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Socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: etude du cas des «woro-woro» de yopougon (abidjan, cote-d'ivoire)


par Yerehonon Jean Zirihi
Université Alassane Ouattara (Ex Université de Bouaké) - Doctorat  2015
  

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Chapitre 2

Croissance d'Abidjan et naissance de
Yopougon

La ville d'Abidjan doit sa croissance rapide au choix fait sous l'ère coloniale qui en a fait le centre administratif des territoires intérieurs (Antoine, Dubresson et al. 1987). Mais c'est véritablement au lendemain des travaux d'installation du port en 1950 que la ville d'Abidjan entame sa mutation. Premier pôle économique de la Côte d'Ivoire, la ville d'Abidjan s'est urbanisée suivant un schéma inspiré par la séparation des espaces autour de trois fonctions majeures. Il s'agit de la fonction administrative, de la fonction commerciale et industrielle et de la fonction résidentielle. L'espace urbain s'est ainsi spécialisé en deux principales zones. Une zone sud, y compris le Plateau (centre administratif et des affaires), qui constitue la zone d'emploi; une zone nord qu'on peut caractériser de zone dortoir. Du fait des contraintes géographiques du site et de la spécialisation de l'espace urbain, les principaux flux de déplacements s'effectuent suivant l'axe nord-sud, des quartiers périphériques nord vers les quartiers centraux sud. De 180000 habitants en 1960, cette population est passée en 1998 à 2 953018 habitants. Depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, les flux migratoires des populations des villes de l'intérieur vers la ville d'Abidjan ont doublé la population de cette ville.

2.1. Abidjan: naissance et évolution d'une ville
capitale subsaharienne

Comme la plupart des capitales africaines, Abidjan a été capitale de colonie, mais s'est urbanisée rapidement. La population a doublé entre les années 1920 et 1955, puis à nouveau entre 1955 et 1975. Ainsi, la ville d'Abidjan qui ne couvrait à l'origine qu'une superficie très restreinte de 1350 hectares et inscrite dans un rayon de 4 km en 1955 s'est propulsée au-delà de ses configurations coloniales. Le graphique suivant indique l'évolution de cette population entre 1910 et 2009.

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Graphique 1: Graphique de l'évolution de la population d'Abidjan de

1910 à 2009

Sources: Abidjan côté cours, Jeune Afrique (n°2576 du 23 au 29 mai 2010)

2.1.1.Abidjan, une ville coloniale qui s'étend rapidement

Pour comprendre le «phénomène abidjanais», il faut se référer, d'abord, à l'héritage colonial et à la mise en place de structures que les choix effectués à l'indépendance ont contribué à dynamiser. À la veille de la ruée «coloniale» consécutive à la conférence de Berlin (1885), le littoral ivoirien était certes fréquenté par des marchands européens, mais les activités commerciales y étaient beaucoup moins actives que sur les rivages d'Axim à Accra. Mais l'exploitation et la mise en valeur systématique de la Côte d'ivoire a nécessité l'installation d'une administration et la construction d'une capitale(Antoine, Dubresson et al. 1987)

En 1886, suite à une série d'épidémie de fièvre jaune (Wondji 1972), les colons français qui étaient installés à Bassam décidèrent de déménager vers un endroit plus salubre à «Adjamé Santey». Leur déménagement fut suivi par celui du

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gouverneur colonial qui créa en 1889, à cet endroit le comptoir de Bingerville, capitale de la colonie française de 1900 à 1934. Abidjan, toute proche et située sur le bord de la lagune n'doupé «lagune à l'eau chaude», future «lagune Ebrié», offrait plus d'espace et de plus grandes possibilités d'expansion commerciale. À partir de 1934, alors que la construction de Bingerville n'était pas encore achevée, Abidjan devient le principal pôle économique de la colonie et un relais privilégié pour la diffusion des produits européens vers l'arrière-pays. L'expression «Abidjan» désignerait le «pays des Bidza» c'est-à-dire l'espace occupé par une tribu (goto), de la population Ebrié (Niangoran-Bouah 1969) originaire, selon la tradition orale, des confins de la frontière contemporaine avec le Ghana d'aujourd'hui et considérés comme un groupe avancé des premiers Abron, arrivés dans l'actuelle Côte-d'Ivoire au XVIIème siècle. Après avoir séjourné dans la forêt, au-nord de l'agglomération actuelle, des migrants fondèrent leur premier village, Kokoli (Cocody), au bord de la lagune, puis essaimèrent en multipliant les établissements sur le plateau avancé entre les baies de Cocody et du Banco(actuel Yopougon), à Adjamé, Santé, Agban, Anoumabo, Attécoubé et Locodjoro.

Au recensement de 1936, l'effectif des Ebrié était de 6 474, soit 37% de la population totale de la ville et 39,5 % de la population africaine. La population actuelle de la capitale comprend très peu d'autochtones.Entre 1932 et 1950, la ville d'Abidjan a bénéficié de grands projets d'aménagement qui ont modifié considérablement sa démographie et sa superficie. Déjà dès le 16 mars 1896, une note rédigée par le gouverneur Binger, ventait le caractère exceptionnel du site lagunaire d'Abidjan:

«En face de petit Bassam, à environ 14 milles dans l'ouest de Grand Bassam35, la côte se coude au nord. Dans l'entonnoir formé par les eaux à ce coude il y a une telle profondeur que sur une zone d'un mille et demi de large environ, la sonde n'accuse pas de fond, ou en accuse un trop considérable pour y laisser tomber l'ancre.[...] À ce point , connu par les marins sous le nom de vallée profonde ou de trou sans fond, la plage de sable qui sépare la mer de la lagune atteint quelques centaines de mètres de largeur; à divers points elle est tellement rongée qu'elle a à peine 150 mètres de largeur. Supposons

35 La première capitale de la colonie française de Côte d'Ivoire (1893) fut Grand Bassam, ville côtière située à 50 km à l'ouest de l'actuelle Abidjan.

36 Cité par Claude Vidal et Jean-Paul Duchemin dans Chroniques du Sud n° 10, mai 1983, p. 6-7.

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que la mer continue à ronger ou que par des travaux l'on mette la lagune en communication avec la mer, nous aurions là une rade naturelle, toute trouvée, ayant une superficie considérable avec des fonds naturels variant de 7 à 13 mètres»36.

Le port d'Abidjan fut ouvert en 1950. Dès lors commença, à partir de la ville coloniale (conçue autour de 1930 pour l'avènement d'Abidjan comme chef-lieu de la colonie), une expansion territoriale d'une nouvelle ampleur. Mais dans les années 1970, une troisième poussée eut lieu, qui planta les jalons d'une explosion mégapolitaine sous la forme de trois villes nouvelles: Abobo au nord, Yopougon à l'ouest, la Riviera à l'est. Dans les années 1990, la dimension mégapolitaine s'installa, enrobant peu à peu les trois villes nouvelles au point de les relier entre elles et à la ville mère. On distinguera donc quatre périmètres emboîtés: la ville coloniale, la ville portuaire, les villes nouvelles, la mégapole.

2.1.2.Abidjan, une ville influencée par l'activité portuaire

(1950-1970)

Comme la plupart des villes coloniales françaises, elle commence par le Plateau, c'est-à-dire la ville européenne (bâtie sur une presqu'île dominant la lagune), devenue aujourd'hui l'hyper-centre (administration, affaires, architecture verticale). Au sud, sur une île lagunaire, Treichville. C'est le premier quartier organisé pour la population africaine. Certes, la ville d'Abidjan ne se réduit pas au boom économique engendré par l'ouverture du port en 1950, mais elle commence par là. Installé en bordure de Treichville, le port a engendré le quartier de zone industrielle. Ensuite Treichville se dédouble avec Koumassi pour accueillir la majorité des salariés du port et de l'industrie. Dans le même temps Adjamé et le Plateau se dédoubleront également. Pendant qu'Adjamé s'empare des collines qui l'entourent (Bromakoté, Attiékoubé, etc.), le Plateau en essaime sa fonction résidentielle sur la presqu'île voisine, Cocody. Mais, c'est véritablement l'indépendance (1960) qui introduit les germes de trois nouvelles dimensions (la bourgeoisie nationale, les programmes d'habitat social, l'auto-promotion

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clandestine) qui s'exprimeront pleinement dans les trois villes nouvelles du troisième périmètre.

2.1.3.L'extension d'Abidjan vers de nouveaux sites (1970-

1990)

Le premier site débute à l'est sur le front lagunaire avec la Riviera comme un prolongement de Cocody. La crise des années 1980 révisa sérieusement la maquette de cette ville, mais n'abolit pas l'orientation générale. Le deuxième site d'extension (Yopougon) eut droit à une planification concertée. Yopougon fut le champ de démonstration en vraie grandeur des ambitions présidentielles de l'habitat social avec les sociétés immobilières parapubliques (Diahou 1981; Steck 2008). Succédant à des réalisations dispersées dans la ville37, on peut cependant dire que Yopougon prend le relais de Treichville comme habitat privilégié des salariés, ainsi que comme creuset de la citadinité centrale. La crise, ici aussi, a perturbé les programmes, mais seulement au-delà de la mi-course. Le troisième site d'extension (Abobo) n'eut droit qu'à une planification de rattrapage, car elle fut le produit d'une urbanisation semi-clandestine. Abobo-Gare est considérée en 1976 selon (Antoine, Dubresson et al. 1987), beaucoup plus qu'aujourd'hui, comme une banlieue marginale particulièrement absente des grands projets urbains. C'est l'envers du modèle d'urbanisme ivoirien, qui compte pourtant environ 250000 habitants en 1977, soit près d'un quart de la population d'Abidjan. L'intégration de cette banlieue à la ville moderne constitue donc un enjeu essentiel. Pour (Haeringer 2000), Abobo est le clone d'Adjamé, greffée comme elle sur une gare du chemin de fer (10 km plus au nord), et marquée également par les populations marchandes venues des savanes ivoiriennes ou sahéliennes.

37 Les nouveaux arrivants s'installent sans titre avec une simple autorisation des chefs coutumiers des villages voisins. Les parcelles ne font pas à cette époque l'objet de transactions monétaires, mais d'un cadeau symbolique, et l'occupation est souvent réalisée sans plan, en gagnant sur la forêt. Les implantations sont déterminées par la proximité ou la facilité d'accès aux zones d'emploi.

Kouté Village

Andokoi

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery