Chapitre 3
Le woro-woro, une évolution dans la structure
de fonctionnement
Pour Minztberg, une entreprise ne peut se concevoir de
manière isolée. Elle est en lien permanent avec le milieu, auquel
d'ailleurs il appartient. Ces liens ne sont pas statiques et rigides. Ces liens
sont des échanges permanents, dans les deux sens, du milieu vers
l'entreprise et de l'entreprise vers le milieu. Ces échanges sont
nécessaires à l'équilibre global de l'ensemble, c'est ce
qu'on appelle un système (Minztberg 1982; De Soto 1994). Il en est ainsi
des taxis collectifs qui se sont organisés et adaptés
progressivement face à la demande sociale de mobilité de plus en
plus croissante. Que ce soit au niveau des entrepreneurs qui le portent ou
même au niveau du prix de la course, on note des évolutions
remarquables.
3.1. Le woro-woro, une évolution au niveau
de l'identité des acteurs
Dans l'imaginaire populaire ivoirien, «le transport est
une affaire de Dioula». De plus, des travaux existent et qui justifient
clairement l'ancienneté et la domination des Dioula dans le transport
(Aka 1988; Kassi 2007). Ainsi, selon Aka:
«Les informations recueillies sur le terrain
précisent que jadis les Dioula n'inscrivaient pas leurs enfants à
l'école. Les parents eux-mêmes, transporteurs ou
commerçants, ne sachant ni lire ni écrire, orientaient leurs
enfants vers ces métiers. Ainsi autant les Agni par exemple sont
agriculteurs, autant, les Dioula sont transporteurs ou
commerçants.(p.95)» (Aka 1988).
D'autres travaux réalisés sur l'entreprise
ivoirienne mettent également en évidence l'existence d'un corps
social intégrant l'activité économique en fonction des
appartenances socioculturelles. Ainsi, le jeu économique ne serait pas
ouvert
129
et il y aurait des verrouillages ethniques dans les
activités économiques. Ce sont les Maliens, les Guinéens,
les Malinké et les Sénoufo ivoiriens, englobés dans les
grands groupes des commerçants Dioula qui occuperaient largement le
champ du commerce et du transport urbain.
«En premier lieu la présence massive des
étrangers dans le secteur commercial n'empêche pas que d'actifs
Ivoiriens, originaires du nord du pays et islamisés, s'adonnent avec
talent et succès au commerce, tels les Dioula qui s'en sont fait une
spécialité en certains endroits [...] Les
préférences ethniques dans les secteurs d'activité
s'établissent ainsi: les Akan se dirigent en premier lieu vers les
services (39%) puis la production artisanale (37%), enfin vers le commerce
(24%) les Mandé du nord s'orientent en premier vers l'artisanat (49%)
loin devant les services (27 %) et le commerce (24%). Dans le groupe
voltaïque les activités commerciales arrivent au premier rang (50%)
devant les services (40%), loin devant l'artisanat (10%). Quant aux
Mandé du sud et aux Krou leurs faibles effectifs nous dispensent des
commentaires» (Faure 1992-1993).
Ces observations, aussi évidentes qu'elles puissent
paraître ne sont pas à généraliser aujourd'hui au
niveau des woro-woro. Sur la base des entretiens que nous avons menés,
on remarque que le secteur des woro-woro notamment est un domaine
d'activités ouvert où le salariat représente 60 % des
investissements, alors que les commerçants en représentent 30 %,
loin devant les retraités, les chômeurs et les individus vivant
à l'étranger (10 %). De plus, les travaux réalisés
dans ce domaine par Kassi Irène parviennent aux mêmes conclusions
relatives d'un jeu économique assez ouvert. La tendance s'est
inversée comme elle le démontre dans le tableau ci-après,
surtout dans le secteur des «woro-woro».
130
Tableau 8: Répartition des chauffeurs par
secteur d'activité et par
nationalité
|
Nationalité
|
Total
|
Ivoiriens
|
%
|
Ressortissants CEDEAO
|
%
|
autres
|
%
|
Gbaka
|
160
|
87, 4
|
23
|
12,6
|
|
|
183
|
100
|
Woro-woro Intra
|
242
|
83,2
|
40
|
13,7
|
9
|
3,1
|
291
|
100
|
Woro-woro Inter
|
167
|
78,8
|
44
|
20,8
|
1
|
0,4
|
212
|
100
|
Total
|
569
|
82,9
|
107
|
5,6
|
10
|
1,5
|
686
|
100
|
Source: tiré des travaux de (Kassi 2007)
p164
«Le retrait des étrangers de ce secteur
d'activité s'explique en partie par leur vulnérabilité
face aux agents de contrôle. Il était observé chez ces
derniers une forte propension au racket des chauffeurs non nationaux avant leur
généralisation aux nationaux» (Kassi 2007) p164.
Les images qui relient trop fortement les ethnies et leur
domaine de réussite économique doivent être
nuancées. Le changement social affecte aussi ces terrains en faisant que
la tradition n'est quasiment plus tout à fait ce qu'elle était il
y a quelques dizaines d'années. Au niveau des woro-woro, la tendance au
statut de propriétaire évolue plutôt en faveur des
salariés. L'on note également une diversité d'origine des
entrepreneurs pour les autres emplois liés à ce secteur des
transports.
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