I.2.2.
Présentation des modèles explicatifs de la socialisation
organisationnelle
L'étude des modèles de la
socialisation organisationnelle marque un point très important sur la
distinction entre la gestion des ressources humaines, domaine des sciences de
gestion qui étudie les modalités d'action des individus dans une
relation de travail et la psychologie ou la sociologie (discipline basée
sur l'étude de la personnalité et des comportements dans la
société en générale). C'est en effet une
préoccupation gestionnaire qui a animé les travaux des premiers
investigateurs sur la notion de socialisation organisationnelle (Schein,
1968 ; Van Maanen et Schein, 1978 ; Van Maanen et Schein, 1979 ;
Lewicki, 1981) dans le but de proposer des éléments de
compréhension et de gestion de l'entrée organisationnelle et de
l'adaptation aux valeurs et normes de l'entreprise. Deux modèles sont
à éclaircir dans le cadre de cette section : d'une part, le
modèle séquentiel de la socialisation organisationnelle
proposé au départ par Porter et al. (1975) et
améliorer par les travaux de plusieurs autres chercheurs dont ceux
récents sont assignés à Dufour et Lacaze (2007) qui met en
évidence un processus de socialisation organisationnelle des
salariés par étape et d'autre part le modèle de la
socialisation organisationnelle par l'attribution de sens de Louis (1980a) qui
met en exergue un processus de socialisation organisationnelle
contrôlé par le sens que l'individu accorde au travail.
I.2.2.1. Le modèle
séquentiel de la socialisation organisationnelle des salariés
La socialisation désigne un processus de transition
organisationnelle d'un individu, c'est-à-dire un processus qui
découle du franchissement des frontières organisationnelles au
cours de la carrière d'un individu au sein d'une même
organisation. Van Maanen et Schein (1979) identifient trois frontières
organisationnelles susceptibles d'être franchies au cours de la vie dans
une organisation : « la frontière inclusive dont le franchissement
est analogue à l'entrée d'un étranger dans un groupe, la
frontière hiérarchique [...] qui séparent les
différents niveaux hiérarchiques, et la frontière
fonctionnelle ou départementale [...] qui séparent les
départements, les services, les groupements fonctionnels ». Ainsi,
un individu peut connaître plusieurs socialisations organisationnelles au
cours de sa carrière au sein d'une organisation. On parlera ainsi d'une
approche séquentielle de la socialisation organisationnelle des
salariés.
Les travaux s'inscrivant dans cette approche
séquentielle de la socialisation ont un point commun d'identifier
l'évolution du processus d'ajustement organisationnel d'un individu dans
le temps, puisque comme le rappelle Fabre (2005) « le temps est un
élément essentiel à prendre en compte dans l'étude
de la socialisation, car ce phénomène est avant tout un processus
dynamique. ». Suivant cette base, l'approche séquentielle
s'intéresse aux différentes séquences (agencements
possibles) qui se succèdent ou se chevauchent et qui
caractérisent le processus de socialisation. Cette approche
séquentielle place la socialisation globale des salariés autour
de trois étapes bien délimitées.
Etape 1 : La socialisation
anticipée
Cette étape de la socialisation organisationnelle
débute avant même l'entrée d'un individu dans sa nouvelle
organisation. L'étape dite de la « socialisation
anticipée » (Feldman 1976, 1981) ou de «
pré-entrée » (Porter et al., 1975)
caractérise la période précédent l'entrée
effective de l'individu dans l'entreprise ou dans sa nouvelle fonction. Les
activités principales de l'individu en ce moment crucial de son
insertion consistent à la formation d'attentes sur le travail et
l'entreprise, ainsi qu'à la prise de décision d'accepter ou de
refuser le travail considéré. Mais la formation d'attentes ou
d'anticipations sur la relation de travail, n'est pas exclusive à
l'individu en question, elle se développe également du
côté de l'entreprise ; l'un et l'autre se basant sur un ensemble
d'informations bien précis répertorié et
mémorisé par ces derniers. Nous pouvons évoquer ici
l'importance du réalisme des informations que communique l'entreprise
(informations sur les buts et l'ambiance de l'organisation) au cours de cette
étape, pour la réussite de l'intégration. En effet, le
réalisme limite l'écart entre les attentes du salarié et
la réalité à laquelle elle va être confrontée
(Feldman, 1976 et Van Maanen, 1976).
