II.2 Mesure du déclassement
Aux difficultés pour cerner le concept de
déclassement et ses facteurs explicatifs, correspondent des
difficultés tout aussi importantes pour quantifier le
phénomène. Mesurer le déclassement suppose de
définir la population des déclassés ; il est à
noter qu'un déclassé est celui la dont le niveau de formation ne
correspond pas avec le niveau « normalement » requis pour l'emploi
qu'il occupe. Cette mesure suppose en effet de pouvoir définir dans quel
cas la formation initiale correspond ou non à la qualification requise
pour, l'emploi occupé, c'est-à-dire dans quel cas la relation
formation-emploi peut être considérée comme « normale
».
Dans les travaux empiriques internationaux, on classe les
différentes mesures envisagées en trois grandes catégories
: l'approche « normative », l'approche « statistique » et
l'approche « subjective » (Fondeur, 1999 ; Battu et al.,
2000).
L'approche « normative » repose sur l'analyse du
contenu en formation qui est a priori nécessaire pour occuper
une fonction quelconque ou, réciproquement, du type de professions
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auxquelles prépare un diplôme précis. Cette
analyse détaillée permet d'établir une table de
correspondance entre diplômes et professions. Cependant, cette approche
simple du déclassement normatif n'est pas satisfaisante. Elle met
notamment en évidence des requalifications statistiques des contenus de
travail non prises en compte dans la correspondance entre diplômes
exigés au niveau des concours et emplois. Ces informations existent
inévitablement ; pour autant, leur recensement pour tous les
métiers de la fonction publique, afin de mettre à jour les
correspondances diplômes-contenu des emplois, reste une entreprise
considérable, en particulier dans une démarche quantitative.
La mesure du déclassement s'appuie alors sur la
comparaison du niveau de formation détenu avec celui « normalement
» requis pour l'emploi occupé. Cette approche est largement
utilisée aux États-Unis sur la base du « Dictionnary of
Occupationnal Titles ». Elle a été également
utilisée en France par Affichard (1981) à partir du « code
DPJ ». L'approche « normative », qui peut paraître la plus
naturelle et la plus objective, suppose un important travail d'analyse à
la base. Les travaux, déjà anciens, fondés sur cette
approche ne correspondent plus à la situation actuelle du
déclassement.
L'approche « statistique » propose de définir
plus simplement les correspondances « normales » à partir de
ce qui ressort de l'analyse statistique comme étant les situations les
plus fréquentes. Elle est généralement utilisée
comme substitut à la première méthode, lorsqu'on ne
dispose pas de table de correspondance « normative » suffisamment
récente. Aux États-Unis, la méthode statistique la plus
courante consiste à estimer, profession par profession, le niveau moyen
d'études. Une personne est alors considérée comme
déclassée si son niveau d'études dépasse de plus
d'un écart-type le niveau moyen de la profession. Pour mesurer
statistiquement le déclassement, la démarche utilisée par
Forgeot et Gautié (1997), à partir de l'examen empirique des
tableaux annuels de contingence croisant diplômes et catégories
socioprofessionnelles, peut être systématisée. Une analyse
des écarts à l'indépendance au sens du chi-deux permet en
effet d'établir simplement chaque année une table de
correspondance diplôme-catégorie socioprofessionnelle (CS).
Celle-ci décrit la norme statistique du moment et permet de
repérer, en fonction de cette norme, les personnes «
sur-diplômées » ou « sous-diplômées »
par rapport au type d'emploi occupé, c'est-à-dire respectivement
en situation de « déclassement » ou de « surclassement
».
L'approche « subjective », renvoie à une
norme personnelle, à un ressenti. On se réfère
à l'auto appréciation des jeunes vis-à-vis de leur
situation, à travers la réponse à la
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question : « A propos de cet emploi, diriez-vous que
vous étiez utilisé (a) à votre niveau de
compétences, (b) en dessous de votre niveau de compétences, (c)
au-dessus de votre niveau de compétences ? ». Avoir le
sentiment d'être employé en dessous de son niveau de
compétences correspond alors à un déclassement subjectif.
