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La nouvelle gouvernance financière en zone CEMAC et les droits budgétaire et comptable de la république centrafricaine


par Serge Steeve Thierry TENGUEDET
Université de Yaoundé 2 - Master 2 Recherche en Droit Public 2018
  

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B- Les marges de manoeuvre du gestionnaire selon le nouveau cadre des finances

La notion de la fongibilité renvoie à la possibilité de redéployer les économies réalisées entre différents post. Dans le cadre de la LOLF en France perçue comme une expérience avancée, de nombreuses marges de manoeuvre ont été prévues au profit des RP notamment en termes d'allégement du contrôle financier et du fléchage des crédits. D'autres améliorations ont visé plus spécifiquement la gestion des ressources humaines via l'inclusion de la masse salariale dans le budget global et la simplification de la structure des corps. Toutefois, l'innovation majeure de la LOLF consistait en la mise en place du principe de la fongibilité asymétrique167 qui devait permettre aux RP de disposer de marges suffisantes pour gérer les services opérationnels centraux ou déconcentrés. Or, le bilan dressé dans le rapport de la Cour des Comptes sur la période en montre le quasi-abandon comme l'indiquent les données168. Cette expérience a le mérite d'être évoquée ici et pourrait donc permettre à la RCA dans son début de la mise en oeuvre de son nouveau cadre des finances publiques relatives aux exigences de la nouvelle gouvernance financière.

Plusieurs raisons expliquent ce constat. Tout d'abord, la nature même de la fongibilité, ensuite, son caractère asymétrique, et enfin la limite ou la portée. En effet, la rigidité qu'elle impose pour la gestion de la masse salariale vient renforcer les contraintes existantes en matière de gestion des ressources humaines. Le rapport de la Cour des Comptes mentionne à titre d'exemple le cas du ministère des affaires étrangères où la masse salariale des expatriés est encore gérée par l'administration centrale et non par les ambassades tel que l'implique la LOLF. D'autre part, le contexte budgétaire a motivé de nouveaux contrôles et visas préalables entraînant par là même des lourdeurs supplémentaires.

En réponse, les juges de la Cour des Comptes mentionnent ainsi : « des garde-fous puissants ont été posés pour limiter cette pratique : le Décret du 27 janvier 2005 prévoit ainsi un avis préalable du contrôle financier sur tout mouvement de fongibilité asymétrique. Les circulaires

167 La fongibilité renvoie à la possibilité de redéployer les économies réalisées entre différents postes de dépenses dans la limite des enveloppes budgétaires autorisées. Elle est asymétrique dans la mesure où les économies réalisées sur des dépenses de fonctionnement ou d'investissement ne peuvent être redéployées en dépenses de masse salariale, seul l'inverse est possible.

168 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P. 70. P.115

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successives du ministère du budget ont prescrit en outre un accord préalable du responsable de programme ou du directeur des affaires financières. Cette autorisation préalable est reprise dans de nombreuses chartes de gestion, par lesquelles les directions des affaires financières se voient confier un pouvoir d'instruction et de décision dans ce domaine ».169

Cette absence de marges de manoeuvre se répercute essentiellement en termes de capacités des RP à animer la gestion des échelons inférieurs en l'occurrence les responsables de budgets opérationnels de programme et d'unités opérationnelles. En outre, leurs capacités à déléguer se trouvent également réduites comme le précise le rapport de la Cour des Comptes que : « les réticences à déléguer des capacités d'initiative au niveau local s'expliquent en partie par le sentiment des responsables de programme de ne pas disposer eux-mêmes de prise suffisante sur la gestion de leurs moyens. Le niveau des dépenses obligatoires limite leurs marges de manoeuvre, sans que ce constat soit en aucune façon lié à la mise en oeuvre de la LOLF »170.

Cette incapacité est par ailleurs renforcée par des difficultés organisationnelles. En effet, les BOP et UO traduisent dans les faits l'héritage des structures administratives verticales et non pas une logique de déclinaison descendante telle que l'implique la LOLF. De nombreux cas sont ainsi cités dans le rapport de la Cour des Comptes de France, « dans son référé de mai 2008 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation, et à l'action des services de l'État dans les régions et départements, la Cour avait jugé que les responsables se multiplient, mais les responsabilités se diluent ; la territorialisation s'accroît, mais par juxtaposition de maillons de chaînes verticales ».171 Et « ces différences s'expliquent en partie par les décalages plus ou moins marqués entre les unités de gestion budgétaires (programmes, budgets opérationnels de programme et unités opérationnelles) et les organisations. En effet, au ministère de la défense, chaque responsable au niveau déconcentré ne gère qu'un seul budget opérationnel de programme et n'a donc qu'un dialogue unique à mener avec son responsable de programme. Dans le cas des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement par exemple, les

169 Idem.

170 Ibid, p. 120

171 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P. 65

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directeurs régionaux sont les interlocuteurs de quatre responsables de programme, limitant de fait la possibilité d'articuler chaque dialogue autour d'un nombre important de réunions »172.

Au sujet de la Reddition des Comptes et Sanctions, le choix de confier la responsabilité de la présentation des résultats devant le Parlement aux RP. Selon les textes de la réforme, les RP présentent et justifient les résultats atteints devant leur Ministre de rattachement mais également devant le Parlement173. Ceci suppose donc qu'il existe une certaine cohérence entre les critères utilisés par le Parlement, qui évalue l'atteinte des objectifs des politiques publiques, et ceux utilisés par le Ministre, qui évalue l'atteinte des objectifs des crédits délégués dans le cadre du programme.

Or, comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes, les lettres de mission des RP témoignent : « du manque de cohérence entre objectifs et indicateurs fixés par les ministres et objectifs présentés au Parlement dans le cadre des Projets Annuels de Performances. (...) Cette absence d'articulation conduit dans les faits les responsables à privilégier les objectifs et les cibles définis par leur supérieur hiérarchique, le ministre, dans leurs lettres de mission, plutôt que ceux présentés au Parlement dans les documents budgétaires »174.

Les raisons de ce manque de cohérence remontent à l'élaboration de la nomenclature LOLF en France, lorsque le Gouvernement a opté pour une démarche ascendante, contrairement aux avis des parlementaires qui préconisaient, pour éviter la reproduction des organigrammes ministériels, que les missions soient définies selon les politiques publiques et déclinées par programmes et actions. Or, malgré de nombreux aménagements, la logique reste davantage orientée selon les périmètres ministériels et administratifs et non selon les objectifs des politiques publiques. Le rapport de la Cour des Comptes cite ainsi l'exemple du programme de l'enseignement du second degré public de la mission « enseignement scolaire » qui regroupe les moyens alloués aux collèges et aux lycées alors que l'objectif politique du socle commun des compétences et des connaissances implique que les moyens des collèges soient regroupés dans le même programme que ceux de l'école primaire.

172 Ibid, p.112

173 La fongibilité asymétrique technique correspond aux économies réalisées sur des dépenses de personnel et affectées à d'autres dépenses.

174 COUR DES COMPTES, (2011). P. 162

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L'insuffisance des incitations pour rendre compte de l'atteinte des objectifs des programmes par les RP est renforcée par ailleurs par un certain désintérêt de la part des parlementaires eux-mêmes. De nombreuses raisons sont évoquées dans le rapport de la Cour des comptes mentionne que l'abondance de l'information et les documents à analyser, ensuite, le calendrier budgétaire inadapté, en outre, l'abondance des indicateurs et leur faible durée de vie, enfin, de manière générale un moindre intérêt pour les questions de performance par rapport aux questions de moyens.

