Section 2 : Une responsabilité
managériale du Responsable de programme.
Du fait de leur positionnement, les RP sont au centre de la
démarche de gestion par les résultats instaurée par le
nouveau cadre des finances publiques. Toutefois, comme pour beaucoup d'autres
objectifs attendus de la réforme, leur rôle et la
responsabilité managériale qui leur ait confiée ne
semblent pouvoir s'affirmer. Dans cette deuxième partie nous nous
intéressons plus spécifiquement aux marges de manoeuvre dont
disposent ces acteurs budgétaires clés. Nous mettons ainsi
l'accent sur trois principaux facteurs limitatifs de leur exercice de la
responsabilité managériale (Paragraphe 1), puis
l'implication de la réforme dans la gestion publique et réforme
de l'État (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Précisions méthodologiques du
nouveau cadre des finances publiques
Nous mettons ainsi l'accent sur trois principaux facteurs
limitatifs de leur exercice de la responsabilité managériale
notamment, la faible implication dans le processus de prise de décision
budgétaire en raison du chevauchement des périmètres
d'action, de compétences et d'autorité. Ensuite, l'insuffisance
des marges de manoeuvre pour la gestion des ressources au niveau des
échelons inférieurs et enfin, les lacunes en matière
d'incitations à rendre compte et à faire l'objet de sanctions.
Notre étude est basée sur une recherche
documentaire aux fins de corroborer les pratiques dans les Etats à celle
de la RCA. Nos sources privilégiées sont des documents et
rapports publics qui restituent les résultats des travaux
préparatoires à l'élaboration de la réforme LOLF en
France et ceux de l'UEMOA et ceux concernant les différentes
étapes et dimensions de sa mise en oeuvre. Parmi ces documents
consultés, le rapport bilan global de la réforme
réalisé par la Cour des Comptes de la France, qui nous a servis
de source documentaire principale, enrichie par d'autres rapports de la Cour
des Comptes et par des rapports parlementaires dans la zone de l'UEMOA. Ce
choix s'explique par le fait qu'il s'agit d'un rapport qui établit le
bilan de cinq années de mise en
135
oeuvre du nouveau cadre des finances publiques dans ces pays
pris en exemple et qui traite de l'ensemble des dimensions de la réforme
sur le plan budgétaire, financier et comptable, mais également
sur le plan politique et organisationnel. Il inclut ainsi une analyse
détaillée et étayée par des faits concernant les
difficultés et les avancées de la réforme.
Il convient néanmoins de préciser que, parmi les
données figurant dans les rapports consultés, seules ont
été analysées les données relatives à la
question de la responsabilité et au rôle des RP. Ce travail
d'analyse a été entrepris selon une démarche progressive,
procédant par itération entre sélection d'informations,
exemples et faits pertinents pour répondre à notre question de
recherche, et à l'interprétation selon le cadre conceptuel
mobilisé. Ont ainsi été identifiés comme
éléments pertinents, les faits, informations et exemples
permettant d'éclairer les trois points suivants et communs aux nouveaux
cadres des finances publiques. Il s'agit d'abord :
1) du rôle des RP dans les processus de prise de
décision budgétaire ; ensuite,
2) des marges d'action dont ils disposent pour la gestion des
ressources financières et humaines ; et enfin,
3) leurs capacités à rendre compte et à
faire l'objet de sanctions.
A ces trois points nous avons fait correspondre trois
variables d'analyse. Le rôle en matière de décision a
été analysé en s'intéressant aux
périmètres d'actions des différents acteurs intervenant
dans le processus de décision budgétaire. Ensuite, les marges
d'action pour la gestion des ressources ont été analysées
selon la capacité des RP à animer les services
opérationnels centraux et déconcentrés dépendant de
leur autorité. Enfin, les capacités à rendre compte et
à faire l'objet de sanctions ont été analysées au
regard de l'existence d'incitations et de dispositifs reliant les performances
des programmes au traitement individuel des RP. Il convient toutefois, de
souligner que notre recherche documentaire comporte des limites en raison de la
mobilisation de données indirectes comme seule source. Cependant, les
données analysées présentent un degré de
fiabilité acceptable dans la mesure où elles fournissent des
informations, des exemples et constats précis et en quantité
significative pour permettre de répondre à la question de
recherche et d'appréhender la problématique traitée aux
fins d'aider les acteurs budgétaires de la République
centrafricaine de mieux progresser dans leur jeune expérience de
réformes des finances publiques.
136
Cela étant, nous examinerons le processus de prise de
décision budgétaire (A), puis les marges de
manoeuvre du gestionnaire selon le nouveau cadre des finances
(B).
A- Le processus de prise de décision
budgétaire selon le nouveau cadre des finances
De manière objective, les responsables de programme
centrafricains doivent assurer le lien entre le politique qui définit
les objectifs, l'administration qui les met en oeuvre, et piloter cette mise en
oeuvre pendant l'année de l'exercice budgétaire. Dans les faits
et en raison du chevauchement des périmètres d'action, de
compétences et d'autorité, le pouvoir de décision des RP
est fonction des équilibres établis avec trois autres acteurs
majeurs à l'exemple de la LOLF en France que sont les Ministres, les
Secrétaires Généraux des Ministères (SG) et les
Directeurs des Affaires Financières (DAF/DR). Notre illustration sur les
points suivants.
D'abord, sur le plan politique, les
responsabilités des ministres couvrent largement celles des responsables
de programmes (RP) en raison de l'étendue du périmètre
d'action des premiers. Le Ministre dispose en effet à la fois de
l'autorité politique et de l'autorité administrative en tant que
chef du Département, et de l'autorité financière en sa
qualité d'ordonnateur du budget de l'État mis à sa
disposition. Le Ministre et RP partagent ainsi la responsabilité de
prescription de l'exécution des dépenses et des recettes, et ont
donc le pouvoir discrétionnaire de décision en matière de
choix des dépenses. Toutefois, le pouvoir du ministre couvre
également les choix de dépenses pour l'ensemble de la mission
ministérielle, avec des possibilités de réaffectation des
dépenses entre programmes en cours d'exercice budgétaire.
