2.3.2 Les gbaka sur les lignes des woro-woro
«Nos problèmes, la pluie, les vacances. C'est
aussi la concurrence avec les gbaka, ils font le taxi. Le gbaka de Niangon
à droite, les gbaka de cette ligne ont cassé Maroc
jusqu'à GESCO. Ils prennent les clients 100f, 100f. SIDECI
jusqu'à Siporex 100f. 100f SICOGI, Saint-André jusqu'à
Niangon: 100f, 100f donc ça fait que vraiment ça ne marche
pas». Boukary, chauffeur de woro-woro communal
(04/07/2012).
Le rapprochement entre des modes de transports aussi
différents qu'un gbaka et un taxi collectif n'est ni irréaliste
ni incongru. En effet, la clientèle des taxis collectifs et celle des
gbaka ne sont pas parfaitement dissemblables. Ces deux
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clientèles se recoupent largement, car bon nombre
d'usagers des gbaka font volontiers usage des taxis collectifs à
l'occasion d'un retard, d'une urgence ou d'une opportunité. Il y a
souvent complémentarité entre ces deux modes de transport comme
il y a en a aussi entre les bus et le gbaka ou entre le bus et le woro-woro.
Sans nier l'existence d'une population complètement captive des
transports en commun ainsi que d'une autre, parfaitement opposée
à tout autre mode de transport public que le taxi compteur ou le bus, il
faut reconnaître qu'une part significative de la clientèle des
taxis collectifs constitue également celle des gbaka. Il nous semble que
les clientèles sont suffisamment sécantes et se rapprochent comme
le justifie l'intégration des tarifs entre gbaka et les woro-woro pour
les liaisons intercommunales. La proposition de faire appel à des gbaka
pour suppléer les taxis collectifs sur des liaisons intercommunales
n'est pas complètement nouvelle85. Cette pratique des gbaka
qui s'improvisent «taxi intercommunal» ou des véhicules
banalisés qui desservent les lignes des bus de la SOTRA ou des taxis
compteurs existe informellement et n'est pas complètement
étrangère aux codes en vigueur dans le secteur. Cette pratique a
débuté dans les années 1990. Elle a été
renforcée par les luttes de positionnement nées du renforcement
de la politique de décentralisation institutionnelle et de la
libéralisation des transports publics.
2.3.3 «La lutte» des territoires
Tels que présenté plus haut, le woro-woro ne
peut pas se transformer en taxi compteur mais le taxi compteur a la
possibilité de faire souvent du woro-woro. Pourtant, il y a quelques
années voir un taxi compteur faire du woro-woro était
perçu comme un crime.
«Ce sont ensuite les protestations des chauffeurs et
propriétaires de taxis-compteurs qui sont rapportées par les
journaux au travers de leurs représentants syndicaux. Ils sont
opposés au développement de ces taxis clandestins et le font
savoir par le recours à la force. Ils capturent 300 taxis
parallèles dans la commune de Cocody qu'ils remettent à la
fourrière» (Couret 1997) .
85 La ville d'Abidjan et notamment la commune de
Yopougon est pionnière sur ce point.
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Mais face aux nombres de plus en plus réduit
d'abidjanais pouvant se payer le luxe de rentrer du travail en compteur, les
chauffeurs de taxi compteur arrondissent la recette en passant dans l'autre
camp.
«C'est vrai que nous faisons le woro-woro pour de
l'argent, mais c'est surtout pour arranger les clients. Les woro-woro ne
peuvent pas rouler vide. Ils doivent être pleins en aller et retour.
Alors il faut comprendre si on les attend personne n'ira à la maison
après le travail» soutient (Hamed, chauffeur de taxi compteur 18.
08. 2011)
En effet aux heures de pointe généralement
autour de 6 h 30 mn le matin et 17 h 30 min le soir les files d'attente sur les
gares sont longues et même impressionnantes. Les rangs peuvent être
formés de 25 à 36 personnes, voire plus. Les taxis compteurs
viennent donc à la rescousse des woro-woro. Mais quel que soit le motif
évoqué, la situation agace les chauffeurs de woro-woro.
«Je ne sais pas comment le transport est organisé
dans ce pays? Les taxis compteurs nous font une concurrence déloyale.
Les syndicats permettent qu'ils viennent ramasser nos clients et à la
descente nous avons des problèmes pour boucler la recette. Les woro-woro
ne peuvent travailler qu'entre 6 h et 23 h or les taxis compteurs peuvent
circuler 24 h sur 24. Les taxis-compteurs ont donc plus de temps pour se faire
de l'argent. Je pense que les syndicats doivent trouver un terrain d'entente
pour dire qui fait quoi et où. Ce n'est pas une question d'argent mais
une question d'organisation du transport et de sécurité des
citoyens». Souligne André, chauffeur de woro-woro intercommunal
(10. 12.2013)
Depuis le cours des années 1990 et 2000, on assiste au
développement des pratiques de mobilité alternative. L'un des
objectifs de ce travail de recherche est de répondre comment est
structuré l'espace de transport à Abidjan et notamment à
Yopougon. Mais au-delà, il pose aussi la question de l'adaptation et de
la survie des acteurs urbains dans un espace de plus en plus complexe et en
mutations constantes. L'espace transport est fortement structuré et
même territorialisé en raison des enjeux importants liés
à l'exploitation du service des taxis collectifs. Cette
territorialisation s'appuie sur des stratégies d'acteurs qui
réagissent et
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s'adaptent constamment aux réalités complexes et
changeantes de l'espace urbain abidjanais. Pour étudier ces enjeux, nous
avons choisi la catégorie «syndicat». Certes, cette
catégorie d'entrepreneurs n'est pas les seuls groupes qui opèrent
dans ce secteur et capables de s'y imposer par des règles
extra-légales, mais c'est le seul groupe d'acteurs, dont depuis
près de vingt ans, les affrontements meurtriers entre fractions rivales
sur la voie publique et où les oppositions aux velléités
régulatrices de la puissance publique défraient
régulièrement la chronique.
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