Etape 2 : La confrontation
initiale
Plusieurs termes sont utilisés pour désigner
cette étape de la socialisation organisationnelle des salariés
(notamment « accommodation » par Feldman (1976), «
rencontre » par (Porter et al., 1975), «
confrontation initiale » par Graen (1976). Presque tous ces
auteurs considèrent que cette étape est cruciale dans le
processus de socialisation organisationnelle, car l'individu
considéré va y vivre un véritable choc de
réalité. Ce choc naît à la fois de l'écart
entre ses attentes et la réalité (dans la plupart des cas, les
informations diffusées au cours de la phase précédente
accentuent les points positifs de l'organisation et minimisent les points
négatifs (Van Maanen, 1976). Il (l'individu en question) entre en effet
dans un cadre organisationnel non familier, où le temps et l'espace
peuvent devenir problématiques. Les informations qu'il reçoit ne
lui sont pas familières, parfois il ne sait pas en quoi consiste une
information, ni comment interpréter et sélectionner les
informations. Cette phase du processus est marquée par le stress
relativement important ressenti par l'individu en question. C'est au cours de
cette étape que se forment les conflits de rôle et les
ambiguïtés de rôle ressentis qui peuvent modifier
l'environnement perçu du travail au point de le rendre plus
problématique. Cette étape est très cruciale pour
enclencher les deux qui suivent.
Etape 3 : L'adaptation à
l'organisation
La dernière étape du processus de socialisation
organisationnelle se caractérise par le passage du statut d'outsider
à celui d'insider, par la résolution des conflits et des
ambiguïtés liées aux tâches définies, par
l'affirmation d'une identité qui s'adapte aux normes d'engagement, de
performance et de loyauté de l'organisation. L'individu devient un
insider lorsqu'on lui donne de l'autonomie, des responsabilités,
lorsqu'on lui confie les informations privilégiées, lorsqu'on
l'inclut dans le réseau informel, ou encore lorsqu'ils sont
encouragés à représenter l'organisation et
sollicités par d'autres membres de l'organisation pour des conseils.
Les principales activités des individus au cours de la phase
d'adaptation consistent donc à maîtriser leur travail et à
s'ajuster aux normes et aux valeurs du groupe social. Les conflits et
ambiguïtés qui se sont développés au cours de la
phase antérieure sont ici surmontés.
Dans la même lancée, l'approche
séquentielle de Dufour et Lacaze (2007), se démarque parmi le
corpus de l'approche séquentielle de la socialisation organisationnelle
que nous venons de donner précédemment. En effet, leur travail ne
s'intéresse pas à identifier les séquences du processus
d'ajustement de l'individu à l'organisation, mais à identifier
celles du processus d'ajustement mutuel de l'individu et de l'organisation,
c'est-à-dire les séquences de la mise en relation des zones
d'identité de l'individu et des zones de conformité de
l'organisation. Ils montrent ainsi qu'« au début de la phase
d'intégration, la zone non négociable de l'individu est vaste
alors que celle de l'organisation est étroite. Puis, au fil du temps et
au fur et à mesure que l'individu s'arrime à l'organisation, le
phénomène s'inverse à mesure que l'individu identifie ce
qui est négociable et ce qui ne l'est pas et que son employeur commence
à lui faire confiance. » (Dufour et Lacaze, 2007). Ainsi, ces
deux auteurs identifient une phase « d'essai » au cours de
laquelle les individus se conforment totalement par crainte d'être
renvoyé, puis une phase où ils retrouvent une partie de leur
liberté d'action qu'ils utilisent pour exprimer leur véritable
identité. Leur modèle séquentiel de la socialisation
organisationnelle comme ajustement mutuel permet d'expliquer l'échec
d'intégration par l'incompatibilité entre les zones
négociables de l'individu en situation de travail et de
l'organisation.
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