II.1.2 Approche théorique des liens entre
formation et emploi
Fondeur (1999), Green et al. (1999) et Sloane et al.
(1999) proposent chacun une revue de détail des différentes
approches théoriques des liens entre formation et emploi. Trois grandes
approches se distinguent : celle fondée sur la théorie du capital
humain, celle fondée sur la théorie de l'appariement et les
approches à la base des modèles de signalement, au sein desquels
se distingue le modèle de concurrence pour l'emploi.
C'est donc la logique de ce dernier modèle que l'on
privilégiera pour éclairer l'interprétation et l'analyse
du déclassement proposée ici. Les autres approches permettent
toutefois de préciser la complexité des liens entre formation et
emploi qui relèvent vraisemblablement aussi en partie de ces
différents schémas théoriques.
Selon la théorie du capital humain, la formation
constitue un investissement conduisant à accroître les
capacités productives d'un individu, ces dernières
déterminant entièrement la qualification et la
rémunération de l'emploi occupé. Le niveau
d'éducation ne constitue, par ailleurs, qu'une composante parmi d'autres
du capital humain, à côté notamment de l'expérience
et du savoir-faire (Mincer, 1974). Dans un cadre où le marché du
travail est supposé pleinement efficient, les entreprises, qui cherchent
à maximiser leur profit, ont tout intérêt à utiliser
au mieux les compétences des personnes employées. On peut ainsi
envisager que ces dernières adaptent systématiquement le profil
des postes de travail aux compétences des personnes embauchées.
Une telle approche met en doute la possibilité de situations de
déclassement à proprement parler. La théorie du capital
humain envisage malgré tout l'existence de périodes où les
individus, ou la société, investissent dans l'éducation
au-delà des besoins en main d'oeuvre diplômée. Un tel
déséquilibre est néanmoins supposé temporaire, se
résorbant naturellement par le jeu des réactions des individus et
des entreprises
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Education et insertion professionnelle au Cameroun : le
déclassement professionnel des jeunes
(Freeman, 1976). Les premiers sont en effet incités
à investir moins dans l'éducation, compte tenu de la baisse de
son rendement. Les secondes sont encouragées à modifier leur
organisation productive, pour bénéficier du moindre coût du
travail qualifié.
Selon la théorie de l'appariement (Jovanovic,
1979), le déclassement est également appréhendé
comme un phénomène de court terme, mais selon un tout autre
raisonnement. Cette fois, la possibilité de mauvais appariements entre
offreurs et demandeurs de travail est supposée résulter du manque
d'informations détenues par les agents (sur les compétences des
personnes ou sur les caractéristiques des emplois) et du coût pour
acquérir ces dernières (coût des procédures
d'entretien ou coût de recherche d'emploi, par exemple).
Selon une telle théorie, les situations de
déclassement constitueraient pour les individus des erreurs de parcours,
dans la phase de recherche d'un emploi adéquat. Ces situations ne
seraient néanmoins que temporaires, les individus
déclassés étant incités à quitter leur
emploi afin d'en obtenir un mieux adapté à leur niveau de
compétence. Inversement, les situations de « surclassement »
(cas où le niveau de formation initiale des personnes est
inférieur à celui normalement requis pour l'emploi occupé)
sont envisagées comme pouvant être plus durables. En effet, dans
un contexte où la demande de main d'oeuvre diplômée
excèderait l'offre, un travailleur surclassé peut être
incité à rester dans l'entreprise, car cette situation lui est
financièrement favorable. De son côté, l'entreprise peut
envisager de garder une personne surclassée.
D'une part, cela lui permet d'épargner de nouveaux
coûts de prospection et d'embauche. D'autre part, la personne
surclassée peut compenser progressivement l'insuffisance de sa formation
initiale par l'acquisition d'expérience et de savoir-faire.
