B- Les marges de manoeuvre du gestionnaire selon le
nouveau cadre des finances
La notion de la fongibilité renvoie à la
possibilité de redéployer les économies
réalisées entre différents post. Dans le cadre de la LOLF
en France perçue comme une expérience avancée, de
nombreuses marges de manoeuvre ont été prévues au profit
des RP notamment en termes d'allégement du contrôle financier et
du fléchage des crédits. D'autres améliorations ont
visé plus spécifiquement la gestion des ressources humaines via
l'inclusion de la masse salariale dans le budget global et la simplification de
la structure des corps. Toutefois, l'innovation majeure de la LOLF consistait
en la mise en place du principe de la fongibilité
asymétrique167 qui devait permettre aux RP de disposer de
marges suffisantes pour gérer les services opérationnels centraux
ou déconcentrés. Or, le bilan dressé dans le rapport de la
Cour des Comptes sur la période en montre le quasi-abandon comme
l'indiquent les données168. Cette expérience a le
mérite d'être évoquée ici et pourrait donc permettre
à la RCA dans son début de la mise en oeuvre de son nouveau cadre
des finances publiques relatives aux exigences de la nouvelle gouvernance
financière.
Plusieurs raisons expliquent ce constat. Tout d'abord, la
nature même de la fongibilité, ensuite, son caractère
asymétrique, et enfin la limite ou la portée. En effet, la
rigidité qu'elle impose pour la gestion de la masse salariale vient
renforcer les contraintes existantes en matière de gestion des
ressources humaines. Le rapport de la Cour des Comptes mentionne à titre
d'exemple le cas du ministère des affaires étrangères
où la masse salariale des expatriés est encore
gérée par l'administration centrale et non par les ambassades tel
que l'implique la LOLF. D'autre part, le contexte budgétaire a
motivé de nouveaux contrôles et visas préalables
entraînant par là même des lourdeurs
supplémentaires.
En réponse, les juges de la Cour des Comptes
mentionnent ainsi : « des garde-fous puissants ont été
posés pour limiter cette pratique : le Décret du 27 janvier 2005
prévoit ainsi un avis préalable du contrôle financier sur
tout mouvement de fongibilité asymétrique. Les
circulaires
167 La fongibilité renvoie à la
possibilité de redéployer les économies
réalisées entre différents postes de dépenses dans
la limite des enveloppes budgétaires autorisées. Elle est
asymétrique dans la mesure où les économies
réalisées sur des dépenses de fonctionnement ou
d'investissement ne peuvent être redéployées en
dépenses de masse salariale, seul l'inverse est possible.
168 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P.
70. P.115
140
successives du ministère du budget ont prescrit en
outre un accord préalable du responsable de programme ou du directeur
des affaires financières. Cette autorisation préalable est
reprise dans de nombreuses chartes de gestion, par lesquelles les directions
des affaires financières se voient confier un pouvoir d'instruction et
de décision dans ce domaine ».169
Cette absence de marges de manoeuvre se répercute
essentiellement en termes de capacités des RP à animer la gestion
des échelons inférieurs en l'occurrence les responsables de
budgets opérationnels de programme et d'unités
opérationnelles. En outre, leurs capacités à
déléguer se trouvent également réduites comme le
précise le rapport de la Cour des Comptes que : « les
réticences à déléguer des capacités
d'initiative au niveau local s'expliquent en partie par le sentiment des
responsables de programme de ne pas disposer eux-mêmes de prise
suffisante sur la gestion de leurs moyens. Le niveau des dépenses
obligatoires limite leurs marges de manoeuvre, sans que ce constat soit en
aucune façon lié à la mise en oeuvre de la LOLF
»170.