Or, seule le RP est justiciable de gestion devant la Cour de
discipline budgétaire et financière. Les juges de la Cour des
Comptes explicitent ainsi les conséquences de l'ambiguïté du
statut financier des ministres que : « la responsabilité
financière juridiquement impartie aux Ministres s'avère donc peu
effective au niveau des missions et tend à effacer celle des
responsables de programme, qui ne sont pas «ès qualités
ordonnateurs (...), supérieurs hiérarchiques de leurs
collaborateurs (...), attributaires d'autorisations d'emplois». Les
limites actuelles de l'exercice de la responsabilité financière
des Ministres, qui empêche une mise en jeu réelle des
responsabilités de missions et programmes, appellent en
conséquence à une clarification du statut
137
financier des Ministres ou à une clarification de
l'imputabilité des décisions des uns et des autres dans une
«charte de responsabilité» des différentes
autorités »161.
Ensuite, sur le plan administratif, le
périmètre d'action et de compétence du RP se chevauche
avec les fonctions de responsable qui dispose de l'autorité
administrative au sein du Ministère162. En effet, le
responsable peut également avoir le statut de prescripteur des
dépenses et recettes, au niveau des programmes mais également au
niveau de la mission ministérielle. D'autant que son pouvoir a
été élargi (par exemple dans le cadre de la
révision générale des politiques publiques (RGPP) dans le
cadre Français où c'est aux SG ou au directeur de Cabinet que
revient la charge de la mutualisation des fonctions supports et donc les choix
de dépenses en la matière).
Ce dernier point est largement souligné dans le rapport
de la Cour des Comptes de France qui précise que : « la
définition des mesures d'économies décidées dans le
cadre de la RGPP a assez largement ignoré les responsables de programme
ès qualité. Ceux-ci apparaissent pour l'essentiel comme des
exécutants de décisions prises dans un autre cadre. Le conseil de
modernisation des politiques publiques a en effet choisi de confier le pilotage
des mesures ministérielles aux secrétaires
généraux, (...), la Cour souligne que les économies issues
de la RGPP reproduisent une logique de gestion par nature de dépense
(masse salariale et crédits de fonctionnement), dite par « titre
», là où la LOLF engageait les gestionnaires à
développer une vision large de leurs périmètres de
crédits, constitués par des politiques publiques
cohérentes, et ainsi dotés d'une exigence de résultats
»163.
Enfin, sur le plan financier, les fonctions
de RP se chevauchent avec celles du responsable financier d'administration. Ce
dernier doit assurer la coordination de la procédure de
préparation budgétaire en lien avec les ministres et les RP, mais
dispose dans les faits de prérogatives plus
161 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011.
162 La Fonction SG a été
généralisée à partir de 2008, pour reprendre les
attributions des anciennes directions d'administrations générales
afin d'éviter l'éclatement des politiques publiques entre
différentes directions au sein d'un même ministère. Le
périmètre d'action et de compétence du SG couvre
l'ensemble des directions en charge des fonctions supports, dont deux
directions importantes : direction des affaires financières et direction
des ressources humaines.
163 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011.
P.119
138
larges en raison de la proximité structurelle et
relationnelle entre les DR ministérielles et le ministère des
finances. Le DR est en effet, garant du respect du cadre réglementaire
et des contraintes financières, il bénéficie du statut
d'ordonnateur, et est de ce fait un acteur clé dans le processus de
décision budgétaire. Le rapport de la Cour des Comptes que nous
avons consulté, souligne ainsi la diversité des relations de
collaboration entre RP et DR selon les ministères en France que :
« si les responsables des programmes « travail», «
emploi » ou « gestion fiscale et financière de l'État
et du secteur public local» négocient directement leurs
crédits avec la direction du budget, ceux du ministère de la
défense sont absents de la discussion menée par le seul directeur
des affaires financières »164.
En outre, en matière de décision
budgétaire, le pouvoir des RP se trouve donc contraint par
trois types d'autorité légitimes à savoir,
l'autorité politique (du Ministre),
l'autorité administrative (du Dircab) et
l'autorité financière (du DR). Le chevauchement
des périmètres d'autorité, mais également de
compétences et de pouvoir de décision traduit finalement
l'absence d'une revue générale des modes d'organisation de
l'État.
Le rapport de la Cour des Comptes souligne ainsi «
entre le souci légitime de disposer de la vision la plus exhaustive
possible des politiques publiques, la volonté incontestable, sur un plan
démocratique, de valoriser certains choix politiques, celle,
réaliste, du ministère chargé du budget et des comptes
publics de disposer de structures budgétaires cohérentes,
dotées d'une certaine taille critique, et celle des gestionnaires visant
à maintenir une concordance la plus étroite possible entre leur
périmètre de gestion et leur périmètre
administratif, des compromis multiples, cumulant les défauts, ont
été élaborés. »165.
En définitive, ceci limite par conséquent «
une mise en jeu réelle des responsabilités
»166, comme précisé dans le rapport de la
Cour des Comptes, et rend difficile l'imputabilité des décisions
en matière de dépenses et la responsabilité
financière qui en découle.
164 COUR DES COMPTES, (2011). « La mise en oeuvre de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Un bilan pour de
nouvelles perspectives ». Rapport au Gouvernement - novembre 2011. P.
70.
165 Ibid, p.79
166 Ibid, p.72
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