Les modèles de signalement s'appuient
également sur l'hypothèse d'une information imparfaite des agents
sur le marché du travail. En particulier, les employeurs ne connaissent
pas la productivité réelle des candidats à l'embauche. Le
diplôme constitue alors pour les entreprises un signal les aidant
à identifier les personnes ayant les capacités productives
adéquates (Spence, 1973). De leur côté, les travailleurs
investissent dans l'éducation pour fournir des signaux clairs aux
employeurs, leur permettant d'accéder à des niveaux d'emploi et
de salaire élevés. Selon une telle approche, le système
éducatif joue avant tout un rôle de sélection des
compétences « potentielles » (aptitudes à s'adapter ou
à se former aux emplois), plus que de développement des
compétences « effectives » (connaissances théoriques ou
pratiques). L'utilisation du diplôme comme critère d'appariement
est fondé sur l'hypothèse
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Education et insertion professionnelle au Cameroun : le
déclassement professionnel des jeunes
que le coût d'acquisition d'un titre scolaire est d'autant
plus faible que le potentiel des individus est élevé. Une
diminution exogène d'un tel coût d'acquisition peut ainsi
brouiller le signal associé aux diplômes et engendrer un
phénomène de dévaluation des titres scolaires, plus que de
développement du déclassement au sens strict.
Le modèle de concurrence pour l'emploi (Thurow,
1975) s'inscrit dans la lignée d'une telle approche, mais en rupture
avec le cadre néoclassique de la plupart des autres modèles de
signalement. Dans son ouvrage « Generating Equality »,
Thurow (1975) s'interroge sur les mécanismes économiques à
l'origine des inégalités de revenus. Dans l'analyse
traditionnelle, le salaire est supposé être la variable clé
d'ajustement entre l'offre et la demande de travail. Conformément
à cette approche, on doit s'attendre à ce que cette variable
« équilibrante » soit peu dispersée, une fois pris en
compte les différents facteurs
d'hétérogénéité de la productivité
individuelle du travail.
Or, selon Thurow, la statistique peine à mettre en
évidence des groupes d'individus aux salaires réellement
homogènes. Ce constat parmi d'autres l'incite à envisager une
autre description de la mécanique de régulation sur le
marché du travail, en alternative à l'hypothèse de
concurrence par le salaire (« wage competition »).
Le modèle de concurrence pour l'emploi («
jobcompetition ») développé par Thurow repose sur
l'idée qu'une part essentielle des compétences nécessaires
pour occuper un emploi donné n'est réellement acquise qu'en
occupant l'emploi. Les compétences professionnelles seraient donc
largement transmises de manière plus ou moins formelle dans le cadre du
travail (« on-the-job training »). De même, la
productivité du travail constitue selon lui une caractéristique
attachée à un emploi donné et non à la personne qui
occupe cet emploi. Du côté de l'offre de travail, les individus se
différencient alors, non par leur productivité, mais par le
coût nécessaire pour les former à occuper tel ou tel
emploi. Pour un emploi et un individu donné, ce coût est une
fonction du bagage personnel de la personne (« background
characteristics »), c'est-à-dire de ses aptitudes
innées, son niveau d'éducation, son expérience
professionnelle, etc. Du côté de la demande de travail, les
emplois sont hiérarchisés préalablement à
l'embauche, selon une grille de qualifications qui correspond aux
différentiels de productivité des emplois. Cette grille
détermine en même temps la grille des rémunérations,
qui est donc en grande partie fixée préalablement aux
embauches.
Dans le cadre de ce modèle, le salaire ne peut ainsi
constituer une variable d'ajustement conjoncturel entre offre et demande de
travail, puisqu'il est largement prédéterminé. La
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logique de régulation du marché du travail est
alors la suivante. Pour chaque emploi, qui constitue en même temps une
opportunité de formation professionnelle, il existe un ensemble de
candidats potentiels.
Ces derniers forment une file d'attente (« labor queue
») au sein de laquelle les employeurs privilégient ceux pour
lesquels ils anticipent les plus faibles coûts de formation, compte tenu
des indications qu'ils possèdent sur leur bagage personnel. En
particulier, pour les nouveaux entrants sur le marché du travail, le
niveau de formation initiale constitue l'indicateur privilégié
sinon unique du coût de formation anticipé. Entre plusieurs
candidats à caractéristiques identiques, le choix de l'employeur
s'apparente ensuite à une loterie.
Ainsi, au niveau global, en fonction du nombre et de la structure
des emplois offerts, parallèlement au nombre et aux
caractéristiques des candidats à l'emploi, des individus
identiques en termes de bagage personnel pourront se voir proposer des emplois
de qualifications, salaires et opportunités de formation professionnelle
différents. Répondant à son objectif, le modèle de
concurrence pour l'emploi est ainsi effectivement susceptible d'expliquer
l'importance des inégalités de salaires au sein de groupes de
personnes a priori relativement homogènes.
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