II. Comparaison des réponses au déficit de
transport public dans les villes-capitales
Quelles sont les circonstances de naissance des transports
alternatifs dans les villes capitales? Quelles sont les différences et
les similitudes dans les réponses apportées à
l'insuffisance des transports publics formels dans les villes capitales
d'Afrique et d'ailleurs?
2.1 Déficit de transport public et émergence
de réponses alternatives de mobilité
Les agglomérations d'Afrique, d'Asie, d'Amérique
latine et d'Europe qui connaissent une poussée des transports
alternatifs présentent des caractéristiques similaires sur le
plan des conditions de l'émergence de ces moyens de transport. En effet,
ces agglomérations connaissent un développement
spatio-démographique rapide. Leurs offres publiques de transport
éprouvent des difficultés à suivre l'évolution
qualitative et quantitative de la demande de mobilité des populations.
Ces agglomérations se caractérisent aussi par une
pluralité de tutelles dans la gestion des services urbains collectifs
dont les transports alternatifs. Toutefois, les réponses
diffèrent selon les villes, les États,
205
les contextes politiques et expriment diverses formes de
compromis entre autorités gestionnaires des villes.
2.1.1 Un étalement et une dissociation
fonctionnelle de l'espace urbain
Différentes sources croisées indiquent que
l'éloignement habitats/activités allonge les distances de
déplacements intra-urbains et oblige à un plus grand recours des
transports alternatifs. Considéré comme le produit de
l'urbanisation incontrôlée, le processus d'étalement
horizontal des grandes agglomérations est à peu près le
même en Afrique subsaharienne selon (Coquery 1988). Il est analysé
comme un facteur d'accroissement des besoins en transport. Ici en Côte
d'Ivoire, l'analyse du développement d'Abidjan soulève la
question d'articulation entre transports et dynamiques spatiales. La croissance
urbaine que connaît cette ville développe un nouveau type de
relations où la pression démographique combinée aux
difficultés de l'offre de l'Etat impose de nouveaux choix en
matière de transport. Yopougon qui se présente comme la plus
grande cité dortoir isolée et éloignée du centre de
la ville d'Abidjan, illustre bien ce phénomène. Actuellement, les
habitants de cette commune ne peuvent facilement joindre le reste de
l'agglomération, que grâce essentiellement aux transports
alternatifs. D'une manière générale, la plupart, des
villes subsahariennes qui ont conservé les plans et les règles
d'urbanisme datant de l'époque coloniale se caractérisent par une
inadéquation entre l'offre étatique de transport et les besoins
des populations logées pour la plupart en périphérie. En
effet, du fait de la saturation des quartiers centraux, la croissance de la
population urbaine s'effectue surtout en périphérie. Et la
dissociation fonctionnelle des villes est telle que les zones d'activité
économiques et d'emplois restent concentrées dans un
périmètre restreint (Plat 2003). Dans ces conditions, on peut
aussi affirmer que la généralisation des transports alternatifs
est une réponse à la
206
différentiation fonctionnelle de l'espace urbain que ne
peut satisfaire seule l'offre de l'Etat.
Presque 50 ans après l'indépendance, à
Abidjan comme dans de nombreuses autres villes-capitales, le constat qui se
dégage est que les formes d'adaptation de modèle d'urbanisme
accordent toujours très peu d'importance aux besoins nouveaux des
populations. Les villes restent toujours sous l'influence des plans d'urbanisme
adoptés par les autorités coloniales. La synthèse des
travaux de (Noukpo and Agossou 2004; Capo 2008) sur l'importance des zemijan
dans la chaîne des transports urbains et périurbains de Cotonou,
nous permet aussi d'aboutir aux mêmes conclusions. En effet, pour ces
auteurs, la circulation des zemijan est le reflet de la structure de l'espace
urbain de Cotonou caractérisée par une dissociation fonctionnelle
de l'espace. L'extension urbaine a conservé le tracé et le
découpage imposés par l'administration coloniale. Il s'agit d'un
plan en damier obéissant à des trames orthogonales qui consiste
à prolonger les grands axes de communications et dont le maillage
structurant épouse un système de VON (Voies Orientées
Nord). Les activités urbaines: commerce, services modernes, artisanat,
services sociaux sont concentrées au centre-ville. Les quartiers
périphériques sont essentiellement des zones
résidentielles. Par conséquent, sans le palliatif qu'offrent les
zemijan, l'étalement urbain ou la périurbanisation, et dans une
autre mesure la rurbanisation, seraient inconcevables ou poseraient de graves
problèmes dans le contexte actuel de l'économie du Bénin
(Capo 2008).
