2.2.3 Le woro-woro, un transport intégré dans
le système de mobilité des populations?
On doit à l'économiste péruvien Hernando
de Soto d'avoir souligné l'importance critique de l'intégration
du secteur informel pour le développement économique et le
progrès social dans les pays pauvres (De Soto 1994). En Côte
d'Ivoire, quinze ans après l'annonce de la libéralisation du
secteur des transports, aujourd'hui deux habitants de la ville d'Abidjan sur
trois se déplacent en mode collectif assuré par le secteur dits
informels (AGETU 2007). Les taxis collectifs assurent en effet les deux tiers
des déplacements effectués en transport urbain à Abidjan.
Ces taxis concurrencent avec succès les prestataires formels du service
public (autobus de la SOTRA et les taxis compteurs) et ont même tendance
à les marginaliser (SSATP 2001). Cette situation procède en
Côte d'Ivoire de circonstances particulières. Jusqu'à la
fin des années 80, le monopole du transport urbain était
détenu à Abidjan par les taxis-compteurs et les autobus de la
SOTRA. Mais, face à leur inefficacité à desservir
certaines zones de résidence à fortes densités comme
Yopougon, les woro-woro autrefois exclus des dessertes urbaines ont fait leur
réapparition et ont été acceptés par la population.
Les woro-woro se sont établis ensuite progressivement sur tout l'espace
urbain abidjanais à travers des zones de dessertes qu'ils
contrôlent. Que ce soit pour les dessertes internes aux communes ou soit
pour les services de rabattement en direction des zones de fortes demandes
d'emploi, on observe une émergence de spécialités de
service du couple intermodal: woro-woro communal- woro intercommunal
2.3 Le woro-woro, une pratique de mobilité
en expansion
Dans ses travaux sur les organisations et les pratiques
innovantes, N. Alter définit l'innovation comme le processus social qui
amène une invention, c'est-à-dire un objet ou une pratique
nouvelle à devenir la nouvelle norme d'usage (Alter 2000).
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Ainsi, depuis sa réapparition dans les années
1990, le woro-woro a connu une expansion: augmentation des usagers et
diversité des pratiques. Cette évolution est à rapporter
aux transformations socioéconomiques mais aussi institutionnelles qui
sont intervenues au cours de la même période et qui permettent aux
taxis compteurs et gbaka d'aligner parfois leur offre sur les pratiques des
woro-woro.
2.3.1 Le taxi compteur «obligé» de faire
le woro-woro
À Abidjan, il n'est plus rare de voir certains
chauffeurs de taxis compteurs improviser un service de «taxis
collectifs». Plutôt que de focaliser leurs propos sur
l'irrégularité de la pratique, ils s'y conforment et fonctionnent
comme des woro-woro. Cette réalité des usages
observés du taxi compteur improvisé «collectif»
participe à la redéfinition des missions du «mode taxi»
dans un cadre prospectif innovent. En effet, les sorties en taxi
communément appelé «taxi compteur» se
démocratisent de plus en plus. Puisqu'autrefois, se déplacer en
taxi compteur ou «écraser la tomate84» était
réservé à une élite ou à une population
suffisamment aisée. Mais depuis peu, ces taxis sont fréquemment
empruntés par une part croissante d'individus, moins riches, davantage
captifs des transports en communs.
L'imagination des chauffeurs de taxis compteurs qui
s'improvisent «collectifs» correspond, en réalité,
à une innovation appropriée par sa flexibilité. Elle vient
répondre à l'attente de cette clientèle moins solvable qui
s'imagine diverses stratégies pour se déplacer à moindre
coût comme le suppose la pratique du woro-woro. Ainsi, dans les liaisons
domicile-travail, il n'est pas rare d'assister à des
84 Expression qui signifie rouler en taxi compteur.
Cette expression est en rapport avec la couleur rouge de la tomate. En
réalité, être rouge comme une tomate, c'est être
rouge de honte. Ainsi par analogie, «écraser la tomate»
pourrait alors signifier enlever la honte sur soit. C'est à ce titre que
chez les Bambara, peuple d'Afrique de l'Ouest (Mali, Sénégal,
Guinée), la tomate est le symbole de la fécondité. Pour ce
faire, les couples doivent en manger avant de s'unir Hennig, J.-L. (1994).
Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et
légumes. Paris, Albin Michel.
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associations improvisées d'inconnus partant dans une
même direction en vue de partager le prix de la course en taxi. Il est
fréquent, également, qu'un client négocie un tarif. Ce que
certains chauffeurs consentent afin de ne pas perdre une clientèle rare
du fait d'un environnement fort concurrentiel. Ce que confirme ce chauffeur de
taxi compteur dans les propos suivant:
«Parfois, il arrive que j'«ouvre» un tarif
«woro-woro». Un travail c'est un travail. C'est toujours mieux que de
circuler et de ne rien gagner. En semaine il y a moins de clients, surtout en
dehors des heures de pointe, c'est mieux que rien» Explique un chauffeur
de taxi compteur (J. Paul.15. 03 2009).
Une habituée de la «négociation» du tarif
du taxi compteur explique:
«Pour obtenir le tarif «woro-woro», j'explique
généralement qu'on monte à plusieurs. Et le chauffeur
comprend qu'il y aura des détours à faire». (Ivette,
15.03.2009)
En ajustant tarifs et pratiques à cette
clientèle moins solvable, les chauffeurs font preuve d'imagination et de
clairvoyance. Ils saisissent l'occasion de répondre, d'une façon
différente, aux attentes nouvelles de la clientèle.
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