Cette incapacité est par ailleurs renforcée par
des difficultés organisationnelles. En effet, les BOP et UO traduisent
dans les faits l'héritage des structures administratives verticales et
non pas une logique de déclinaison descendante telle que l'implique la
LOLF. De nombreux cas sont ainsi cités dans le rapport de la Cour des
Comptes de France, « dans son référé de mai 2008
relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation, et à
l'action des services de l'État dans les régions et
départements, la Cour avait jugé que les responsables se
multiplient, mais les responsabilités se diluent ; la territorialisation
s'accroît, mais par juxtaposition de maillons de chaînes verticales
».171 Et « ces différences s'expliquent en
partie par les décalages plus ou moins marqués entre les
unités de gestion budgétaires (programmes, budgets
opérationnels de programme et unités opérationnelles) et
les organisations. En effet, au ministère de la défense, chaque
responsable au niveau déconcentré ne gère qu'un seul
budget opérationnel de programme et n'a donc qu'un dialogue unique
à mener avec son responsable de programme. Dans le cas des directions
régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement
par exemple, les
169 Idem.
170 Ibid, p. 120
171 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P.
65
141
directeurs régionaux sont les interlocuteurs de
quatre responsables de programme, limitant de fait la possibilité
d'articuler chaque dialogue autour d'un nombre important de réunions
»172.
Au sujet de la Reddition des Comptes et
Sanctions, le choix de confier la responsabilité de la
présentation des résultats devant le Parlement aux RP. Selon les
textes de la réforme, les RP présentent et justifient les
résultats atteints devant leur Ministre de rattachement mais
également devant le Parlement173. Ceci suppose donc qu'il
existe une certaine cohérence entre les critères utilisés
par le Parlement, qui évalue l'atteinte des objectifs des politiques
publiques, et ceux utilisés par le Ministre, qui évalue
l'atteinte des objectifs des crédits délégués dans
le cadre du programme.
Or, comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes, les
lettres de mission des RP témoignent : « du manque de
cohérence entre objectifs et indicateurs fixés par les ministres
et objectifs présentés au Parlement dans le cadre des Projets
Annuels de Performances. (...) Cette absence d'articulation conduit dans les
faits les responsables à privilégier les objectifs et les cibles
définis par leur supérieur hiérarchique, le ministre, dans
leurs lettres de mission, plutôt que ceux présentés au
Parlement dans les documents budgétaires »174.
Les raisons de ce manque de cohérence remontent
à l'élaboration de la nomenclature LOLF en France, lorsque le
Gouvernement a opté pour une démarche ascendante, contrairement
aux avis des parlementaires qui préconisaient, pour éviter la
reproduction des organigrammes ministériels, que les missions soient
définies selon les politiques publiques et déclinées par
programmes et actions. Or, malgré de nombreux aménagements, la
logique reste davantage orientée selon les périmètres
ministériels et administratifs et non selon les objectifs des politiques
publiques. Le rapport de la Cour des Comptes cite ainsi l'exemple du programme
de l'enseignement du second degré public de la mission «
enseignement scolaire » qui regroupe les moyens alloués aux
collèges et aux lycées alors que l'objectif politique du socle
commun des compétences et des connaissances implique que les moyens des
collèges soient regroupés dans le même programme que ceux
de l'école primaire.
172 Ibid, p.112
173 La fongibilité asymétrique technique
correspond aux économies réalisées sur des dépenses
de personnel et affectées à d'autres dépenses.
174 COUR DES COMPTES, (2011). P. 162
142
L'insuffisance des incitations pour rendre compte de
l'atteinte des objectifs des programmes par les RP est renforcée par
ailleurs par un certain désintérêt de la part des
parlementaires eux-mêmes. De nombreuses raisons sont
évoquées dans le rapport de la Cour des comptes mentionne que
l'abondance de l'information et les documents à analyser, ensuite, le
calendrier budgétaire inadapté, en outre, l'abondance des
indicateurs et leur faible durée de vie, enfin, de manière
générale un moindre intérêt pour les questions de
performance par rapport aux questions de moyens.
