3.3.2 Le rallongement des distances
«À partir de 1974, Nouveau quartier, Niangon
n'existaient pas sauf Lokoua, Kouté village et Béago. De la gare
à la SICOGI en R4 le prix
143
du trajet était de 25f. Je suis parti à Marcory
en 1975, je suis revenu en 1978, le transport est passé à 100 f.
Il y avait maintenant SIDECI, Nouveau quartier, Toit Rouge. Après, c'est
passé à 125 f et à 150 f en 2000. De 150 f en 2000, il est
passé à 200 f en 2005. Aujourd'hui le prix est à 250
f.» (P. N. 19. 05. 2009)
La commune de Yopougon a connu au plan spatial un
développement rapide. De 65 hectares en 1965, l'espace habité est
passé à 3335 hectares en 1989. Soit 20,88 % de la superficie
totale de la ville d'Abidjan en 1989 contre 1,76 % en 1965 et Yopougon demeure
la commune ivoirienne la plus étendue. Cette extension spatiale a eu
pour corollaire direct, l'allongement des distances entre les différents
sous- quartiers d'une part, et entre les habitations, les lieux de travail et
d'activités d'autre part. La complémentarité des moyens
formels de transport et l'offre alternative apparaît comme une
nécessité qui s'impose actuellement aux populations.
Comme le carburant, la contrainte liée à
l'allongement de la distance semble également jouer un rôle
important dans l'augmentation du prix du trajet. Aussi, certains utilisateurs
des taxis collectifs ont-ils avoué se déplacer plutôt
d'abord en gbaka pour ensuite terminer en woro-woro afin de limiter les
dépenses liées au transport. Dans plusieurs quartiers de la
commune de Yopougon l'augmentation du prix du trajet des woro-woro est
vécue comme une conséquence de l'insuffisance de services de base
dans les nouvelles aires périphériques d'habitation. Le manque
d'infrastructures viaires ou le cas échéant, l'état
dégradé de celles-ci, notamment en périphérie et en
saison de pluies, ne permettent pas l'accès facile de tous les
véhicules de transport collectif, sauf à certaines conditions
(prendre le taxi en course ou motiver le chauffeur par une revue à la
hausse du prix habituel du trajet)
3.3.3 L'augmentation de la demande sociale de
mobilité
Le développement des initiatives alternatives de
mobilité est une réponse individuelle à la conjonction
d'une triple pénurie: de véhicules privés, de services de
transport public et enfin, d'infrastructures routières (Diaz Olvera,
Plat et al.
144
2007). De plus, des travaux ont montré que concernant,
la commune périphérique de Yopougon, les infrastructures et les
services de base n'ont pas suivi le développement spatial de cette
cité dortoir (Diahou 1981; Bonnassieux 1987). Cette situation a rendu
l'offre de transport très insuffisante par rapport à la demande.
Dans ces conditions, les offres alternatives qui sont régies par des
mécanismes de fonctionnement internes65 procèdent
à des stratégies diverses pour profiter de la hausse de la
demande. De manière générale, avec une urbanisation
accélérée en périphérie, on assiste à
une augmentation incontrôlée des distances et un accroissement des
besoins de déplacements. L'accroissement de la demande sociale de
mobilité doit être pris comme un facteur d'augmentation du
coût de trajet au cours de ces dernières années.
En effet, l'éloignement de Yopougon par rapport aux
quartiers anciens, les quartiers centraux, notamment Treichville, Marcory et le
quartier de Plateau, le centre administratif et des affaires qui concentrent
l'essentiel des équipements et services de la ville, met en
difficulté les offres classiques de transport dont l'évolution ne
suit pas la demande. Cela constitue une opportunité pour les modes
alternatifs qui sont régis par des règles spécifiques de
fonctionnement et vis-à-vis desquels la loyauté n'est pas
toujours de rigueur (Lombard, Sakho et al. 2004). Différents exemples
éclairent ce processus permettant aux chauffeurs des woro-woro de
réaliser un nombre quotidien de courses suffisant pour dégager
des revenus. La tarification officielle est contournée par des voies
différentes selon les chauffeurs et surtout aux heures de pointe (entre
06h 30 et 08 30, pour la matinée et en soirée, entre 17 h 30 et
19h 30). Le chauffeur du véhicule (woro-woro) procède par le
fractionnement des trajets, notamment aux heures de pointe où la demande
est très forte. La stratégie consiste pour le chauffeur à
obliger les usagers à reprendre pour une nouvelle course soit le
même véhicule ou un autre pour la suite du voyage, une fois, la
destination improvisée est atteinte. Parfois, et toujours en liaison
avec la forte demande, mais sous le prétexte d'un embouteillage,
d'autres chauffeurs s'adonnent au marchandage pour revoir à la hausse le
prix de la course. Un trajet réalisé en une seule fois
habituellement par
65 Ces transports ont leurs propres règles de
fonctionnement qui fondent leur réputation.
145
un même véhicule est alors sectionné en
deux, voire trois étapes par le chauffeur et avec un paiement
exigé à chaque fois à l'usager. Ainsi, pour un trajet au
tarif de 900 FCFA entre Yopougon et Port-Bouët, le fractionnement en deux
courts trajets sous prétexte d'un embouteillage rapporte, à un
même chauffeur 1200 FCFA au lieu de 900 FCFA (soit 300 FCFA de plus).
De toute évidence, c'est la liberté dans la
fixation des coûts des trajets ainsi que la progression massive des
opérateurs qui sont à l'origine de la connexion de multiples
enjeux pour le contrôle de ce secteur. La plupart des auteurs s'accordent
à dire que les conflits de compétence, les rivalités entre
les différentes échelles d'autorité qui interviennent dans
ce secteur des transports ont aidé à la structuration des
woro-woro. Pour Jérôme Lombard «dans le transport urbain, la
recomposition entre secteur public et secteur privé exacerbe la
compétition pour la mainmise sur les espaces porteurs, sur les espaces
ressources où le secteur privé est présent et avec
lesquels les pouvoirs publics, centraux et locaux, comptent pour affirmer leur
politique(Lombard 2006).La question des enjeux abordée permet pour ce
faire d'amorcer le processus de structuration des woro-woro.
146
Troisième partie
Analyse de la structuration des woro-
woro
Surgi dans la plus complète
«informalité» dès les années 1972, lorsque les
premiers propriétaires de véhicules particuliers de la commune
naissante ont entrepris d'exploiter l'absence des transports publics formels.
Les taxis collectifs sont restés embryonnaires jusqu'en
197966. Mais comme tout élément urbain, ces transports
se sont transformés avec le temps, ils ont assimilé les
changements socio-économiques du moment en adaptant leur offre à
l'évolution de l'espace
66 C'est en 1979 que l'autoroute du nord qui relie
à Abidjan à Yopougon comme principale voie de communication a
été ouverte. Du point de vue démo-spatial, en 1979
Yopougon connaît ses premières valeurs fortes. La population fait
un bond qualitatif et passe de 99000 habitants en 1975 à 219000
habitants pendant que l'espace urbanisé passe de 1185 hectares à
2245 hectares. Cela a permis à Yopougon d'être
intégrée en 1980 à l'ensemble urbain abidjanais comme
l'une des dix communes qui composent l'agglomération.
147
urbain de Yopougon. Aujourd'hui, ils constituent une part
importante de l'offre de transport collectif et justifient cette place
grâce à des dessertes locales couplées de services de
mobilité domicile-travail. En 2002, le rapport du district d'Abidjan,
structure qui sert à l'élaboration des projets de
développement de la ville d'Abidjan, estimait à 8315 le nombre
des woro-woro en circulation. Le tableau suivant indique l'évolution du
nombre de véhicules banalisés au cours de cette dernière
décennie.
Tableau 9 : Evolution du nombre des véhicules
banalisés
2002
|
2003
|
2004
|
2010
|
2334
|
2559
|
2512
|
4000
|
Source: Bnetd, AGETU, mairie
Dans cette partie du travail, on s'attachera à
comprendre comment le processus d'acceptation des woro-woro s'est
effectué. Il s'agira alors pour nous de montrer comment les nouvelles
relations de pouvoir issues du contexte de la décentralisation agissent
sur la structuration des woro-woro.
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