B. Les théories de l'apprentissage
organisationnel en entreprise
Les partisans de l'organisation de l'apprentissage
décrivent les exigences de l'apprentissage organisationnel (les
organigrammes à plat, l'autonomie locale, la confiance et la
coopération au-delà des fonctionnelles), mais explorent rarement
la signification de ces termes ou la nature même des processus de
changement auxquels ils font face, dans la mesure où ils partent
directement des réponses à ces questions. Ils se divisent entre
les tenants de l'apprentissage au regard d' »occasion »
d'apprentissage et les tenants de l'apprentissage au regard des configurations
« apprenantes ». Ces travaux sont marqués par la
focalisation sur l'existence d'un système d'information formel
« ouvert et performant », la reconnaissance d'un
système d'information informel et l'implication de la direction
générale.
1. Le modèle d'apprentissage de Chris Argyris
et Donald Schön
Ces auteurs défendent une position humainement et
rationnellement argumentée : le
« chercheur-théoricien » ne doit pas sous-estimer
les compétences des praticiens, dépositaire d'un savoir pratique
sue l'organisation et les vecteurs de changement. Le type de rapports
souhaitables entre chercheur et praticien est basé sur une collaboration
entre types d'enquêteurs distincts, occupant des rôles
différents et s'appuyant sur des compétences et méthodes
différentes, bien que complémentaires. En effet, les
théoriciens enquêtent en formulant des propositions causales
générales sous formes de lois explicatives. Le chercheur qui,
dans cette esprit, embrasse un programme de recherche-action collaborative sur
l'apprentissage organisationnel devient un
« acteur-expérimentateur » au même titre que
les praticiens qu'il rejoint.de leurs côtés, les praticiens
pensent en terme de causalité intentionnelle, c'est-à-dire de
relation causale entre le dessein d'un acteur et l'action qu'il entreprend pour
réaliser celui-ci. Pour expliquer, ils décrivent l'intention qui
est à l'origine de l'action. Un de leurs concepts de
références est donc celui de « boucle »
pour lequel ils distinguent :
La boucle simple qui relève
d'une modification mineure des règles existantes par
l'amélioration de l'existant sans remise en cause des
représentations de l'existant. Elle est liée, en même
temps, à tout ce qui tend à renforcer les représentations
en place. Les individus, pris au piège de pouvoir et de survie,
génèrent des processus défensifs d'une force
extraordinaire. Il s'agit ici d'une boucle d'inhibition primaire et est nourrit
par les théories d'usage des participants lors des confrontations
directes ;
La double boucle qui concerne les
modèles de représentations c'est cet apprentissage en double
boucle qui va caractériser l'organisation apprenante. Pour qu'un
apprentissage en double boucle ait lieu et perdure à tous les niveaux de
l'organisation, il faut parvenir à mettre fin aux processus
auto-entretenus. Pour que cette se mette en place, il faut que les
théories d'usage individuelles soient modifiées ;
L'apprentissage de l'apprentissage
ou deuteuro-learning (apprentissage au second degré) se
caractérise par le fait que l'organisation « se
penche » elle-même pour diagnostiquer les obstacles de
l'apprentissage. Ce qui conduit à réexaminer ses valeurs
fondamentales en tentant de dépasser les blocages habituels pour
redéfinir le sens donné à l'action (recadrage). Cette
notion, tirée des auteurs de l'école de Palo Alto (Watzlawick et
al., 1975), mais à laquelle est attribuée ici une
dimension organisationnelle, exprime l'idée de l'accroissement du
potentiel d'apprentissage organisationnel.
Cette distinction entre ces différents types de
« boucles » n'est pas forcement aisée car elle est
brouillée par la dimension et la complexité organisationnelle.
L'apprentissage en double boucle revêt une importance plus ou moins
grande pour l'organisation dans son ensemble, selon le degré auquel les
valeurs et les normes essentielles sont touchées. Le type
d'apprentissage organisationnel aura tendance à varier en fonction du
niveau d'agrégation (au regard des différentes strates regroupant
des groupes d'individus) auquel il se produit et des liens plus ou moins
étroits qui associent les unités entre elles à un
même niveau ou à des niveaux différents.
L'intérêt majeur de cette perspective est de fonder une
« vraie » théorie de l'apprentissage organisationnel
qui ne déconnecte pas la logique de l'apprentissage organisationnel
stricto sensu, c'est-à-dire tout ce qui tourne autour
d'information, de connaissances et des individus, de la logique de
l'organisation apprenante, c'est-à-dire des conditions structurelles et
procédurales qui favorisent l'apprentissage organisationnels.
2. La théorie d'apprentissage de Cyert et
March
La théorie de l'apprentissage de Cyert et March
considèrent l'entreprise comme étant une institution dotée
d'une mémoire collective qui lui permet de reproduire les
différentes activités et connaissances acquises. L`approche
évolutionniste de la firme « veut révéler le
caractère endogène des processus de changements
économiques en général et d'innovations technologiques en
particulier ». Ce sont les routines qui sont au centre de ce processus.
« Les routines sont définies comme l'équivalent au niveau de
la firme des «savoir-faire » des individus. Ces routines
résultent elles-mêmes d'un ensemble d'apprentissages qui finissent
par consolider des formes de réponses qui incluent de larges domaines de
connaissances tacites ». L'intérêt de cette analyse sur
le plan stratégique est de mettre en évidence l'existence d'un
type de ressources et compétences difficilement identifiables et donc
inimitables qui est donc source d'avantages concurrentiels décisifs et
durables.
