2.2. Yopougon: naissance et dynamique d'une cité
dortoir à la périphérie d'Abidjan
La croissance de Yopougon remonte aux débuts des
années 1970, lorsque l'Etat a décidé de faire de cette
zone, le nouveau périmètre d'extension de la ville d'Abidjan.
Produit d'une croissance démographique soutenue, Yopougon est née
d'abord sous une forme de programme d'urbanisme planifiée avant de
connaître une urbanisation de masse. Actuellement, Yopougon se compose de
lotissements évolutifs et de nombreux programmes de logements
économiques construits par des sociétés d'Etat.
2.2.1. Yopougon, un faubourg avant 1970
Avant 1970, Yopougon n'était qu'un ensemble composite
de plantations, de quelques villages Ebrié et Akié comme le
montre la carte suivante.
Carte 1: Les différentes étapes de
l'évolution de Yopougon de 1969-1975
82
À cette époque, l'activité
socio-économique était essentiellement dominée par
l'agriculture et la pêche. Les principaux lieux d'habitation
n'étaient alors que les quelques villages dont les principaux
étaient Kouté38 et Andokoi. En ce temps-là et
selon Yapi Diahou,
«Les villages otagés par la croissance
urbaine souffrent d'un manque d'équipements de base: eau, route,
assainissement. Il y règne une insalubrité déconcertante.
Andokoi vit encore dans l'obscurité, l'électricité n'y est
pas encore présente. Les entreprises industrielles attendues sur la zone
industrielle arrivent lentement. Les terrains réservés aux
équipements collectifs ou classés zones de servitudes sont les
lieux de rabattement des patrons du secteur informel: couturiers,
ébénistes, soudeurs, marchands de briques et de sable,
garagistes, transporteurs, etc.» (Diahou 1981).
La typologie de Yopougon, le faubourg (insalubre,
broussailleux, sans eau et sans électricité) n'est pas
adaptée aux nouvelles fonctions urbaines que l'Etat entend lui confier.
Un changement morphologique sera nécessaire qui donnera lieu à
l'une des plus grandes cités dortoirs de la ville d'Abidjan.
2.2.2.Les prémices du peuplement de
Yopougon
L'urbanisation de Yopougon a commencé au milieu des
années soixante. Ce furent d'abord des extensions spontanées, qui
correspondaient alors à un étalement urbain non planifié,
où les acteurs principaux étaient les communautés
villageoises. Ensuite, pendant la décennie 1970, avec l'explosion
démographique de la ville d'Abidjan (Antoine, Dubresson et al.
1987)39, le projet d'extension de la ville d'Abidjan vers le Plateau
du Banco (Yopougon) devient un projet urbain d'envergure nationale.
Déjà le plan d'urbanisme de 1952 en intégrant Yopougon
comme secteur d'extension d'Abidjan, prévoyait un programme
d'intervention de l'Etat pouvant permettre de corriger les
déséquilibres de l'agglomération et
38 Les origines de Yopougon remontent au temps
où les guerres tribales opposaient les différents grands groupes
Ebrié. Après les litiges le groupe des Bidjan prennent
désormais le nom de Yopougon ce qui signifie
littéralement «Champs de AYopou». Yopougon vient donc
d'une déformation de «Ayopou gon». Ils créent
plus tard le village du nom de Yopougon Kouté (Kouté est la
contraction de Akouté qui désigne l'intérieur de la maison
en langue Ebrié).
39 Les taux de croissance sont de l'ordre de 11 % par
an et la population est multipliée par cinq
83
accompagner les perspectives de croissance
démographique futures (Diahou 1981; Steck 2008). À cet effet,
entre 1969 et 1974 sont entrepris de grands programmes d'aménagement
urbains dont l'exécution affecte encore la dynamique de Yopougon. Ainsi,
en 1972 parallèlement au premier programme immobilier de construction
d'habitats planifiés, l'Etat décide de l'implantation d'une vaste
zone industrielle. Plus de 100 entreprises y étaient situées
quinze ans après son inauguration, employant plus de 8 000
salariés. La zone industrielle de Yopougon compte aujourd'hui environ
300 entreprises, mais beaucoup souffrent de la situation actuelle de crise
consécutive à la guerre40. Cet élan de
modèle d'urbanisme qui se traduit par la prise en main par l'Etat de
l'ensemble de la production urbaine d'Abidjan se précise au niveau de
Yopougon par une nouvelle vague de construction d'habitats planifiés
entre 1974 et 1980. L'Etat devient promoteur avec les programmes des
opérations de logements sociaux construits par la SICOGI, SOGEFIHA, LEM,
SOPIM et SIDECI. Entre temps, en 1979 l'ouverture de la voie express ainsi que
la politique de communalisation41 de 1980, vont constituer les
véritables relais accélérateurs de l'expansion spatiale et
démographique de Yopougon. Ainsi au début des années 1980
Yopougon atteint les 223165 habitants contre seulement 6690 habitants en 1963
(Antoine, Dubresson et al. 1987). Cette expansion démographique a induit
une croissance de l'espace urbanisé. De 70 ha en 1969, l'espace
urbanisé a atteint 1185 ha en 1975. Cela a renforcé la position
de Yopougon comme l'une des cités dortoirs les plus importantes de la
ville d'Abidjan.
