SECTION 2 : REFLEXION SUR L'APPRENTISSAGE
ORGANISATIONNEL
La sociologie des organisations et du travail
s'intéresse à la culture de l'entreprise et à ses
différents types de management. Elle définit une organisation
comme une entité ayant des missions à accomplir sur le long
terme. Elle s'appuie pour cela sur une structure juridique et une division des
tâches réparties au sein d'une hiérarchie et repose sur un
processus, un ensemble de manières de faire, pour élaborer son
fonctionnement. Ensembles de manières de faire qui renvoient à
l'apprentissage organisationnel des salariés dans cette organisation. Il
est présenté auprès des entreprises comme une solution
miracle. Face à l'engouement suscité par ce terme, il nous faut
définir son périmètre avec précision, ses champs
d'action dans la gestion des ressources humaines et dans le management des
organisations car, comme on le sait très bien, l'apprentissage
organisationnel présente l'individu, acteur de l'entreprise, comme une
ressource aussi importante que les ressources financières. La
formalisation des connaissances des individus composant l'entreprise est
devenue un enjeu de pouvoir.
I. Définition et théories de l'apprentissage
organisationnel
L'entreprise dans son sens large est appelée à
vivre une importante transition : le passage de l'ère de la production
de masse et de l'économie de marché à celle des
sociétés de connaissance fondées sur l'information et la
communication. C'est un profond changement de paradigme qui va affecter tous
les aspects de son fonctionnement. Cette citation de Nonaka et Takeuchi (1995)
illustre l'importance actuelle de la gestion des connaissances dans
l'entreprise. L'entreprise fait face aujourd'hui à une complexité
accrue de son environnement : la mondialisation, la
déréglementation, l'évolution des technologies sont autant
de facteurs qui participent à l'imprévisibilité et nuisent
à la clarté de l'analyse des situations. La maîtrise de
l'incertitude passe par l'amélioration de la compréhension des
phénomènes et donc par l'accumulation de connaissances. Nous
partirons dans cette partie de la définition du concept d'apprentissage
organisationnel à la présentation des différentes
théories y afférentes.
A. Définition de l'apprentissage
organisationnel
Köenig (1994) définit l'apprentissage
organisationnel comme un processus collectif d'acquisition et
d'élaboration des connaissances qui, plus ou moins profondément,
plus ou moins durablement, modifie la gestion des situations elles-mêmes.
La dimension collective de l'organisation peut être activée d'une
part à travers la circulation et la diffusion de nouvelles connaissances
et d'autre part, à travers le développement des relations entre
les compétences préexistantes. Notre travail ici sera de
présenter de façon détaillée les différentes
perspectives de la définition de l'apprentissage organisationnel.
1. Apprentissage organisationnel comme mode
d'adaptation
L'apprentissage organisationnel est rendu nécessaire
par la complexité de l'environnement. Les organisations efficaces sont
celles dont les membres ont la capacité à prévoir les
changements dans l'environnement, à identifier l'influence de ces
changements, à rechercher les stratégies adéquates pour
faire face aux changements, et à développer les structures
appropriées pour mettre en oeuvre ces stratégies selon les
expressions de Cyert et March (1963). Ces derniers font remarquer que les
organisations s'adaptent au niveau collectif en mettant l'accent sur les trois
phases différentes du processus de prise de décisions :
l'adaptation des objectifs, l'adaptation des règles ordinaires,
l'adaptation des règles de remise en cause. La théorie
comportementale de la firme soutient que les organisations réajustent
leurs objectifs en fonction de leurs expériences et de celles des autres
entreprises. L'organisation porte une attention sélective à
l'environnement. Le choix des critères de sélection de
l'information, le codage du langage pour communiquer l'information à
l'égard des alternatives et de leurs conséquences sont
influencés par l'expérience de l'organisation.
En effet, on parle d'apprentissage par adaptation parce
que les individus dans l'organisation développent leurs
compétences et expériences en fonction des situations dans
lesquelles ils se trouvent et du contexte d'évolution de leur
organisation. Certains auteurs (Hedberg, 1981 ; Lant et Mezias,
1992 ; Fiol, 1994; Dumez et Jeunemaître, 1995 ; Hatchuel, 1997)
expliquent en effet que les individus acquièrent avec
l'expérience des modèles de connaissances de plus en plus
nombreux et de plus en plus larges dans leur domaine d'activité.
L'augmentation du volume de connaissances relatif à un domaine
d'activité est par ailleurs associée à un changement dans
le comportement informationnel des sujets. Le degré de complexité
cognitive exercé par un individu à l'égard d'objets ou de
domaines d'activité peut être soumis à un effet
d'apprentissage résultant de la multiplication et à l'adaptation
des expériences vécues, à la condition que celles-ci
soient traitées, c'est-à-dire soumise à la
réflexivité.
2. Apprentissage organisationnel comme
développement des théories d'usage
Argyris et Schön (1978) appréhendent
l'apprentissage organisationnel comme la construction et la modification des
théories d'usage à travers l'examen individuel et collectif. Ces
auteurs ont recours à la perspective de la théorie d'action de
l'apprentissage organisationnel qui dérive des théories
sociologiques de la connaissance et du concept d'action d'inférence.
Pour expliquer les processus organisationnels, Weick (1987) décrit le
modèle Etablissement-Sélection-Rétention donnant un sens
aux actions des membres organisationnels. Les croyances et hypothèses
forment les cartographies cognitives, constitue l'apprentissage des membres.
Mitroff et Emshoff (1979) décrivent quant à eux une
méthodologie mettant en valeur les hypothèses partagées.
Ils suggèrent une approche d'analyse dialectique des hypothèses
pour la résolution des problèmes. L'apprentissage passe par le
partage des hypothèses au niveau de l'industrie et l'identification des
stratégies les plus appropriées pouvant guider les changements
organisationnels.
3. Apprentissage organisationnel comme gestion des
connaissances
Afin de développer une théorie de
l'apprentissage organisationnel qui relate le processus de
schématisation organisationnelle, Duncan et Weiss (1978) proposent une
autre conceptualisation du phénomène. Ils définissent
l'organisation comme « un groupe d'individus qui s'engagent dans des
activités coordonnées transformant directement ou indirectement
un ensemble d'inputs en outputs ». Ainsi, l'organisation est un
système d'actions intentionnelles engagées dans un processus
transformationnels pour produire des outputs. Etant donné cette
perspective d'organisation comme un système, les auteurs affirment que
l'efficacité des organisations est fonction de ses choix
stratégiques à long terme, choix des processus de transformation
et des structures administratives qui soutiennent ces processus.
L'efficacité organisationnelle est ainsi déterminée par la
qualité de la base de connaissance disponible à l'organisation
pour faire les choix stratégiques déterminants.
Selon cette perspective, l'apprentissage organisationnel est
défini comme « le processus dans l'organisation par lequel la
connaissance, à propos des relations
« Action-Résultat » et les effets de l'environnement
sur ces relations, est développée ». Contrairement
à l'apprentissage individuel qui entraîne des changements
relativement permanents dans le comportement de l'individu, l'apprentissage
organisationnel entraîne le développement de connaissances qui
pourrait faire en sorte que le changement soit possible. C'est la connaissance
qui est le résultat du processus apprentissage-connaissance qui
décrit avec précision la relation
« action-résultat » pertinentes pour les
activités organisationnelles, la connaissance qui est repartie à
travers l'organisation, transmissible entre les membres, faisant l'objet d'un
consensus et qui est intégrées dans les procédures de
travail et les structures de l'organisation.
Pour Beckman (1998), la ressource
« connaissance » fait partie d'une chaîne de
transformation, processus comportant un certain nombre d'étapes. Les
données constituent la matière brute de la chaîne.
L'information est une donnée dont la forme et le contenu sont utiles
pour une tâche particulière. Dans un article portant sur la
mémoire organisationnelle, Girod (1995) définit la connaissance
organisationnelle comme étant « la connaissance pertinente
pour les activités de l'organisation à tous les
niveaux » et distingue trois types de connaissances :
les connaissances procédurales (savoir-faire
et aptitudes, l'ensemble des connaissances tacites, des savoirs),
les connaissances déclaratives (ensembles des
savoirs techniques, scientifiques, administratifs, connaissances relativement
formelles et explicites) et les connaissances de
jugement (ensembles des savoirs permettant à
l'organisation de se comporter comme il convient, au bon moment de façon
efficace).
De ces analyses, il ressort que la gestion des connaissances
implique l'identification et l'analyse des connaissances disponibles et
à acquérir, la planification et le contrôle des actions
pour développer l'actif connaissance afin de réaliser les
objectifs organisationnels.
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