Chapitre 2
Quelques éléments d'analyse du passage du
taxi communal au taxi intercommunal
Tarde, il y a plus d'un siècle, expliquait que les
sociétés se développaient selon le principe de
l'«imitation». L'imitation, selon Tarde, représente
l'intégration dans les pratiques sociales d'invention initialement
isolées, individuelles. D'un autre côté selon (Alter 2002),
le processus d'innovation se définit comme un processus social qui
amène une invention, c'est-à-dire un objet ou une pratique
nouvelle à devenir la nouvelle norme d'usage. Dans le contexte des
entreprises sur lequel travaille Alter, l'innovation, lorsqu'elle est aboutie,
amène ainsi à une inversion des normes. Mais en sortant la
description du processus d'innovation du contexte des entreprises qui est celui
de N. Alter, les caractéristiques qu'il attribue à l'innovation
peuvent être transposées à la question du
développement des réponses alternatives de mobilité. En
partant de ce constat, celui de la transformation d'une offre de banlieue en un
transport urbain, il est question avec (Buton 2009), d'historiciser un
phénomène, le contextualiser, le saisir en le rapportant à
ses conditions historique, sociale et économique d'évolution.
Pour ce qui est du passage des taxis collectifs woro-woro, offre de banlieue en
une offre urbaine, intercommunale, nous nous sommes attardé sur les
transformations économiques sociales et politiques qui affectent la
société ivoirienne et en particulier la ville d'Abidjan depuis
les années 1990.
Moins qu'un choix, la montée en puissance des woro-woro
et notamment des taxis intercommunaux dans la mobilité des populations,
relève avant tout d'un contexte où dominent divers
déterminants dont le principal est d'ordre économique. Il s'agit
de la crise économique qui a bouclé le cycle des années
1980 et qui s'est amplifiée en Côte d'Ivoire après la
dévaluation du FCFA de janvier 1994 avec la hausse
générale du prix des produits de consommation de
114
masse. En liaison avec ce contexte, il s'agit de voir comment,
les stratégies d'adaptation des groupes sociaux, des individus face
à la crise ont favorisé cette nouvelle forme de mobilité
dans la capitale économique ivoirienne et notamment à Yopougon,
la plus grande cité dortoir d'Abidjan. C'est en portant une attention
particulière aux trajectoires des acteurs, à leurs intentions
tout autant qu'au contexte qui s'impose à eux qu'il est possible de
comprendre comment cette offre a évolué. Qui sont les acteurs qui
sont impliqués dans l'émergence des woro-woro? Comment sont-ils
arrivés là?
2.1 Les années 1990 et les effets
de l'application des PAS
Dans le domaine des transports collectifs d'Abidjan, les
années 1990 se trouvent ponctuées d'épisodes historiques
à la constitution d'initiatives alternatives de mobilité. L'usage
des taxis collectifs communaux est encouragé, voire obligé par
une instance politique qui sollicite les collectivités locales dans la
mobilisation des ressources (Ori 1997). Ces épisodes montrent
particulièrement bien comment les usages spontanés collectifs des
taxis naissent en situation de crise financière, notamment durant les
périodes d'application des mesures liées aux PAS. Les
périodes de crises et de décentralisation qui ponctuent les
années 1980; 1990 et 2000 en Côte d'Ivoire, se
révèlent être des moments propices à
l'émergence d'usages collectifs de taxis dans les communes. Ainsi, c'est
à partir de la crise des années 1990 que les taxis collectifs
jusque là communaux sont utilisés par les populations
précarisées comme un transport urbain en remplacement des taxis
compteurs et des autobus de la SOTRA.
2.1.1 De l'application des PAS à l'affaiblissement
de l'action
publique
Au cours des deux dernières décennies, le
«consensus de Washington» (l'ensemble des politiques de
réforme libérale réclamées par le Fonds
Monétaire International et la Banque Mondiale) a connu sur la plupart
des continents une
115
croissance des critiques et des résistances. Dans les
années 1980, existaient des critiques hétérodoxes des
Programmes d'Ajustements Structurels (PAS) ainsi que des résistances
partielles et circonstancielles (Coussy 2006). Les PAS ont fait, à
l'origine, l'objet d'une forte opposition politique autant
qu'économique. L'application des PAS a entraîné une
désillusion sur le réel pouvoir de l'Etat. Trop lié
à quelques élites selon (Lulle and Le Bris 2000)
déjà privilégiées et dont les intérêts
vont à l'encontre de ceux du plus grand nombre. L'État est
perçu comme une entité lourde et peu efficace qui constitue un
obstacle au bon déploiement des mécanismes du marché,
considérés comme seuls aptes à promouvoir le
développement dans le cadre du processus de la globalisation. Dès
lors, la disparition de l'Etat est souhaitée ou, tout au moins, sa
réduction drastique.
|