(Sahabana 2006), note un processus identique à Niamey
où la forte extension géographique se décline en une
diversité de paysages urbains pour rendre indispensables, les taxis
collectifs ou «Talladjé-Talladjé» dans la
mobilité quotidienne. Ces véhicules sont utilisés
principalement dans la communauté urbaine et permettent le transport de
passagers du centre-ville vers la périphérie et vice versa. C'est
aussi le même constat de contraste entre ville moderne et quartiers
populaires que révèle Stéphane de Tapia à propos
d'Istanbul en Turquie, sur le continent européen.
207
«Ne serait-ce que le touriste le moins averti des
questions relatives à l'aménagement du territoire et au
développement économique, s'aperçoit très vite des
contrastes extrêmes éprouvés par la société
turque comme par bien d'autres (Mexique, Brésil ou, maintenant, Chine):
contraste entre aérogares et centres commerciaux d'une modernité
agressive, dignes de leurs homologues occidentaux, et quartiers populaires
d'habitat sous intégré et sous équipé
(gecekondu97); contrastes entre hypercentres d'affaires aux
bâtiments de béton et de verre et villages saisonniers
(tyayla, mezraa98) de paysans semi-nomades.» (DeTapia
2004).
Le développement rapide de la ville d'Istanbul a des
conséquence sur le fonctionnement des transports collectifs qui
alternent entre taxis collectifs dits «minibus» avec 14 places
assises et une dizaine de personnes debout et Taxis collectifs dits
«dolmu°» «Ford Transit» 10 places assises, pas de place
debout (DeTapia 2004)
La conclusion que l'on peut tirer de l'analyse
évaluative des processus spatio-démographiques à l'oeuvre
dans les capitales africaines et les autres pays du tiers-monde, c'est que
l'éloignement habitats/services et activités donne naissance
à des réponses alternatives de mobilité. La croissance
spatio-démographique a fait émerger une pléthore de formes
parallèles de mobilité qui permettent de régler bien des
problèmes quotidiens de déplacement en Afrique. De ce point de
vue, ce que l'on appelle dans les écrits comme dans l'opinion
«transport informel», «transport artisanal» ou
«transport illégal» et ici dans ce travail «transport
alternatif» est plutôt l'expression de voies nouvelles
d'accès à la ville officielle. En dépit d'une anarchie
apparente, ce sont ces moyens de transport qui relèvent aujourd'hui le
défi du déficit notoire en moyens de déplacement.
Plutôt que leurs
97 Le gecekondu selon De Tapia est un
«bâti, posé, la nuit». C'est la version turque du
quartier périphérique populaire, qui cependant diffère du
bidonville par les techniques de construction. Maison ou immeuble
illégal, mais en dur, le gecekondu abrite jusqu'à 60 % de la
population des grandes villes (Istanbul. Ankara, Izmir, Mersin, Adana ...).
98 Selon De Tapia, Yayla est un terme turc et
mezraa, un terme d'origine arabe. Tous les deux désignent les
agglomérations saisonnières, souvent en montagne (estives,
alpages), occupées durant l'été par des agriculteurs
sédentaires et semi-nomades ou des nomades. Le dédoublement de
l'habitat est fréquent, et même général, dans
certaines régions. Il existe des Yayla citadines, sites de
villégiature des citadins des régions chaudes qui ont tendance
à se transformer en stations touristiques de montagne.
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effets destructurants, c'est leur
complémentarité avec les offres publiques formelles qui est
désormais mise en exergue.
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