B. Mise en évidence de la relation
qualité de l'interaction entre les salariés / apprentissage
organisationnel
La communication s'affiche, au fil des années, comme
une valeur stratégique au sein de l'entrepriseet commence à
être perçue comme un véritable outil du management. La
tendance actuelle desentreprises à s'intéresser à la
communication managériale correspond aux besoins de plus en plusvitaux
de redonner un "sens" et des valeurs à des managers qui "n'y croient
plus" et à des salariés"égarés". L'implication de
l'encadrement s'avère indispensable pour faire comprendre et
faireadhérer les équipes à des décisions
stratégiques, très souvent inintelligibles, paradoxales, ou
pireencore, en contradiction avec les valeurs affichées.
1. Le passage de l'action individuelle à
l'interaction collective
La collaboration au sein d'une entreprise consiste au partage
de l'information entre acteurs du même métier ou appartenant
à la même communauté de pratiques, les acteurs pouvant
être localisés dans des départements différents de
l'organisation. Ces échanges contiennent d'une part un aspect
organisationnel et d'autre part un aspect dit « métier ». Le
premier aspect permet de coordonner les acteurs au niveau d'un projet et de
partager les informations nécessaires à la réalisation de
ce projet. Le second aspect concerne une dimension de partage
intermédiaire qui permet de créer un espace d'échange
entre acteurs d'un même métier à l'intérieur d'une
organisation (Ihadjadene, 2010). La contribution de la communication interne
à la création et au partage des valeurs de l'organisation est
très remarquée dans la mesure où les salariés
passent d'une connaissance individuelle (reçue par l'éducation,
la formation académique et la société) à une
connaissance collective (du fait de l'interaction entre les salariés).
La vision « action » :
elle met en avant la communication interne en tant qu'instrument de
gestion. Le communicateur diffuse un message (souvent des décisions de
la direction) à ses collègues par les moyens de communication
appropriés. L'objectif est de développer des canaux de
communication pour accomplir la mission d'information. Ici, l'information
transmise n'intervient que pour assister le salarié à la
réalisation d'une tâche quelconque. Le salarié agit donc
isolement dans l'appropriation des connaissances en rapport au travail qu'il
effectue (Da Silva et St-Hilaire, 2004).
La vision « interaction
» : elle accentue davantage le caractère
bilatéral de la communication interne où le dialogue et le sens
occupent une place centrale. Le concept de base est que chacun, et donc pas
uniquement les spécialistes « officiels », a des
compétences communicationnelles. Tous les collaborateurs sont
responsables du contenu qualitatif de leur message. Les spécialistes
soutiennent les dirigeants et les collaborateurs afin qu'ils envoient la bonne
information aux personnes concernées et selon le mode de communication
adéquat. Selon la vision « interaction », la collaboration
joue un rôle essentiel dans l'efficacité de la communication
interne et le partage des savoirs et d'expériences (Gagné et
al., 200). Le communicateur est surtout considéré comme
celui qui fournit les moyens de communiquer, alors que dans la vision «
interaction », il est davantage perçu comme un conseiller en
communication intervenant de plus en plus tôt dans le processus
décisionnel. L'interaction relève de la vision de l'organisation
et pas uniquement de la communication interne.
La transition d'action à interaction n'est pas
immédiate et chaque service ou organisation l'opère à son
propre rythme. Tout dépend, en effet, de la culture et de la
mentalité de l'entreprise. Les entreprises qui élargissent leur
communication commencent d'abord par développer des médias
internes grâce auxquels elles peuvent relayer l'information vers leurs
collaborateurs. Une fois la qualité de ces supports jugée
satisfaisante, elles rationalisent la communication interne et adoptent une
approche plus méthodique. C'est à ce moment que les
communicateurs combinent action et interaction. Une organisation fait souvent
appel à la communication interne pour faire connaître sa politique
ainsi que ses décisions. Les objectifs poursuivis sont d'une part, la
sensibilisation des collaborateurs et d'autre part, l'échange des
informations. Le communicateur intervient dans ce processus en tant que «
facilitateur » et recourt aux canaux les plus adéquats en fonction
des messages et des groupes cibles. Girin (2001) relève aussi ce double
aspect de la communication, qui présente des actes de communication
« principalement orientes vers l'activité » et des
actes « principalement orientes vers l'ordre social ». Les
interactions de travail répondent ainsi aux deux besoins distincts que
sont transmettre des consignes pour assurer le fonctionnement des
opérations et inscrire les employés dans un cadre social. C'est
donc ce deuxième volet qui va constituer la base des lignes qui
suivent.
2. La construction de l'identité
organisationnelle
L'identité organisationnelle est au coeur de la
réflexion stratégique (Giroux, 2002) parce que l'avantage
compétitif qu'une entreprise peut avoir sur ses concurrents
dépend notamment de la capacité des acteurs dans l'organisation
à construire collectivement l'identité de l'organisation.
