3.1.3 Une offre formelle dominée par les liaisons
domicile-travail
Entre 1970 et 1980, l'expansion très forte de Yopougon
s'est réalisée sans que ne se créent à la
périphérie de cette cité dortoir des zones d'emploi
correspondantes. Ce qui rend la possibilité d'obtenir un emploi
salarié sur place incertaine. Les industriels ont
préféré investir les surfaces vides de Vridi et de
Koumassi, à cause de la proximité du port, du centre-ville et de
leur accès facile. La dissociation croissante qui s'est installée
entre les périmètres industriels au sud de l'agglomération
et Yopougon, l'une des plus grandes banlieues du nord de la ville d'Abidjan a
bouleversé la vie quotidienne de nombreux travailleurs. Du point de vue
fonctionnel, Yopougon reste fortement dépendante de l'ancien noyau
originel de la ville mis en place au temps colonial à partir de
1934:Plateau, Treichville, Adjamé. Pour Jean-Fabien Steck, c'est,
«l'incapacité de Yopougon à atténuer
les déséquilibres de l'agglomération abidjanaise n'est pas
seulement l'une des conséquences de l'échec relatif de son
développement économique. C'est aussi une des conséquences
de son peuplement par des classes moyennes, fonctionnaires d'État pour
beaucoup, et dont le travail restait situé dans le centre administratif
du Plateau, lequel est caractérisé par une très faible
population (un peu plus de 10 000 résidents) et par une forte
concentration d'emplois (85 000, un peu plus qu'à Yopougon). De
façon générale d'ailleurs, le projet
«yopougonnaute», initialement conçu, rappelons-le, avec un
souci de mixité sociale, a été
récupéré en partie par des citadins de longue date,
salariés moyens et aisés et travaillant pour beaucoup d'entre eux
au sud et au centre de l'agglomération, qui ont utilisé le
quartier dans le cadre de stratégies résidentielles et locatives
qui ne se justifiaient que par rapport à l'agglomération dans son
ensemble, au risque d'induire un biais dans la réalisation du projet
initial»(Steck 2008)
93
L'évolution des systèmes de déplacement
est fortement liée aux changements des modes de vie et aux
transformations des formes urbaines. Pour (Masson 2000),les villes se
développent sur des périphéries de plus en plus
lointaines. L'expansion urbaine de l'habitat et des activités
entraîne une modification de la géographie des déplacements
qui leur sont liés. Mais réciproquement, ce mouvement
d'étalement urbain a été en partie entretenu par
l'accroissement des facilités de transports à destination des
zones périphériques (acceptation des gbaka en 1977 dans les
déplacements à côté des bus et des taxis compteurs).
Le tableau suivant indique la typologie fonctionnelle des pôles urbains
de la ville d'Abidjan en 1977 et montre comment les territoires d'attraction
font écho directement à une offre en infrastructures de
transports.
Tableau 5:Situation des populations d'Abidjan et de
l'emploi en 1977
Zone
|
Populations
|
Emploi
|
Plateau
|
18 000
|
60 000
|
Treichville-Marcory
|
197 000
|
80 000
|
Adjamé
|
215 000
|
41 000
|
Koumassi-Zone 4
|
176 000
|
26 000
|
Banco-Yopougon
|
168 000
|
18 000
|
Abobo-Anoukoua
|
-
|
_
|
Kouté
|
206 000
|
11 000
|
Cocody-riviera
|
83 000
|
23 000
|
Vridi-Port-Bouët
|
76 000
|
17 000
|
Total
|
11 39 000
|
276 000
|
Source: Chegaray, cité par Bonnacieux in
«l'autre Abidjan: histoire d'un quartier oublié (page 65)»,
Fraternité-Matin, 27 février 1980.
Ceci montre que Yopougon est essentiellement une zone
résidentielle et véhicule une identité de quartier dortoir
qui lui est spécifique. Cela a rendu le fonctionnement de Yopougon
très dépendant des déplacements domicile-travail. Des
études menées pour comprendre les choix modaux des travailleurs
en matière de mobilité, accordent une importance
particulière aux autobus de la SOTRA. Le tableau suivant est extrait des
travaux de (Diahou 1981). Il indique clairement l'importance des liaisons
domicile-travail dans le fonctionnement de Yopougon.
94
Tableau 6: les moyens de transport
domicile-travail
Moyens de transport
|
Nombre d'usagers
|
Car d'entreprise
|
22 (20
|
%)
|
Bus
|
35(31,
|
82 %)
|
Bus ou gbaka
|
25 (22,
|
73 %)
|
Voitures particulières
|
17 (15,45 %)
|
Deux roues
|
2 (2,82
|
%)
|
Pieds
|
9(8,18
|
%)
|
Ensemble
|
110 (100, 00 %)
|
Source(Diahou 1981)
Pour rester collé à la demande sociale de
mobilité orientée pour l'essentiel vers les liaisons
domicile-travail, la SOTRA a entrepris des actions d'envergure. Le nombre des
bus de la SOTRA est passé de 200 en 1979 à 1075 en 1980. Des
bateaux bus amènent de citadins vers différents rivages
lagunaires. Des voies express ont été ouvertes (Bonnassieux
1987). Mais pour ce qui concerne le cas spécifique de Yopougon,
seulement 60 à 70 bus répartis sur 5 lignes ont été
affectés entre 1979-1980 (Diahou 1981). Ainsi, malgré ces
progrès accomplis, tous les maux liés aux problèmes de
déplacement des populations ne semblent pas avoir trouvé de
solutions. Dans «L'autre Abidjan: histoire d'un quartier
oublié», Alain Bonnassieux rapporte même la
situation d'un habitant de Yopougon, employé du port confronté
à la quotidienneté contraignante des déplacements et des
aléas des autobus de la SOTRA en 1978.
«Kouakou un jeune Baoulé de vingt-trois ans, est
manutentionnaire depuis 1978 dans un établissement agroalimentaire
situé sur la frange lagunaire de la presqu'île [...] Auparavant,
Kouakou est resté quelques mois à Yopougon chez son grand
frère. À ce moment, le jeune ouvrier se levait au plus tard
à 5 h, afin d'être à l'aube à l'arrêt de la
SOTRA où la foule de travailleurs venait s'agglutiner. Il lui fallait
jouer des coudes pour pénétrer dans le véhicule au milieu
des cris, des bousculades. Puis la traversée de la partie majeure de
l'agglomération s'effectuait dans l'atmosphère étouffante
d'un bus bondé.[...] En cas de retard, Kouakou ne pouvait guère
compter sur la compréhension d'un chef de personnel d'autant plus
rigoureux sur le respect des horaires que nombre de ses collègues
étaient confrontés au même problème»
(Bonnassieux 1987).
95
Les habitants de Yopougon se déplaçant
quotidiennement avec difficultés vers le sud de la ville d'Abidjan
deviennent les figures de la «défaite» de la capitale
ivoirienne en matière de transport public. Cette situation est mise
à profit d'abord par les gbaka, puis petit à petit par les taxis
collectifs.
|