bien aux valeurs
socio-culturelles africaines. Il permet l'épanouissement de valeurs
culturelles autochtones. Il réside de ce fait davantage dans ses aspects
culturels et intègre les pratiques religieuses, tolère les
structures hiérarchiques variées, donne toute une valeur aux
réseaux de parenté, de voisinage, s'appuie sur le principe du don
et du contre don comme le témoigne dans ce passage Ives Fauré,
«D'un premier point de vue, les actes économiques
n'ont pas de sens ou de valeur en eux-mêmes et pour eux-mêmes, leur
compréhension n'est possible que s'ils sont reliés aux univers
symboliques et aux croyances qui cimentent les groupes [...] Les actes
économiques ne sont pas autonomes, ils ne sont pas un but en soi
d'accomplissement des individus mais un simple moyen de reproduction et de
participation aux normes et croyances du groupe. Si les études
orientées dans ce sens sont trop nombreuses et diverses pour les
regrouper commodément sous un même sceau scientifique et leur
trouver un fondement conceptuel unique, il n'est pas exagéré de
dire qu'un auteur comme Karl Polanyi est un de ceux qui ont le mieux
formalisé cette situation caractérisée par une
économie enchâssée dans l'ensemble des autres
activités et relations sociales» (Polanyi1974 et 1983),cité
par (Faure 1992-1993).
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