3.1.1 Le recours au «droit» comme ressource pour
se maintenir dans l'espace public
87 Dans les stations de grands taxis, il existe
deux modes d'organisation pour les départs des véhicules: les
taxis quittent la station soit en fonction de leur ordre d'arrivée, ou
bien les départs se font à tour de rôle selon le point
d'attache des véhicules (ville dans laquelle ils sont basés).
183
Selon (Ferréol, Cauche et al. 2004) qui citent Henri
Lévy-Bruhl, le droit est l'ensemble des règles obligatoires
déterminant les rapports sociaux imposés à tout moment par
la collectivité à laquelle on appartient. Mais selon les domaines
d'activités, le droit peut prendre des formes très
différentes et variées. Pour ce qui est de l'occupation de
l'espace public par les woro-woro, la palette de droits disponibles pour les
acteurs de ce secteur n'est pas la même que celle qui régule
l'action d'une institution étatique, même s'il y a parfois
certains points communs (De Sardan 2008). Au niveau des woro-woro, les acteurs
profitent de la multiplication des instances d'aménagement et de gestion
urbaine créée par le morcèlement des
responsabilités et des pouvoirs au sein de la ville pour construire leur
«légalité». Cette situation est particulièrement
remarquable au niveau de la gare du «lavage» à Yopougon. Les
propos suivants d'un responsable syndical montrent bien que les lieux de
transport s'implantent avec l'accord d'au moins une autorité
gestionnaire de la ville :
«Créer une gare n'est pas facile, surtout à
Yopougon où l'espace est beaucoup privé. L'espace de la gare de
lavage où vous voyez les woro-woro là, on paye des taxes
annuelles en plus des tickets qu'on paie tous les jours à la mairie.
Mais malgré ça, on dit que la place appartient à un ancien
élu (député) de Yopougon. Aujourd'hui, il a
cédé une grande partie de l'espace à la SICOGI»
K.A. 12 04 2009.
Le regain d'activités des woro-woro s'accompagne le
plus souvent d'une occupation permanente de la rue. Il existe un lien
particulièrement fort entre activités de woro-woro et
localisation de celles-ci dans la rue. Cette localisation
privilégiée des activités de transport dans la rue
mérite qu'on les observe sous l'angle de la géographie du pouvoir
(Raffestin 1980). En effet, les entrepreneurs chargeurs des woro-woro
fournissent un effort constant pour conserver un accès à des
espaces à fort potentiel pour gagner de l'argent. Ces entrepreneurs
recherchent une situation rentable et une certaine sécurité. Il
ne suffit pas en effet qu'une localisation soit bonne et qu'elle soit
disponible, encore faut-il qu'elle soit sûre, ce qui dans la rue n'a rien
d'évident. La question de l'usage de l'espace public est, à
propos des woro-woro, essentielle, car en fait ce n'est pas l'espace public en
tant que tel qui intéresse les entrepreneurs, c'est l'accès au
droit d'usage de cet espace. C'est d'ailleurs justement cela qui pousse les
entrepreneurs à recourir à des
88 Le groupe de mot «vieux père»
renvoie dans le langage de la rue à quelqu'un d'avisé. Un homme
d'un âge un peu plus supérieur à celui ou à ceux qui
l'appellent ainsi.
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intermédiaires bien introduits dans l'administration
(agents de police, de la municipalité, etc.), ou à un chef de
quartier, ou parfois à «un vieux père88»
reconverti dans le courtage. En l'absence de l'une ou de l'autre de ces voies,
la violence reste l'alternative la plus certaine dans bien des cas.
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