L'identité organisationnelle résulte d'un « processus
organisant » (Weick, 1969) au terme duquel l'action collective et
concertée est consubstantielle au partage des représentations et
valeurs de toutes les parties prenantes qui trouvent ainsi dans cette
construction leur réalité sociale (Berger et Luckman, 1996). Le
concept d'identité sert donc à classifier l'organisation par
rapport à d'autres entreprises et facilite les liens
intra-organisationnels (Giroux, 2002) et les réseaux d'échanges
d'informations et de ressources (Nkakleu et Kern, 2003). Pour cela, la
construction sociale de l'identité de l'organisation apparaît
comme un enjeu majeur de la résultante des effets d'une harmonieuse
cohésion entre les salariés de l'organisation (El Akremi et
al., 2009).
Pour Schein (1993), l'adoption d'un processus dialogique et
socialisant (Nonaka, 1993) permet de canaliser les représentations des
individus de façon à trouver des traits d'identification.
L'identité organisationnelle découle ainsi d'un processus
d'élaboration qui incorpore les discours et les représentations
des individus (Searle, 1995 et Giroux, 2002) qui vont créer
l'identité de l'organisation sur la base de leur perception de la vie en
société et de leurs attentes. Selon Brun et Dugas (2002),
L'identité organisationnelle peut être définie comme une
configuration autour de laquelle les parties prenantes s'identifient, se
connaissent, partagent leur perception de la vie en société et
leur imaginaire social, se font confiance mutuellement et ont confiance dans le
groupe d'identification qu'est l'organisation. Cette co-construction de
l'identité procure à l'organisation une personnalité et
une réalité sociale (Lazzeri et al., 2004) qui sont
légitimées par les salariés dès lors qu'ils croient
au maintien de la qualité de leurs relations les uns des autres et en la
capacité de l'organisation de répondre à leurs attentes,
de protéger les intérêts de tous les membres, et de
sanctionner les comportements opportunistes (Finegan, 2000). Le salarié
va donc être d'autant plus réceptif et coopératif s'il
partage avec les autres membres de l'organisation des valeurs communes, et a
confiance dans les règles, les codes et les conventions
édictés par l'organisation et qui fondent l'action collective.
La construction de l'identité organisationnelle sociale
recouvre les échanges, relations et dialogues entre les individus dans
l'organisation. A ce niveau, plusieurs études montrent que le partage de
l'identité et des valeurs d'une organisation recouvre trois dimensions
qu'il convient d'analyser en mettant en évidence la contribution de la
qualité de l'interaction entre les salariés.
Dimension structurelle de l'identité
organisationnelle
Pour Ryan (2010), la qualité de la configuration des
relations interpersonnelles dans l'organisation est nécessaire. Par
l'appropriation des liens affectifs entre les acteurs, cette configuration
facilite le transfert d'informations (Coleman, 1988) et par la même
occasion, l'apprentissage organisationnel (Fischer et White, 2000), et
l'exécution des activités dans l'organisation (Shah, 2000).
Bolino et al. (2002) soulignent quant à eux que le transfert
d'informations et de connaissances se fait plus aisément et sans biais
lorsque les employés sont interconnectés dans l'organisation. En
outre, l'exécution des activités dans l'organisation est plus
efficiente lorsque les employés se connaissent, et partagent
collectivement des représentations et des valeurs auxquelles ils
s'identifient. Cette identification crée ainsi une connexion plus facile
qui va orienter les actions des individus vers l'échange d'informations
et de ressources dans le sens des intérêts de tous les membres de
l'organisation et de l'organisation elle-même.
Dimension relationnelle de l'identité
organisationnelle
Cette deuxième dimension de l'identité
organisationnelle se caractérise par un fort degré de confiance,
de normes et de perception d'obligations partagées, et par
l'identité commune. Créplet et al. (2002)
dénotent de cette caractérisation que les individus se sentent
d'autant plus en confiance et animés par la réciprocité
qu'ils partagent ensemble des valeurs communes, entretiennent des relations
affectives et sont insérés dans une même structure
d'identification. Cette structure d'identification renforce en retour leur
sentiment et leur désir d'appartenance à l'organisation. La
conceptualisation de Nahapiet et Ghoshal (1998) de l'identité
relationnelle se rapproche de la notion des "liens forts" utilisée par
Granovetter (1973) pour décrire la confiance, la
réciprocité et l'intensité émotionnelle dans les
relations interpersonnelles. Il apparaît que la dimension relationnelle
de l'identité organisationnelle se construit par la qualité de
l'interaction entre les salariés (Koys, 2001) et concerne les relations
affectives entre ces derniers. Ainsi, les groupes de travail au sein desquels
les membres possèdent des représentations partagées,
s'adaptent plus facilement au changement de l'environnement, sont plus
flexibles et donc plus performants (Bolino et al., 2002).
La dimension cognitive de l'identité
organisationnelle
Selon Nahapiet et Ghoshal (1998), la compréhension
mutuelle entre les employés se fait au travers des langages et des
récits partagés. Ainsi, les employés peuvent
résoudre sereinement les problèmes qui se posent sur leurs lieux
de travail ou en dehors, s'échanger les idées, s'aider
mutuellement et partager les connaissances. La dimension cognitive de
l'identité organisationnelle incorpore non seulement les langages et les
récits communs, mais également une vision partagée qui
permettent aux membres de l'organisation de percevoir et d'interpréter
les événements de façon similaire (Bolino et al.,
2002). Puisque ces représentations et vision partagées sont
inscrites dans leur mémoire collective (Weick et Roberts, 1993), les
employés peuvent alors anticiper et prédire plus facilement les
actions des autres. Dans une certaine mesure, cette « vision
partagée » des relations de travail stables et saines favorise
l'émergence d'une connaissance organisationnelle (Créplet et
al., 2002) ; à certains égards, l'aspect cognitif du
capital social induit la cohésion intra-organisationnelle
nécessaire à la performance de l'entreprise. Nous soutenons que
l'identité organisationnelle renforce la dimension cognitive de
l'apprentissage en ce sens qu'elle contribue à la mise en commun des
routines collectives, à la production et à l'échange des
connaissances.
En raison de ce qui précède, l'identité
organisationnelle concourt à l'efficacité du fonctionnement
interne de l'organisation. Elle est donc à la base d'un processus de
socialisation des individus. C'est ce qu'ont souligné Adler et Kwon
(2002) dans leurs analyses du fonctionnement économique des
organisations. En effet, l'interaction de qualité fait partager la
vision et les valeurs de l'entreprise et contribue à la création
d'une identité de l'organisation par laquelle les acteurs s'identifient
à elle à travers des représentations communes (Zaoual,
1996). Il s'établit alors entre eux une confiance mutuelle qui va
garantir l'action collective et la socialisation organisationnelle de ces
derniers.
3. Socialisation organisationnelle et
amélioration de l'apprentissage organisationnelle
Les recherches sur le l'interaction sociale considèrent
essentiellement la socialisation comme un processus d'apprentissage, les
domaines d'apprentissages étant ceux qui sont « nécessaires
à tout nouvel arrivant » (Schein, 1988). Plusieurs auteurs
proposent, à partir d'une revue de la littérature existante, une
typologie des domaines d'apprentissage. Fisher et al.(2000) distingue
les « valeurs, objectifs, culture de l'organisation », les «
valeurs, normes et relations avec le groupe de travail », les «
compétences requises pourfaire le travail », et le «
changement personnel lié à l'identité, l'image de soi, et
la structuremotivationnelle ». De la même façon, Guiroux
(2002) propose une « taxonomie desapprentissages »pour le
développement des nouveaux collaborateurs, autour des mêmes
domaines que Fisher et al.(2000). Toutefois, ce qui relève du
domaine individuel demeure plus une conséquence de la socialisation
(Dowling, 1995), qu'un élément à part entière de sa
définition.Helfer et al. (2000) adoptent une vision
transversale du concept de la socialisation organisationnelle. Selon eux,
chacune desdimensions de l'identité organisationnelle contribue à
la socialisation organisationnelle et à l'acquisition des connaissances
sur les différents aspects du fonctionnement de l'organisation.
Pour Kim (1993), la "collectivisation" des connaissances, leur
généralisation à l'organisation et leur inscription dans
des procédures, dans des pratiques et des valeurs partagées est
la résultante d'une socialisation organisationnelle qui, elle-même
ressort du partage de l'identité organisationnelle qui se construit. Il
s'agit alors de considérer la gestion des connaissances, non plus comme
un intérêt porté à la connaissance elle-même,
mais plutôt à « qui détient la connaissance ? »
et à « comment localiser le détenteur de la connaissance ?
». Cette approche se base sur l'hypothèse que l'acquisition et le
partage des connaissances sont des processus sociaux, qui se réalisent
plus efficacement grâce aux interactions directes entre les membres d'une
communauté de pratiques et à l'identification des membres de la
communauté à ces pratiques. Dans cette même perspective, un
ensemble d'auteurs (Duncan et Weiss, 1979 ; Shirvastava, 1983 ;
Nicolini et al., 1995) pensent qu'une considération de la
socialisation organisationnelle comme résultante de la communication
harmonieuse entre les salariés améliore la maîtrise des
activités de l'entreprise est souvent nécessaire pour le partage
des valeurs et d'expériences.
Les analyses précédentes montrent la
communication et l'interaction harmonieuse entre les salariés sont
génératrices de partage et assimilation des visions et valeurs de
l'entreprise. Ce partage des visions et valeurs va contribuer à la mise
en oeuvre des connaissances collectives qui vont ainsi coordonnées les
actions des individus et constituées une références pour
toute prise de décisions. De plus, la construction des valeurs
partagées par une interaction de qualité conduit à une
socialisation des salariés favorisant un apprentissage de
qualité. Ces analyses nous conduisent à formuler
l'hypothèse suivante dans le contexte camerounais :
: Le degré d'apprentissage organisationnel des
salariés est fonction de la qualité de l'interaction existante
entre eux.
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