1.2 Les Malinkés: une présence
historique dans le transport
Au niveau historique, plusieurs faits rendent
compréhensible la présence des Malinkés dans le transport.
Il s'agit des appellations liées au matériel roulant et de noms
renvoyant à certaines catégories spécifiques
d'entrepreneurs. En outre, certains travaux réalisés sur
l'entreprise ivoirienne ont mis en évidence l'existence d'un corps
social intégrant l'activité économique en fonction des
appartenances socioculturelles. Ainsi pour (Dembélé 2002), ce
sont les Maliens, les Guinéens, les Malinké et les Sénoufo
ivoiriens, englobés dans le grand groupe des commerçants Dioula
qui occupent largement le champ du commerce et du transport urbain.
«Le corps social est alors constitué selon une
structure socioéconomique nationale intégrant des
compétences appartenant à divers groupes socioculturels: le
paysan autochtone, le Mossi manoeuvre, le Dioula commerçant,
transporteur, artisan, le Libanais [...] Le champ nouveau des services urbains
et ruraux présente une infinité des rôles occupés
par les groupes ethniques spécifiques à chaque secteur
d'activité économique correspond un groupe socioculturel
ivoirien» (Dembélé 2002).
1.2.1 La culture malinké très visible dans le
secteur
Parler de culture Malinké dans le secteur du transport
collectif, c'est aussi faire référence à l'usage d'un
vocabulaire propre à ce secteur d'activité et dont les
référents renvoient au paysage culturel Malinké. Ainsi,
dans certains cas, il s'agit des appellations liées au matériel
de travail et dans d'autres, des noms qui font référence à
la profession. Au nombre de ces appellations, on note le terme
«woro-woro» de «dioula» ou de
«dioulatchè», de «massa», etc. En outre, certains
transporteurs n'hésitent pas à afficher leur appartenance
confrérique.et l'un des
moyens les plus utilisés est l'inscription ostensible de signes et
d'images religieux dans les véhicules tel « Alhamdoulilahi »
qui signifie si Dieu le veut.
66
1.2.2 Le terme «woro-woro»
Le mot «woro-woro» est une création
néo-traditionnelle qui vient d'une des langues de la Côte
d'Ivoire, le Malinké. Woro-woro signifie à l'origine «30,
30», par imitation phonétique du coût du trajet «30
f». Par image, ce terme a désigné les véhicules qui
concurrençaient les taxis compteurs, création de l'administration
coloniale. À l'origine c'étaient des Malinké qui
exploitaient ces véhicules. Ceci s'explique par le fait que les plus
grands groupes des tout premiers migrants Africains arrivés à
Abidjan et ayant investi dans le transport étaient des Malinké
(Aka 1988; Kassi 2007). Au début, les woro-woro étaient
utilisés pour la desserte du quartier africain Treichville
marchés (Antoine, Dubresson et al. 1987). Mais peu à peu, par
nécessité, ils ont été utilisés par
l'ensemble de la population de la ville d'Abidjan.
Pour les interviewés des années 1960 à
1970, le woro-woro ou taxi ville était un mode de déplacement
à part entière. Le woro-woro est alors conçu comme un
complément à la marche, permettant à la fois de soulager
les marcheurs et d'accroître leur vitesse de déplacement. Le
passage du terme «de portage» à «woro-woro» marque
un changement sémantique et son utilisation implique également un
glissement progressif d'une pratique à une autre. En outre, le terme
woro-woro apparaît beaucoup plus large que celui «de portage»,
puisqu'il désigne l'utilisation d'une voiture en commun, et pas
seulement entre un individu porteur et ses bagages, comme le suppose le terme
de portage et la pratique. De plus, l'une et l'autre pratique n'ont pas les
mêmes implications en termes matériels et de gain de temps. En
revanche le portage et le taxi collectif woro-woro se ressemblent
sémantiquement puisque les deux termes évoquent l'usage d'un
moyen de déplacement sur un trajet donné. Mode de transport
éminemment informel et spontané au départ, le woro-woro va
progressivement s'organiser et s'institutionnalisé grâce à
une multitude d'acteurs qui le portent.
67
|