Ceci est mentionné à plusieurs reprises dans le
rapport de la Cour des Comptes que : « L'analyse des auditions
réalisées depuis 2006 par le Parlement ainsi que l'enquête
réalisée par la Cour auprès de l'ensemble des responsables
de programme présente une situation contrastée notamment les
auditions interviennent paradoxalement davantage en amont de l'exécution
budgétaire, au moment de l'examen du projet de loi de finances, qu'a
posteriori au moment de l'examen des résultats présentés
dans le projet de loi de règlement175 ».
Par ailleurs, les auditions devant les commissions sont rares. Elles sont
plutôt pratiquées par les rapporteurs spéciaux,
c'est-à-dire par chaque membre de la commission des finances
chargé d'examiner les crédits relevant de tel ou tel ministre.
Au vue du Parlement, il n'existe donc pas pour les RP
d'incitations à rendre compte, d'autant plus que le Parlement ne dispose
d'aucun pouvoir de sanction à l'égard des RP. La loi ne
prévoit pas en effet de dispositifs et n'accorde aucune autorité
au Parlement en la matière. Seul le Ministre est responsable, mais
essentiellement devant le Premier Ministre et devant le Président de la
République. Ainsi le soulignent les rapporteurs de la Cour des Comptes :
« de manière concrète, l'audition des responsables de
programme n'a aucune conséquence directe sur eux puisque le Parlement
n'a aucune autorité sur le responsable de programme. Celui-ci ne peut
être
175 Le nombre de pages des Projets Annuels de Performances,
annexés au projet de loi de finances, a ainsi évolué de 42
% passant de 5260 en 2006 à 7489 en 2011 (p. 31). Cour des Comptes,
(2011). « La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de
finances (LOLF). Un bilan pour de nouvelles perspectives ». Rapport
au Gouvernement - novembre 2011. P. 81 (p. 81-82)
143
sanctionné que par le ministre auquel il est
rattaché. L'audition du responsable de programme sert donc à
éclairer le Parlement sur la responsabilité politique du ministre
»176.
En outre, cette lacune en matière d'incitations
à rendre compte et de dispositifs de sanction, positive ou
négative, est également vraie dans le lien de subordination qui
lie le ministre au RP. Il n'existe en effet pas de dispositifs de sanction en
lien direct avec les performances réalisées dans le cadre des
programmes. Le Décret du 21 avril 2006 qui instaure une
rémunération à la performance s'adresse aux directeurs
d'administration et ne cible pas les fonctions de RP, bien que les deux
fonctions se confondent souvent. Le rapport de la Cour des Comptes pointe ainsi
les limites de ce dispositif et souligne : « une implication
inégale selon les ministères, avec une forte
hétérogénéité dans les lettres des missions
des ministres, lorsqu'elles existent, en termes de formalisation, de
précision et d'objectivation des résultats à atteindre
».177 D'autant qu'il n'existe pas de consensus sur la
logique de l'évaluation en elle-même : « la
difficulté à trancher entre une approche visant à
sanctionner la réalisation d'objectifs prédéfinis et une
autre, consistant à apprécier de manière plus individuelle
les compétences managériales du cadre dirigeant. Il n'existe pas
formellement de répartition entre ces deux volets de
l'appréciation de la performance »178.
Plusieurs facteurs convergent ainsi pour complexifier
l'exercice de la responsabilité managériale par les RP et
réduire leur marge de manoeuvre. Nous évoquons d'abord la
multiplication des niveaux de décision en termes de choix des
dépenses à engager (Ministres, SG, DAF/DR), puis, l'insuffisance
des marges de manoeuvre gestionnaires pour animer les services
opérationnels centraux ou déconcentrés. Ensuite, le
rôle limité du Parlement en matière d'évaluation des
résultats et l'insuffisance des dispositifs de sanctions positives ou
négatives, voire leur absence. En outre, les conséquences de ces
facteurs ont été amplifiées par le contexte
économique difficile qui a accompagné la mise en oeuvre de la
réforme. Enfin, les difficultés budgétaires et
financières de l'État ont en effet compromis les promesses faites
en termes d'assouplissement en contrepartie de l'exigence de la
responsabilité et de reddition des comptes.
176 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P.
81
177 Ibid, p.180
178 Idem.
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