2.1.3 Des contradictions mises à profit par les
entrepreneurs
privés?
Hirschman et Perroux qui sont deux figures
emblématiques de l'économie du développement
privilégiant tous les deux, le rôle des acteurs dans le processus
de développement en zigzag et donc une absence de déterminisme
(Hugon 2003). Ils ne dissocient pas éthique et économie. Ils
conçoivent le développement comme un processus de
déséquilibres, de cheminements par essais/erreurs et de processus
cumulatifs. Aussi, considèrent-ils que le développement est moins
un problème d'allocation des ressources que de mobilisation des
énergies et des capacités créatives. Pour ces auteurs, les
déterminants structurels apparaissent secondaires face aux rôles
des acteurs, aux structurations sociales anomiques, aux dérives par
rapport à des normes (désordre) ou aux incertitudes. En revenant
sur les logiques des entrepreneurs syndicaux qui visent de plus en plus
à se substituer aux autorités institutionnelles dans
l'organisation des woro-woro, on se rend compte que leurs
169
stratégies visent à réaliser des
objectifs explicites et construits (Muller 1998). L'analyse des
différentes formes d'organisation des entrepreneurs syndicaux, qui
constitue un système de relation informel, est ainsi l'occasion de
réfléchir sur leurs articulations avec les pouvoirs
institués dans la satisfaction des besoins de déplacement des
populations.
En effet, le processus de décentralisation en
consacrant l'irruption de la société civile sur la scène
publique, contribue à accréditer l'idée que la gestion des
problèmes d'intérêt général peut passer aussi
par des canaux autres que les institutions établies (Désert 2006
). Poussés par un bon nombre de personnes sans qualification
professionnelle ou formation particulière, les syndicats des
transporteurs profitent des empiètements de prérogatives entre
les structures officielles en charge de la gestion des transports pour
accroître leurs zones de compétence. Très solidaires, ils
détiennent des pouvoirs de décision dans ces espaces
territorialisés et donnent des ordres à une autre
catégorie d'individus qui exécute les tâches dans les gares
routières. Ils jouent un rôle important dans la structuration de
l'espace transport. Dans une logique d'appropriation du système de
transport, les syndicats ont développé des stratégies
spatiales qui s'appuient sur le contrôle, l'extension, la création
et la démultiplication des gares et des lignes de desserte. Dans ces
lieux, la perte de centralité de l'État a ouvert des espaces
d'expression supplémentaires à ces protestataires et
multiplié les voies d'accès aux canaux décisionnels
(Dupuy, Halpern et al. 2009). En Côte d'Ivoire,
l'ouverture du pays au pluralisme politique s'est accompagnée dans le
milieu des transports par l'éclatement des revendications syndicales.
L'enjeu qui les détermine est de s'ériger en maîtres du
jeu. Ce qui signifie une présence effective dans toutes les gares
routières d'Abidjan. À ce propos, un responsable syndical avance
ceci:
«Sur chaque gare, sur chaque ligne, on a des gars. C'est
pour mettre de l'ordre quoi» (Y.07 02 2013)
L'analyse des enjeux dans la dynamique de structuration des
woro-woro, montre l'existence d'un lien entre le développement de cette
offre de transport et les difficultés dans l'application des lois sur la
décentralisation des compétences dans
170
l'organisation de ces transports. Le transfert d'un certain
nombre de compétences au près des municipalités ou des
structures sous tutelle de l'Etat révèle d'ailleurs ce souci.
Plus particulièrement, les municipalités subsahariennes
récemment concernées par la règlementation des transports
urbains ont peu d'emprise sur son organisation. Selon (Sahabana 2006) aucune
municipalité ne semble avoir les capacités financières. Il
est alors aisé de comprendre que ces structures
décentralisées cherchent à augmenter leurs ressources au
détriment de l'efficacité des transports urbains. En se
substituant aux Etats dans la gestion et le contrôle des transports
alternatifs, en accord ou non avec les responsables de ces Etats83, les
entrepreneurs privés contribuent à rendre certains territoires
urbains ingouvernables. Pour de nombreux observateurs de la scène
urbaine abidjanaise, c'est la très grande liberté accordée
aux entrepreneurs privés qui serait à la base de l'expansion
continue des woro-woro sur tout l'espace urbain d'Abidjan. Le
développement de l'offre des woro-woro conduit à un
découpage de l'espace urbain en de nombreuses
spécialités.
|