L'accumulation des connaissances et des expériences
passées permet ainsi de constituer un savoir organisationnel tacite qui
conditionne la compétitivité de l'entreprise. Les
évolutionnistes distinguent ainsi les routines « statiques
» qui consistent à répéter les actions passées
des routines « dynamiques » à l'origine de
l'apprentissage et du renouvellement des routines de l'entreprise. Seules les
routines « dynamiques » sont facteurs de changement
technologique. La stratégie de la firme est déterminée par
son histoire. Le changement ne peut être imposé sans tenir compte
des capacités développées historiquement au sein de
l'organisation. Cette approche met en évidence la contingence de
l'apprentissage. L'apprentissage est fonction à la fois du contexte
interne et des conditions de l'environnement de l'organisation. Il
résulte de la confrontation de la firme à des problèmes
nouveaux. Les solutions à ces problèmes vont venir enrichir les
routines existantes. Les auteurs mettent l'accent sur la nécessaire
cohérence entre les décisions stratégiques et les
compétences de l'entreprise. La gestion des connaissances relève
donc à la fois de déterminants organisationnels et d'une analyse
des conditions du développement des compétences dans
l'organisation en fonction de contingences particulières issues de
l'environnement ou de l'histoire de l'organisation.
3. Les théories behavioristes et
cognitivistes
L'apprentissage peut être compris comme une adaptation
et comme un changement de comportement mais il peut aussi être
conçu comme un changement cognitif. Cette dualité entre un
apprentissage reposant sur l'induction (la notion de représentation) et
un apprentissage comme conditionnement de comportement structure de
manière assez nette les travaux sur l'apprentissage
organisationnel.C'est ainsi que Bootz (2001) propose de distinguer
l'apprentissage organisationnel à partir de la dominante cognitive ou
comportementale, séparant ainsi l'approche « classique », qui
distingue cognitivisme de behaviorisme, de l'approche intégrationniste,
qui repose sur la complémentarité des deux perspectives.
L'approche béhavioriste de l'apprentissage
organisationnel : Cette approche de l'apprentissage
organisationnel s'appuie sur les travaux de la psychologie béhavioriste
qui posent, sans pour autant en nier l'existence, qu'on ne peut accéder
aux états mentaux des individus. La psychologie n'est pas une science de
la conscience. L'apprentissage est donc abordé du dehors et compris
comme une réaction, une réponse à des stimuli
répétés. Cela signifie que l'individu peut agir sur
l'environnement pour obtenir un stimulus dont il connaît la
conséquence. Si le détour par la psychologie s'est
avéré nécessaire, c'est qu'on retrouve ce type d'analyse
dans la théorie comportementaliste de l'apprentissage dans
l'organisation. Au niveau individuel, l'approche béhavioriste
appréhende en effet l'apprentissage comme une modification des conduites
des individus en fonction de séquences stimulus réponses
appropriées. Au niveau organisationnel, la séquence
stimulus-réponse est reprise pour décrire les relations entre
l'entreprise et son environnement mais aussi pour expliquer le fonctionnement
interne de l'organisation. En effet, pour Cyert et March (1963), Levitt et
March (1988), March et Olsen (1975), Nelson et Winter (1982), l'entreprise doit
être comprise comme un système adaptatif dont le comportement
repose sur un portefeuille de procédures existantes plutôt que sur
une logique de conséquentialité ou de calcul rationnel
recherchant la solution optimale. Cela signifie qu'en connaissant un
portefeuille de solutions perçues comme réalisables par
l'organisation, il est possible d'identifier les problèmes que se pose
cette organisation. Dés lors, le changement d'une organisation
s'explique moins en fonction des problèmes qu'elle rencontre qu'à
partir des solutions dont elle dispose.
L'approche cognitive de l'apprentissage
organisationnel : En psychologie, le courant cognitiviste
souligne la nécessité de prendre en compte la complexité
du sujet d'apprentissage. Alors que le béhaviorisme étudie
comment l'environnement détermine le comportement, le cognitivisme pose
que les conduites humaines sont expliquées en fonction du contenu des
états mentaux et des représentations. Newell et Simon (1972) ont
étudié la dimension cognitive de l'apprentissage en
modélisant l'esprit humain sous la forme d'un système de
traitement de l'information. Ces auteurs posent que penser c'est traiter de
l'information, c'est manipuler des symboles. Les états mentaux sont donc
comparés à des systèmes de signes organisés dans un
langage de l'esprit dont il faut connaître les règles. Dans cette
perspective, les règles du calcul propositionnel sont utilisées
pour décrire les agencements des représentations mentales.
Signalons que le courant connexionniste (Quinlan, 1991 ; Rumelhart,
1992 ; Sandelands et Stablein, 1987) s'oppose à cette approche et
cherche à rompre avec une représentation "psychologisante" du
fonctionnement cognitif en faisant prévaloir une approche symbolique.
Les mécanismes cognitifs ne sont plus abordés à partir de
représentations internes, de connaissances, de croyances ou d'intentions
mais fonctionnent comme un réseau de neurones, les noeuds de ce
réseau n'ayant pas de correspondants fonctionnels en termes de conduite.
Selon la perspective cognitiviste, l'apprentissage organisationnel est
généralement compris comme une modification de l'état de
la connaissance organisationnelle, comme un changement cognitif (Fiol, 1994) ou
comme une opération de traitement d'information et d'acquisition de
connaissances nouvelles.
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