PARAGRAPHE II : L'OUVERTURE MEDIATIQUE
« Il n y a pas de démocratie sans un certain
exercice de la parole publique »113.Les médias -
presse écrite, radiodiffusion, télévision, internet etc -
dans un système politique jouent un double rôle. Celui de la
« socialisation politique »114, en signifiant aux
citoyens ce à quoi il est nécessaire de penser et celui
d'instrument de construction du débat politique, en insistant par le
biais de l'information proposée, sur la vision de ce sur quoi la classe
politique ne peut se dispenser de réagir115.Dans la
jurisprudence constitutionnelle, la notion de pluralisme apparait d'ailleurs
pour la première fois à propos de la liberté de
communication116. Au Cameroun c'est la loi de 1990 sur la
liberté de communication
111 Alain Didier OLINGA, La Constitution
de la République du Cameroun, Yaoundé, Presses de
l'UCAC/Terre Africaine, 2006, p. 186
112 Ibid.
113 Laurence CORNU, « Confiance,
étrangéité et hospitalité »,
Diogène, n° 220, octobre - décembre 2007, pp. 15 -
30 (spéc. p. 27).
114 Guy HERMET et al, Dictionnaire de la
science politique et des institutions politiques, op.cit., p.
156.
115 Ibid.
116 Voir décision du Conseil Constitutionnel
français n° 81 - 129 des 30 et 31 octobre 1981.
Le pluralisme au Cameroun
sociale117, qui instaure le pluralisme des moyens
de communication, qui soit dit en passant revêt une dimension externe (A)
et une dimension interne (B).
A - LA DIMENSION EXTERNE
Dans sa dimension externe, le pluralisme médiatique
implique l'existence de plusieurs et différents moyens d'informations
écrits et audiovisuels118.Ce qui implique le rejet du
centralisme119 notamment étatique (1), par l'admission
d'acteurs privés. Toutefois cela ne saurait déboucher sur des
concentrations (2).
1 - Le rejet du centralisme étatique
Comment les citoyens pourraient-ils véritablement
participer à la vie politique si les informations dont ils disposent
proviennent d'une source unique qu'est le gouvernement ? 120. Qualifié
par Gaston DEFERRE de « méthode [...] archaïque,
paralysante et dépassée qui ne répond plus aux exigences
de la vie moderne»121, le centralisme dans le domaine de
la communication est une dérive de l'action de l'Etat qui veut
contrôler tous les flux d'informations. Or, une telle attitude signifie
l'inexistence du débat démocratique122.Ce type de
débat qui suppose la cristallisation des opinions, la discussion voire
la polémique plutôt que le recours à la force et qui tient
une place de choix dans toute société qui se veut
démocratique123.
L'avènement de la loi du 19 décembre 1990 sur la
liberté de communication sociale, permet la levée du monopole de
l'Etat dans le secteur de la communication. Son principal mérite
réside dans la facilitation des procédures de création
d'organes de communication sociale notamment de presse écrite. Ainsi, la
création d'une entreprise de presse se fait plus
117 Loi n° 90/052 du 19 décembre 1990.
118 La libéralisation du secteur de la communication de
la communication sociale constitue l'un des exemples les plus marquants de
l'instauration, progressive voire pédagogique du pluralisme au
Cameroun.
119 Il existe aujourd'hui au Cameroun 235 organes de presse
à parution plus ou moins régulière, répartis comme
suit : 10 quotidiens, 2 trihebdomadaires, 5 bihebdomadaires, 86 hebdomadaires,
43 bimensuels, 58 mensuels, 29 trimestriels. A quoi s'ajoute également
de nombreuses chaînes de radios et télévisions tels que la
CRTV, Canal 2, STV, Equinoxe TV, Vision 4, LTM TV, DBS, New TW, Ariane TV,
Equinoxe radio, Sweet FM, Dynamic FM, Radio Nouvelle, Radio Balafon etc.
120 Robert DAHL, De la
démocratie, op.cit., p. 94.
121 Gaston DEFERRE, cité par Jean Claude EKO'O
AKOUAFANE , La décentralisation administrative au
Cameroun, op.cit., p. 18.
122 Le débat en démocratie tire son importance
du fait qu'il exclut la violence physique et se substitue à elle comme
mode d'affrontement entre forces antagonistes.
123 Guy HERMET et al, Dictionnaire
de la science politique et des institutions politiques, op.cit.,
p. 76.
Le pluralisme au Cameroun
librement, puisque, le système de déclaration
remplace celui de l'autorisation. Cette libéralisation s'est
étendue au secteur de l'audiovisuel, en vertu du décret du 3
avril 2000124.Le monopole étatique sur la radiodiffusion et
la télévision, auparavant matérialisé par
l'existence d'un seul office de radio et de télé - à
savoir la Cameroon Radio Television, CRTV - n'existe plus, et les
opérateurs privés n'ont pas tardé à investir ce
champ.
La levée du monopole étatique dans les domaines
des médias démontre clairement que la première menace au
pluralisme médiatique c'est d'abord l'Etat.Cependant, l'investissement
de ce domaine par les entreprises privées pourrait donner lieu à
des concentrations, d'où la nécessité de les limiter.
2 - La limitation des concentrations
Le Conseil constitutionnel français a estimé que
la liberté de communication inclut le droit à l'information du
public, ce qui permet au législateur de restreindre la liberté de
regroupement de manière à assurer le pluralisme des moyens
d'information125.C'est le souci de préserver le libre choix
du lecteur, de l'auditeur et du téléspectateur qui justifie et
même impose que l'on limite la liberté de
regroupement126.Si depuis 1990 au Cameroun, la création d'un
organe de presse ou d'une entreprise de communication audiovisuelle est libre,
cela ne doit pas aboutir à des regroupements susceptibles de porter
atteinte à l'exigence de diversité des moyens de
communication.127.C'est le Conseil National de la Communication,
organe dont les missions ont été renforcées par le
décret du 23 janvier 2013128, qui est chargé de
124 Décret n° 2000/158 du 03 avril 2000 fixant les
conditions et modalités de création et d'exploitation des
entreprises privées de communication audiovisuelle.
125 Voir décision du Conseil cconstitutionnel
n° 84 - 181 D.C du 11 octobre 1984 ; lire également à
ce propos Marie - Joëlle REDOR - FICHOT,
«L `indivisibilité des droits de l'homme »,
Centre de Recherche sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du
Droit, n° 7, 2009, pp.75 - 86 (spéc.p.78).
126 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, op.cit., p. 340.
127 Selon les dispositions des articles 42, 43 et 45 de la loi
n°90/052 sur la liberté de communication sociale, aucune personne
physique ou morale ne peut être propriétaire en même temps
de plus d'une entreprise de communication audiovisuelle et d'un organe de
presse.
128 Tel qu'il ressort de l'alinéa 1er de
l'article 4 du décret n° 2012/038 du 23 janvier 2012 portant
réorganisation
du Conseil National de la Communication le Conseil National de la
Communication a pour missions de :
« Veiller par ses décisions et avis au respect :
- des lois et règlements en matière de
communication sociale;
- de l'éthique et de la déontologie
professionnelle;
- de la paix sociale, de l'unité et de
l'intégration nationale dans tous les médias;
- de la promotion des langues et cultures nationales dans tous
les médias ;
- de la promotion des idéaux de paix, de démocratie
et des droits de l'homme;
- de la protection de la dignité des personnes, notamment
de l'enfance et de la jeunesse dans les médias;
Le pluralisme au Cameroun
contrôler les concentrations en veillant à
l'application des lois et règlements relatifs à la liberté
de communication sociale.
Cette limitation des concentrations, doublée de
l'interdiction de monopole, contribue à rendre effective la libre
expression des idées et opinions, en permettant aux citoyens de disposer
d'un éventail « suffisant de publications de tendances et de
caractères différents »129.
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