Ceci est mentionné à plusieurs reprises dans le rapport de la Cour des Comptes que : « L'analyse des auditions réalisées depuis 2006 par le Parlement ainsi que l'enquête réalisée par la Cour auprès de l'ensemble des responsables de programme présente une situation contrastée notamment les auditions interviennent paradoxalement davantage en amont de l'exécution budgétaire, au moment de l'examen du projet de loi de finances, qu'a posteriori au moment de l'examen des résultats présentés dans le projet de loi de règlement175 ». Par ailleurs, les auditions devant les commissions sont rares. Elles sont plutôt pratiquées par les rapporteurs spéciaux, c'est-à-dire par chaque membre de la commission des finances chargé d'examiner les crédits relevant de tel ou tel ministre.

Au vue du Parlement, il n'existe donc pas pour les RP d'incitations à rendre compte, d'autant plus que le Parlement ne dispose d'aucun pouvoir de sanction à l'égard des RP. La loi ne prévoit pas en effet de dispositifs et n'accorde aucune autorité au Parlement en la matière. Seul le Ministre est responsable, mais essentiellement devant le Premier Ministre et devant le Président de la République. Ainsi le soulignent les rapporteurs de la Cour des Comptes : « de manière concrète, l'audition des responsables de programme n'a aucune conséquence directe sur eux puisque le Parlement n'a aucune autorité sur le responsable de programme. Celui-ci ne peut être

175 Le nombre de pages des Projets Annuels de Performances, annexés au projet de loi de finances, a ainsi évolué de 42 % passant de 5260 en 2006 à 7489 en 2011 (p. 31). Cour des Comptes, (2011). « La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P. 81 (p. 81-82)

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sanctionné que par le ministre auquel il est rattaché. L'audition du responsable de programme sert donc à éclairer le Parlement sur la responsabilité politique du ministre »176.

En outre, cette lacune en matière d'incitations à rendre compte et de dispositifs de sanction, positive ou négative, est également vraie dans le lien de subordination qui lie le ministre au RP. Il n'existe en effet pas de dispositifs de sanction en lien direct avec les performances réalisées dans le cadre des programmes. Le Décret du 21 avril 2006 qui instaure une rémunération à la performance s'adresse aux directeurs d'administration et ne cible pas les fonctions de RP, bien que les deux fonctions se confondent souvent. Le rapport de la Cour des Comptes pointe ainsi les limites de ce dispositif et souligne : « une implication inégale selon les ministères, avec une forte hétérogénéité dans les lettres des missions des ministres, lorsqu'elles existent, en termes de formalisation, de précision et d'objectivation des résultats à atteindre ».177 D'autant qu'il n'existe pas de consensus sur la logique de l'évaluation en elle-même : « la difficulté à trancher entre une approche visant à sanctionner la réalisation d'objectifs prédéfinis et une autre, consistant à apprécier de manière plus individuelle les compétences managériales du cadre dirigeant. Il n'existe pas formellement de répartition entre ces deux volets de l'appréciation de la performance »178.

Plusieurs facteurs convergent ainsi pour complexifier l'exercice de la responsabilité managériale par les RP et réduire leur marge de manoeuvre. Nous évoquons d'abord la multiplication des niveaux de décision en termes de choix des dépenses à engager (Ministres, SG, DAF/DR), puis, l'insuffisance des marges de manoeuvre gestionnaires pour animer les services opérationnels centraux ou déconcentrés. Ensuite, le rôle limité du Parlement en matière d'évaluation des résultats et l'insuffisance des dispositifs de sanctions positives ou négatives, voire leur absence. En outre, les conséquences de ces facteurs ont été amplifiées par le contexte économique difficile qui a accompagné la mise en oeuvre de la réforme. Enfin, les difficultés budgétaires et financières de l'État ont en effet compromis les promesses faites en termes d'assouplissement en contrepartie de l'exigence de la responsabilité et de reddition des comptes.

176 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P. 81

177 Ibid, p.180

178 Idem.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault