III. L'apprentissage organisationnel dans la gestion de
l'entreprise
La contribution de l'apprentissage à la gestion de
l'entreprise est indéniable dans la mesure où les organisations
dites apprenantes sont toujours caractérisées par un degré
plus ou moins prononcé au changement organisationnel. Le changement
organisationnel, auquel sont confrontées de plus en plus d'entreprises,
est un processus qui nécessite, de qui a la charge de le conduire,
beaucoup de pragmatisme et de minutie. Nous développerons dans cette
partie la perception de l'apprentissage organisationnel dans les
théories décisionnelles et les modes de conversion des
connaissances en entreprise.
A. L'apprentissage dans les théories de la prise
de décision
Le premier courant ou paradigme qui traite de l'apprentissage
dans la décision trouve sa source dans la rationalité pure et la
rationalité limitée. Dans ces travaux, la décision est
considérée comme un processus linéaire par lequel on
arrive à un choix entre plusieurs options, plusieurs voies d'action,
dans un contexte donné, selon un modèle cartésien. Ce
processus linéaire se décompose en actes séquentiels qui
vont prendre forme lors de la prise de conscience de l'existence d'un «
problème », puis de la nécessité d'un choix pour se
poursuivre par le recueil et le traitement de l'information. Ces
différentes phases permettent d'élaborer un diagnostic, de
déterminer des objectifs généraux et de
sélectionner une option parmi plusieurs scenarii en fonction des
contraintes et des ressources répertoriées.
1. Approche classique de la rationalité
pure : un apprentissage « libre »
Les tenants de la rationalité pure considèrent
que tout acteur est un décideur. Il en résulte un statut
particulier pour ce dernier puisqu'il présente trois qualités :
il est complètement informé, il est infiniment sensible, il est
rationnel (Schneider et Angelmar, 1993). Ce postulat de départ conduit
à envisager la décision comme un acte rationnel et
linéaire, marqué par un but. Plus précisément, les
décisions résultent d'une rationalité dont les choix
visent la maximisation des objectifs retenus (Louart, 1999). Dans un tel
contexte, l'apprentissage est considéré comme un processus
individuel où le décideur est hyper-perspicace et capable
d'apprendre parfaitement et instantanément par introspection (Munier,
1995). L'observation de la réalité permet à l'individu
à la fois de se forger une perception de celle-ci et d'acquérir
des connaissances. Ces deux dimensions contribuent à la construction des
croyances à l'origine de la décision et à un apprentissage
éducatif (Munier, 1995), qui sous-entend un environnement
décisionnel simple et de petite dimension. Dans la mesure où les
décideurs procèdent par des changements graduels sans bouleverser
outre mesure leur domaine d'action (Louart, 1999), cet apprentissage se
réalise au mieux en boucle simple (Argyris, 1995).
En effet, l'être humain observe les conséquences
de ses actes et ajuste ceux-ci pour parvenir à ses fins en explorant,
essayant et s'adaptant (Trahand, 1999). La connaissance dans et du processus de
prise de décision peut être transférée vers
l'organisation. Cette formalisation se traduit par une explicitation du savoir
du décideur sous forme d'un algorithme calculable par une machine, et
donc un transfert du savoir tacite vers le savoir explicite
c'est-à-dire, une cristallisation dans une mémoire active (Kim,
1993). Toutefois, ce passage de la connaissance individuelle vers une
connaissance collective n'est que partielle dans cette approche puisque
même si « certaines tâches de calcul, de recherche sont
explicitables et confiées à la machine, la conduite
générale du processus de résolution est
considérée comme un savoir tacite et donc laissée à
la pratique du décideur » (Reix, 1995). Ce constat conduit à
considérer que l'apprentissage organisationnel et son articulation avec
l'apprentissage individuel n'occupe pas, nous semble t-il, une place importante
dans cette approche.
2. Apprentissage de décision
encadrée : les résultantes de la rationalité
limitée
Une seconde approche liée à la théorie de
la rationalité se focalise davantage sur ces deux niveaux
d'apprentissage, dans la mesure où le rôle des structures
organisationnelles dans la prise de décision individuelle est
analysé. L'approche classique est largement critiquée dans les
célèbres travaux de Herbert(1979) qui mettent en évidence
les difficultés d'accès et d'interprétation de
l'information pour le décideur, et remettent en cause à la fois
la maximisation de l'utilité et l'hypothèse de rationalité
illimitée. Simon a voulu comprendre le comportement de l'homme en
situation de traiter un problème et de prendre des décisions. Il
a toujours intégré le décideur dans un ensemble plus
vaste, qu'il nomme son environnement. Simon part de l'idée que tout
comportement visant la rationalité se développe à
l'intérieur de contraintes. Il estime que les décisions prises au
sein d'une organisation ne peuvent jamais être complètement
rationnelles parce que les membres de l'organisation n'ont que des
capacités limitées en matière de traitement de
l'information :
D'une part, les individus sont contraints d'agir en se
fondant sur une information incomplète vis-à-vis de ce qu'ils
peuvent faire et des conséquences de leurs actions ;
D'autre part, ils ne sont capables d'explorer qu'un nombre
limité d'alternatives et donc enfin, incapables d'attribuer des valeurs
exactes aux résultats des décisions.
En effet, l'environnement est trop complexe pour être
totalement appréhendé et l'homme le simplifie pour que son esprit
soit capable de manier les facteurs retenus (Herbert, 1979) : les
décideurs retiennent alors une solution satisfaisante à la place
d'un choix optimal. Ces travaux ont conduit à une approche à la
fois à une perception individuelle et organisationnelle de
l'apprentissage dans la décision.
Chaque individu possède un horizon d'apprentissage qui
correspond à un champ de vision dans l'espace et le temps qui lui permet
d'évaluer les effets de ses actes. Mais quand ces effets sont
extérieurs au champ de vision, il devient impossible d'apprendre par
l'expérience. Les conséquences des actes les plus importants sont
donc rarement connues, car se manifestant dans une autre partie du
système. Par ailleurs, la simplification de l'environnement par l'homme,
en raison de ses capacités cognitives limitées, peut conduire
à un apprentissage restreint (Argyris, 1995).
Pour combler ces limites naturelles de l'individu et assurer
à l'organisation une certaine qualité des choix qu'effectuent ses
membres dans leur action, une appréhension organisationnelle de
l'apprentissage est déterminée (Simon, 1991). Ainsi, les
règles, les normes et les procédures que fixent les organisations
dispensent l'individu de rechercher comment exécuter une tâche,
quand entreprendre telle action, quel degré de performance rechercher et
permettent d'encadrer et de contrôler le comportement décisionnel
des membres de l'organisation. De ce fait, selon cette approche,
l'apprentissage dans la prise de décision est largement influencé
par la structure organisationnelle.
3. Apprentissage dans la théorie de la
décision interactive
Ce second courant postule la décision comme
étant le résultat d'un processus, puisqu'elle se construit au
gré des interactions sociales. Les travaux relatifs à l'aide
à la décision se focalisent sensiblement sur la construction
collective de la décision, par exemple par le biais de l'analyse du
rôle de l'homme d'étude. Le rôle de ce dernier «
consiste entre autres à expliciter le modèle, à
l'exploiter en vue d'obtenir des éléments de réponses,
à éclairer le décideur sur les conséquences de tel
ou tel comportement en les lui rendant intelligibles, éventuellement en
prescrivant (préconiser, conseiller) une série d'actions ou
encore une méthodologie » (Bradbury et Mainemelis, 2001). Pour ces
auteurs, l'homme d'étude est un être influent, ne serait-ce parce
qu'il est simplement en interaction avec d'autres individus.
En effet, dans une situation d'aide à la
décision poursuivent toujours Bradbury et Mainemelis (2001), « l'on
ne peut pas, voire l'on ne doit pas, rester extérieur au processus de
décision dans un simple rôle d'observateur sans la moindre
influence. Les nombreux actes de ce processus de décision contribue
à intégrer largement les valeurs de ceux qui procèdent
à l'aide à la décision ». L'influence de la personne
chargée d'aider le décideur peut être plus importante
encore, notamment lorsqu'elle s'engage dans un processus de prescription
d'actions. Certains auteurs tels que Moscarola (1987) estime que la
décision est toujours influencé de manière plus ou moins
forte par l'organisation quel que soit le paradigme en vigueur. Dans « le
paradigme de la raison de l'analyse et de l'intelligence », même si
le décideur est un acteur libre et rationnel, il n'en est pas moins sous
l'influence de l'homme d'étude qui argumente et démontre. Dans
« le paradigme des règles, des contraintes et des forces », le
décideur est un automate plus ou moins programmé conformant ses
actes aux procédures mis en place par l'homme d'étude. Enfin,
dans « le paradigme du verbe, des réseaux et de l'influence »,
l'acteur est un être politique jouant de l'information et du verbe comme
moyen d'influence, mais est lui-même influencé par l'homme
d'étude qui cherche à convaincre. La théorie des
conventions met également en évidence que l'individu ne
décide pas seul, mais dans un environnement social qui influence ses
choix.
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