2.1.1. La Ville d'Abidjan et la mairie: deux perceptions
différentes des woro-woro
Comme nous venons de le rappeler, les transports alternatifs
représentent une part importante de l'offre de la ville d'Abidjan et
peuvent s'analyser aussi comme des instruments stratégiques de la
politique urbaine. Cependant, leur développement s'est intensifié
à partir des années 1990 lorsque les anciennes structures
d'encadrement ont été concurrencées par d'autres groupes
d'acteurs issus des nouvelles réformes de décentralisation et de
libéralisation. Commencée en 1993 avec la mairie de Cocody qui
s'autorise la délivrance des cartes de stationnement, la pratique de
reconnaissance des taxis collectifs par les mairies comme transport urbain est
remise en cause par la ville d'Abidjan. Ce constat apparaît clairement
dans l'extrait des propos suivants d'un responsable du service assainissement
voirie publique du district d'Abidjan:
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«Il est hors de question de laisser le désordre
s'installer partout. Vous savez, l'interdiction de laisser les woro-woro
circuler partout répond à un souci majeur. Au niveau du district,
nous avons une mission claire. Nous avons obligation à préserver
une meilleure image de la ville d'Abidjan, la capitale économique. Rien
que pour cela, les premières autorités de la Côte d'Ivoire
n'ont jamais souhaité que les woro-woro et les gbaka opèrent
partout dans la ville d'Abidjan pour éviter les bouchons
désagréables à la circulation et donner une mauvaise image
aux investisseurs. [...] Malheureusement, nous ne sommes pas les seules
autorités de la ville aujourd'hui.» T. C. service assainissement au
district d'Abidjan (15-08-2012).
À cet argument technique utilisé par le district
d'Abidjan pour justifier la suppression des woro-woro est opposée une
réponse d'ordre social par les mairies. Dans un contexte de
décentralisation et de compétition urbaine, il semble difficile
de réussir un tel changement d'orientation, qui ferait changer
l'attitude des mairies. Dans les propos suivants, l'un des responsables du
service transport de la mairie de Yopougon semble donner une réplique
à l'action du district relative à l'interdiction des woro-woro.
Car pour lui, ce compte ce sont avant tout, la rentabilité
financière et l'utilité publique de ces transports.
«Notre souhait, ce n'est pas que les woro-woro
intercommunaux soient supprimés, parce qu'ils paient des tickets de
stationnement à la mairie. On pouvait les immatriculer comme les taxis
bleus là. Quelque chose qui donne de l'argent vous voulez qu'on la
supprime? Les woro-woro vont d'une commune à une autre et aide beaucoup
les gens. Vous-même, voyez comment les gens souffrent pour aller au
travail. Ça veut dire que si on continue à jouer les durs, les
gens vont toujours s'arranger à aller au travail en woro-woro. À
notre avis le gouvernement tout comme le district doivent comprendre [...] Nous
sommes allé plusieurs fois à des réunions au Plateau, le
district nous a dit qu'ils sont entrain d'étudier comment on peut
trouver une solution ensemble pour immatriculer les woro-woro.» (M. T.
21-01- 2009)
Cela fait aujourd'hui presque 30 ans que l'interdiction des
woro-woro est régulièrement rappelée, sans effets
durables. La répression policière initiée par la ville
d'Abidjan leur est opposée sans succès alors qu'au niveau
communal une entente se crée autour d'un statut provisoire des
woro-woro. Ainsi, une tension apparaît à propos des taxis
collectifs. D'un côté la ville d'Abidjan, avec comme
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image défendue, le prestige paysager, l'expression
visible d'une politique urbaine associant les référents de la
modernité.
«La rue conçue a priori comme espace de
circulation fluide aux trottoirs débarrassés de toute
activité pouvant renvoyer à « un paysage de la
pauvreté» (Lambony 1994).
De l'autre, les mairies plus soucieuses des impératifs
sociaux qu'impose une population nombreuse en voie de paupérisation,
sont toujours soucieuses de leurs
missions communautaires (Couret 1997; Steck 2006-2007).
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