3.3.3 L'apport des taxis compteurs
«fatigués»
Au cours de la période 1975-1985, il y a eu une
augmentation de la population et l'usage de la ville dû à
l'accroissement de l'espace urbain n'est supportable que grâce à
l'utilisation des taxis collectifs. Bien que l'offre de taxis locaux soit
insuffisante, la demande de mobilité a pu être satisfaite
grâce à l'introduction des «taxis compteurs
fatigués» qui ont joué un rôle essentiel dans la
satisfaction de la demande. De fait, les taxis compteurs
«fatigués» n'étaient rien d'autres que les taxis
compteurs de la ville d'Abidjan qui totalisaient un nombre important
d'années d'usage et dont l'état vétuste n'attirait plus
véritablement la clientèle parfois très exigeante sur
l'état mécanique du véhicule. Les taxis compteurs
«fatigués», sans antenne s'utilisaient alors comme des taxis
collectifs woro-woro ou taxis de relais au taxi compteur parallèlement
à leur rôle de transport individuel
51 Les chauffeurs en enlevant l'antenne
«taxi» se donne des chances de se camoufler et ainsi échapper
au contrôle de police. Ce qui leur permet de faire le
«woro-woro», un service de proximité avec des coûts
relativement bas.
100
et élitiste52. L'imagination des chauffeurs
de taxi compteurs qui s'improvisent «collectifs» à certaines
heures correspond, en réalité, à une innovation qui a
contribué au développement des taxis collectifs au niveau de
Yopougon comme le confirment les propos suivants:
«C'est du sabotage quoi. Les véhicules qui
étaient fatigués dans le compteur là, fatigués
là même, ne pouvant plus faire le compteur, ils venaient
maintenant pour ramasser les gens. Ils disaient 30 f, 30f. Donc on les a
nommés en même temps woro-woro. De 30 f, c'est venu à 50,
puis 75 f ainsi de suite. Le woro-woro avait la même couleur avec le taxi
compteur. Pour ne pas que les gars aient peur, croyant que c'est un compteur,
c'est les transporteurs eux-mêmes qui ont attribué ce nom.
Woro-woro lô! Seul ou à deux ou même à trois, ils
chargent. Lorsqu'ils font un aller-retour ça devient une ligne. Ceux qui
ont eu l'initiative, créent, un bureau, avisent les responsables qui
leur donnent des cartes et confirment la ligne» (Y. C. 12-02- 2013).
Progressivement et en relation avec la croissance de la ville,
les taxis ont étendu leur réseau de desserte aux
différents quartiers qui se sont créés. C'est
l'intensification du réseau qui a permis en 1980, avec l'arrivée
des autorités municipales à établir pour la
première fois, une réglementation spécifique aux taxis de
Yopougon. À la fin des années 1990, l'offre des autobus de la
SOTRA et celle des taxis compteurs éprouvent des difficultés
à satisfaire la demande sociale de mobilité. Ces insuffisantes
s'observent à deux échelles: celle de l'espace urbain central de
la ville d'Abidjan où circulent exclusivement les bus de la SOTRA et les
taxis compteurs et celle de certains territoires communaux où l'offre
formelle publique partage le marché des dessertes avec les transports
alternatifs. Mais le succès des taxis collectifs tiré de
l'expérience des communes de Marcory,
52 À Abidjan deux types de taxi circulent:
le Taxi compteur avec sa couleur rouge et le Taxi communal appelé
communément woro-woro. Se déplacer en taxi compteur est symbole
d'aisance car le prix affiché à l'écran après une
course est non négociable. Vous pouvez facilement dépenser au bas
mot entre 1500 (2,25 €) et 5000 f CFA (7,75 €) en fonction des
kilomètres que vous avez parcourus. Certaines distances fixes entre deux
quartiers peuvent faire l'objet d'un «arrangement» entre passagers et
chauffeurs. Là encore il faut souvent débrousser entre 1000 (1,50
€) et 2500 f CFA (3,75 €) pour regagner un point de la capitale. Ceux
qui ne peuvent pas se payer le luxe
«d'écraser la tomate» roule en woro-woro, la
deuxième catégorie de taxi Abidjanais.
101
Koumassi et Port-Bouët53, inspire les taxis
collectifs de Yopougon qui se sont constitués tout au long des
années 1980-1990.
53 Malgré l'application de la loi de
monopole, les communes, de Marcory et Koumassi et Port-Bouët faisaient
déjà l'objet d'une complémentarité des modes de
transports collectifs par une
autorisation spéciale de l'autorité centrale
d'alors (la ville d'Abidjan).
102
DEUXIEME PARTIE
Reconstitution du processus
d'évolution
des woro-woro
L'incorporation des woro-woro à la mobilité
interne des populations s'est faite de manière lente et suivant des
étapes qui correspondent à des moments de grands changements dans
le fonctionnement de la structure urbaine de Yopougon. On distingue trois
étapes principales: la première (1972-1975) est
caractérisée par la faible incidence de l'offre publique à
la mobilité des habitants de la cité naissante et par une timide
incorporation des initiatives individuelles à la mobilité
interne. La seconde débute dans les années 1980, elle est
marquée par la première irruption et diffusion des
véhicules privés (taxis) dans la mobilité interne et
externe des populations de Yopougon et par le caractère subsidiaire que
va avoir l'offre de l'Etat. La troisième étape (1990 à nos
jours), est marquée par une offre de woro-woro durablement
caractérisée par une expansion géographique dans les
dessertes. Comme l'indique le schéma suivant.
Début d'extension de Yopougon, apparition de nouveaux
quartiers et apparition de liaison internes de taxis (1972)
Extension urbaine incontrôlée, Yopougon devient
commune en (1980) et domination des taxis collectifs
Extension urbaine très limitée au centre (Yopougon
gare)
A partir de1992,déficit accentué de la SOTRA
Source: nos entretiens
Modes de transport complémentaires depuis le
début des années 1994
Autobus SOTRA+taxi compteur+ gbaka+ taxi communal+taxi
collectif intercommunal
Système mixe : autobus+ taxis villes+gbaka de 1969
à 1972
Apparition des taxis collectifs (woro-woro) intercommunaux sur
les lignes de la SOTRA et des taxis compteurs et se positionnent en
concurrents
1969 : première ligne de la Sotra en direction de
Yopougon
Autobus+taxi ville+ gbaka+taxi collectif (1972 à
1980)
Reconnaissance des taxis collectifs comme taxis
communaux
Des origines jusqu'à 1960: marche+ portage+ quelques
taxis villes rares+ des gbaka en partance pour Dabou
103
Schéma 3: Schéma d'évolution des
transports alternatifs de Yopougon
104
L'ensemble de ces transformations indiquées peuvent
être caractérisées à trois niveaux marqués
par des contextes spécifiques. Il s'agit notamment de l'introduction de
nouvelles couleurs et de nouvelles marques de véhicules à mettre
en rapport avec les politiques de communalisation et d'ouverture sur
l'extérieur initiées à partir des années 1980. Le
deuxième niveau d'analyse concerne les modifications dans l'occupation
de l'espace observées dans l'offre de ces taxis depuis le milieu des
années 1990. Quels sont les éléments d'analyse du passage
de l'offre communale des taxis collectifs à une offre intercommunale? Le
troisième et dernier élément d'analyse est relatif aux
modifications constatées dans la structure de fonctionnement de cette
offre de transport. Comment expliquer les transformations observées dans
les prix au niveau de ces transports? Qu'est-ce qui explique les
évolutions dans la typologie des acteurs de ce secteur?
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