SECTION 2 : APPROCHE THEORIQUE DU DECLASSEMENT
Selon NAUZE-FICHET et TOMASINI, « le déclassement
recouvre une sous-utilisation de la main-d'oeuvre potentielle qui
dépasse les seuls constats du chômage et du sous-emploi, au sens
usuel du terme. Il peut influer sur la motivation des jeunes salariés
comme sur leur productivité. Il invite, par ailleurs, à nuancer,
en partie, le discours sur les pénuries de main-d'oeuvre
qualifiée ». Le concept de déclassement apparait donc
comme un concept qui mérite
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qu'on lui accorde une attention particulière. Le
déclassement fait l'objet de débat dans la littérature et,
notamment, son caractère transitoire ou durable n'est pas tranché
dans les explications théoriques. Par ailleurs, la notion même de
déclassement peut renvoyer à plusieurs dimensions : normative,
statistique ou subjective, autant de façons de mesurer le
déclassement que nous aborderons dans cette section.
II.1 Les débats théoriques autour du
déclassement
Le déclassement, encore appelé overeducation
par les anglo-saxons, a déjà fait l'objet de nombreuses
études et publications. Malgré une définition à peu
près unanime selon laquelle « est considéré comme
déclassé tout individu dont le niveau de formation initiale
dépasse celui normalement requis pour l'emploi occupé
», les deux auteurs précités précisent que
l'interprétation exacte du concept et l'analyse de ses causes et de ses
effets varient fortement, en fonction notamment des hypothèses retenues
par les économistes sur le fonctionnement du marché du
travail.
Les premières investigations sur la «
suréducation » remontent au début des années 1970 aux
États-Unis. En effet, Berg (1970) observait que les employeurs
profitaient de la hausse de l'offre des travailleurs ayant un niveau de
scolarité collégial pour augmenter les qualifications scolaires
requises pour un emploi qui n'aurait pas théoriquement
nécessité un tel niveau de savoir et de savoir-faire. Ce sera
néanmoins Freeman (1976) qui fondera l'acte de naissance d'un
véritable champ de recherche sur ce thème. D'un point de vue
théorique, le déclassement est envisagé comme transitoire
pour certains auteurs, durable pour d'autres. En effet, dans le cadre de la
théorie du capital humain, le déclassement correspond à
une situation temporaire où les entreprises n'utilisent pas pleinement
les qualifications des salariés, ni ne les rémunèrent
à leur productivité marginale potentielle. Cette théorie
peut également expliquer le déclassement comme le résultat
d'un choix délibéré : l'emploi de bas niveau constitue un
moyen d'investir en capital humain spécifique (Hartog, 1999). En accord
avec cette dernière interprétation, Sicherman (1991) met en
évidence une probabilité de mobilité professionnelle
ascendante accrue, par promotion interne ou changement d'entreprise, pour les
individus déclassés. Dans cette configuration, l'hypothèse
qui prévaut est celle d'un rattrapage d'un déclassement initial.
Selon Mc Cormick (1990), en situation d'information imparfaite, l'employeur
considère l'information relative au dernier emploi occupé par
l'individu comme signal de sa productivité. Une situation d'emploi
déclassé est identifiée comme signal d'une
productivité faible. Ainsi, l'état dans lequel se trouve
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l'individu prime sur son diplôme ; en conséquence,
si l'individu ne sort pas rapidement de la situation de déclassement
initial, il pourrait s'y trouver enfermé car plus le temps passe, moins
le niveau d'études compte. Enfin, le déclassement peut
également devenir persistant, si la structure de qualification des
emplois n'évolue pas aussi vite que l'offre de diplômés
(Tsang et vin, 1985).
Par ailleurs, Thurow(1975) dans « Le modèle de
concurrence pour l'emploi » suppose que les salaires, étant
associés à la hiérarchie des postes dans l'entreprise,
sont prédéterminés. Dans ces conditions, les ajustements
sur le marché du travail se font par les quantités, d'où
la notion de « concurrence pour l'emploi ». En outre, les
caractéristiques de productivité sont supposées
attachées aux postes de travail et non aux individus. Les entreprises
cherchent alors à embaucher les personnes dont les coûts de
formation sont les plus faibles et utilisent pour cela le diplôme comme
indicateur de l'aptitude à être formé. Elles choisissent
donc les candidats les plus diplômés parmi l'ensemble des
demandeurs d'emploi. Ainsi, selon ce modèle, le niveau relatif de
formation des individus est plus important que leur niveau absolu dans la
mécanique d'ajustement conjoncturel entre offre et demande de travail.
La concurrence pour l'emploi implique au niveau macro-économique
l'existence d'une file d'attente en tête de laquelle se trouvent
les individus les plus diplômés relativement à l'ensemble
des demandeurs d'emploi. Comme l'illustre l'analyse de Fondeur (1999), une
telle vision du fonctionnement du marché du travail est susceptible
d'expliquer le développement de situations de déclassement en
période de pénurie d'emplois qualifiés.
II.1.1 Facteurs macroéconomiques du
déclassement
Au niveau macroéconomique, le déclassement
apparaît, parallèlement au chômage, comme une forme de
sous-emploi liée à une pénurie d'emplois qualifiés.
L'origine d'une telle pénurie peut être conjoncturelle
(insuffisance globale de la demande de travail) ou structurelle (insuffisance
relative de la demande de travail qualifié au regard de l'offre de
main-d'oeuvre diplômée). Ainsi, selon Chauvel (1998), «
la dévalorisation des diplômes n'est pas le résultat de la
seule diffusion des diplômes, mais le fait d'un décalage entre le
r thme de progression des diplômes et celui de la croissance des postes
qualifiés ». Dans un contexte ou le chômage est
élevé, le fait d'accepter les situations de déclassement
peut découler du fait qu'il y'ait une préférence
croissante pour la stabilité de l'emploi, au détriment de sa
qualité ou de sa rémunération.
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Quelle que soit son origine macroéconomique, le
déclassement est susceptible de s'amplifier par le jeu des
différents acteurs sur le marché du travail. Ainsi, conscients de
la stratégie d'écrémage des entreprises au sein des
candidats à l'emploi, les individus peuvent être incités
à poursuivre leurs études, en vue d'obtenir un diplôme qui
leur procure une meilleure place dans la file d'attente pour l'emploi. Ce qui
conduit plutôt à une amplification du décalage entre les
rythmes de croissance des compétences offertes et requises.
Réciproquement, les entreprises peuvent se permettre de devenir de plus
en plus exigeantes quant au niveau de diplôme détenu par les
candidats à l'emploi, pour un poste à pourvoir à
qualification requise donnée.
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