2.2.3.Yopougon, une fonction résidentielle
prépondérante
C'est à partir de 1971 avec l'avènement des
sociétés immobilières qui ont construit des quartiers tels
que Siporex, Sicogi, Sogefiha, Selmer...(Diahou 1981)
40 Zone industrielle de Yopougon : les impacts de
pillages dans le domaine économique sont directs et indirects, et ne
pourront faire l'objet de bilans complets qu'après plusieurs mois
d'évaluation. Mais une première estimation des pertes
économiques indirectes réalisées par les responsables des
300 entreprises qui opèrent sur cet important site se chiffre en
dizaines de milliards de FCFA. En effet, plusieurs entreprises d'enseignes
diverses mais surtout libanaises ont subi des pillages à grande
échelle, suite aux événements post-électoraux qui
ont secoué la Côte d'Ivoire. L'agro-industriel suisse,
Nestlé, déplore plusieurs dégâts matériels
notamment dans sa fabrique de bouillon (.Nord-Sud du mercredi 11 mai 2011).
41 Yopougon est érigée en commune
à partir d 1980 par la loi n°80-1180 du 17 octobre 1980 relative
à l'organisation municipale.
84
que Yopougon prend les allures de quartier moderne.
L'ouverture en 1979 de la voie express «Est-Ouest» a modifié
également l'allure de cette banlieue qui fut incluse dans la ville
d'Abidjan lors de la réforme communale en 1980 par le décret
n°80-1184 du 18 octobre 1980. Selon les estimations42, Yopougon
s'étend actuellement sur une superficie de 153,06 km2, avec une
population d'environ 1000000 d'habitants. Mais, le désengagement de
l'Etat dans la production urbaine dû à la crise a permis d'entamer
la viabilisation de vastes zones d'habitat. Cela a entraîné une
jonction entre la ville ancienne et les nouveaux fronts d'habitation, mais
également entre ceux-ci et les villages traditionnels d'autre part.
Ainsi, Yopougon, qui semblait représenter une troisième voie
(celle d'une forme de classe moyenne) entre l'urbanisation populaire
représentée par Abobo et l'urbanisation élitiste
symbolisée par Cocody et la Riviera, paraît devoir s'engloutir
dans la première43.
Le foncier constituait, pour les pouvoirs publics,
l'instrument principal de la maîtrise de l'expansion urbaine. La
conséquence majeure de cette situation est le développement d'une
production foncière et immobilière incontrôlée,
marquée par un respect de plus en plus aléatoire des normes
d'aménagement et par une multiplication des instances de gestion
urbaine. Cela s'est traduit par la propension à une urbanisation
désordonnée44. Depuis la fin des années 1990,
l'extension urbaine eut finalement raison des villages d'Azito, Béago,
Kouté, Lokoua, Niangon, etc. Aux quartiers anciens de Yopougon gare,
d'autres quartiers plus modernes (SIPOREX, SICOGI, SOGEFIHA, SIDECI, LEM, etc.)
se sont subitement surajoutés. Mais le plus souvent, les liaisons entre
les villages et les nouveaux quartiers sont telles que l'accessibilité
en autobus SOTRA s'avère
42 La mairie en 2010.
43 En prenant tout de suite une ampleur
considérable, elle exprima la force d'un besoin frustré (par la
nouvelle politique urbaine) : l'auto-promotion. Celle-ci donne satisfaction
à trois types d'acteurs : 1) les propriétaires coutumiers du sol,
qui lotissent leurs terres avant qu'elles ne soient
réquisitionnées par l'urbanisme officiel ; 2) les investisseurs
individuels, qui construisent des cours locatives, trouvant ici les parcelles
que la nouvelle politique urbaine ne distribue plus ; 3) les ménages les
plus jeunes, demandeurs de logements neufs et aux loyers plus accessibles. Au
sein des deux derniers groupes figure celui des ressortissants étrangers
stabilisés, qui ne peuvent plus accéder facilement aux produits
de l'urbanisme d'État. Quant à la crise, elle eut plutôt,
à Abobo, des effets bénéfiques. Elle diminua l'antagonisme
des pouvoirs publics, qui acceptèrent de régulariser le fait
accompli après l'avoir beaucoup combattu.
44
http://www.monde-diplomatique.fr/2007/12/GALY/15390
DÉCEMBRE 2007 Pages 16 et 17
85
globalement impossible. Au total, Yopougon représente
aujourd'hui est quartier structuré comme l'indique la carte suivante.
Carte 2: Yopougon de 1980 à nos jours
Source: travail adapté aux travaux de
Kassi
En quelques décennies, l'espace urbanisé s'est
considérablement étendu avec la création de nouveaux
quartiers périphériques. Pour relier les pôles
d'acticités, la marche ne suffisait plus. Plus une ville est
étalée, plus il est difficile de la
86
parcourir à pied ou à vélo et de mettre
en place un système de transports en commun efficace (Kaufmann 2002). La
solution aurait-elle dû passer par la promotion des deux roues comme
à Ouagadougou (Cusset 1997) ou à Cotonou (Noukpo and Agossou
2004)? Ici l'alternative fut trouvée dans la promotion des taxis
collectifs. Ceux-ci apparurent dans les 1970, mais se sont vite
développés en raison de l'accroissement de la demande sociale de
mobilité, elle-même favorisée par l'existence de voirie
urbaine d'un niveau acceptable.
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