Chapitre 2
Concurrence entre responsabilités et
émergence des spécialités des woro-woro
Les lois de décentralisation, mises en place dès
le début des années 1980, en Côte d'Ivoire, dans un
contexte de crise économique, ont modifié les arbitrages entre
les acteurs des secteurs public et privé impliqués dans la
gestion de services des transports urbains. La pluralité d'acteurs qui
intervient dans le contrôle des taxis collectifs (woro-woro), pose
évidemment la question de leur définition en tant que service
public. En effet, dans le contrôle des activités des woro-woro, il
y a d'abord, les autorités municipales, le district d'Abidjan et les
représentants de l'Etat (AGETU) qui se réclament à juste
titre de la loi. Puisque la gestion des
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activités de la rue dont le woro-woro relève a
priori du domaine public, même si dans la pratique ces acteurs
institutionnels sont condamnés dans la plupart des cas à jouer
les seconds rôles. Alors que leur pouvoir devrait être total en
matière de contrôle des taxis collectifs, ils sont souvent mis
dans des situations de fait accompli. N'intervenant finalement que
secondairement sur un marché de transport où ils semblent de plus
en plus mis en difficulté. À ceux là, s'ajoutent dans
quelques cas les jeunes des villages rattrapés par
l'urbanisation76 qui brouillent encore un peu plus ce champ
d'intérêts déjà complexe. Il y a enfin (quoique la
liste ne soit pas exhaustive) les syndicats de transporteurs. Ces derniers
méritent une attention toute particulière, car leur
intérêt pour les transports alternatifs est
révélateur des liens multiples qui associent ces acteurs aux
«officiels» des transports.
2.1. Les woro-woro, un transport émergeant à
problèmes?
La question du contrôle des woro-woro est essentielle,
car selon (Tellier 2005), ces taxis participent à un équilibre
conciliant l'intérêt des collectivités territoriales
(fiscalité), les rentes des propriétaires et locataires
d'agréments, les emplois et les revenus des chauffeurs et un service de
transport socialement utile au grand public. Ainsi, ce n'est pas
l'utilité publique de cette offre de transport en tant que telle qui est
remise en cause. Mais ce qui pose problème, c'est la
démultiplication des pôles de décision aux
intérêts parfois identiques et contradictoires et qui
entretiennent des relations très fluctuantes et s'investissent
différemment en fonction de leurs propres impératifs
stratégiques autour de ces transports (Chabault 2011). La restitution du
sens d'une telle observation en lien avec la décentralisation se heurte
aux justifications nécessairement contradictoires qu'en donnent les
acteurs. À la pluralité des objectifs qu'elle peut servir,
correspond la complexité du dispositif d'encadrement accentuée
par la multitude de textes qui
76 Les lignes créées en direction des
villages sont contrôlées par les jeunes de village
supervisés par la chefferie sous la supervision des syndicats et de la
mairie. Cette situation est vécue particulièrement sur les
liaisons en direction des villages de Béago et de Niangon Lokoi.
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l'organisent. En l'espace de quelques décennies, pas
moins de trois lois de natures diverses viennent d'être adoptées
en vue de renforcer l'encadrement des transports alternatifs. La loi de 1980
portant statut de la ville d'Abidjan, qui précise les attributions du
maire pour la délivrance des autorisations, l'approbation des tarifs, la
perception des redevances relatives à l'exploitation des transports
publics dans la ville. La loi 95-6609 du 3 août 1995, élargissant
les compétences des communes en matière de police
routière. Le décret n° 2000-99 du 23 février 2000
créant une agence des transports publics. Dans ce cadre, les
débats sur la responsabilité en matière de contrôle
des transports collectifs peuvent servir de révélateur des enjeux
de pouvoir, des conceptions qui s'affrontent. Bien qu'elles n'en soient pas
l'axe majeur, les oppositions entre district et mairie concernant les taxis
collectifs révèlent les enjeux des différents groupes
d'acteurs qui se sont constitués autour des woro-woro et dont les
actions contribuent à l'émergence de ces transports.
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