Les individus, lorsqu'ils s'expriment sur l'usage de leurs compétences,
ne se centrent probablement pas sur la correspondance entre formation et
emploi. En effet, les compétences renvoient de manière seulement
indirecte aux deux dimensions mobilisées pour définir le
déclassement statistique ou normatif, à savoir la correspondance
entre le niveau de qualification à l'issue de la formation initiale et
le niveau de qualification de l'emploi occupé, lu à travers les
PCS. En outre, pour l'individu interrogé, d'autres dimensions relatives
à la satisfaction professionnelle peuvent contribuer à alimenter
ce sentiment de déclassement. Toutefois, « l'approche
subjective présente l'intérêt de mieux prendre en compte
l'environnement du salarié et de s'affranchir des problèmes de
nomenclature d'emploi » (Giret,2005, p. 280).
Source : Forgeot Gérard, Gautié
Jérôme (1997)
Utilisant l'approche statistique dans la mesure du
déclassement, FORGEOT et GAUTIE ont proposé une table de
correspondance reposant sur un critère d'ordre statistique au sens
où elle tenait compte aussi bien de l'importance relative des
CS à chaque niveau de formation, que, symétriquement, des
parts relatives des différents diplômes dans chaque CS. Ils
ont donc retenu la table suivante :
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Cette table de correspondance obtenue par approche statistique
conduit à une nomenclature des diplômes plus
détaillée que celle qu'Affichard (1981) a utilisé.
Affichard avait proposé la table de correspondance suivante :
Source : Affichard (1981)
Lecture de la table de correspondance :
Les travailleurs se situant dans une profession de niveau supérieur
à la norme pour leur diplôme sont considérés comme
"sous-diplômés", ils sont dans la situation de sur classement. Par
contraire, ceux situés dans une profession de niveau inférieur
à la norme par rapport à leur niveau de formation sont
considérés comme "sur-diplômés" et sont par
conséquent dans la situation de déclassement.
Pour ce qui est de l'analyse des facteurs de déclassement
et leur évolution au début des années 90, Forgeot et
Gautié ont trouvé que les femmes et les débutants sur le
marché du travail sont les plus touchés par le
déclassement, ceci dépendant de l'emploi occupé.
En effet, le déclassement des femmes est beaucoup plus
conséquent: en 1995, plus de 24 % des jeunes femmes étaient sur
diplômées, contre moins de 18 % des jeunes hommes. Les
débutants étaient logiquement en moyenne davantage
sur-diplômés. De ce fait, le déclassement diminuait avec
l'ancienneté sur le marché du travail.
Les analyses menées par les deux auteurs ont montré
qu'entre 1992 et 1995, les facteurs sociodémographiques ont
contribué peu à l'évolution relative du
déclassement. Les hommes avaient toujours une propension nettement plus
faible que les femmes à être déclassés dans leur
emploi. Les jeunes vivants en couple avaient également une
probabilité plus faible d'être déclassés. Cette
variable restait cependant très corrélée à
l'âge de l'individu et à l'expérience professionnelle, qui
vont toutes deux dans le sens d'un moindre déclassement. Il était
en outre possible que la décision de vivre en couple soit
postérieure à la stabilisation professionnelle
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des jeunes. Durant la même période, le statut de
l'emploi demeure un facteur important du déclassement, bien que
relativement moins discriminant en 1995 qu'en 1992. En effet, les
catégories de salariés comme ceux de la FP, bien moins
touchées par le déclassement en 1992, le deviennent à
l'identique des contrats à durée indéterminée du
secteur privé en 1995. De plus, les contrats à durée
déterminée, où, on l'a noté, la part des
sur-diplômés est plus importante, se sont développés
sur la période.
En somme, il était question ici de présenter les
différentes théories ayant trait à la notion de
déclassement et d'insertion professionnelle. Il apparait donc que
même si les formations reçus par les jeunes leur permettent
d'accéder au monde de l'emploi, ils sont néanmoins
confrontés à des situations de surqualification par rapport
à l'emploi occupé. Ce phénomène de
déclassement peut être fonction de certaines
caractéristiques individuelles telles que le sexe par exemple,
l'âge et l'expérience professionnelle. Nous essaierons dans le
chapitre qui suit faire une analyse méthodologique sur la mesure de ce
phénomène de déclassement.
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